Montréal,  23 oct. - 5 nov. 1999
Numéro 48
 
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     Le QUÉBÉCOIS LIBRE est publié sur la Toile depuis le 21 février 1998.   
   
     Il  défend la liberté individuelle, l'économie de marché et la coopération volontaire comme fondement des relations sociales.   
      
     Il  s'oppose à l'interventionnisme étatique et aux idéologies collectivistes, de gauche comme de droite, qui visent à enrégimenter les individus.      
  
     Les articles publiés partagent cette philosophie générale mais les opinions spécifiques qui y sont exprimées n'engagent que leurs auteurs.      
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
ÉDITORIAL
  
LES TI-CULS DE L'ADQ
 
par Martin Masse
 
  
          C'est la saison des congrès politiques, un moment utile pour analyser la culture des partis et voir ce qui préoccupe vraiment nos politiciens préférés entre les périodes frénétiques des campagnes électorales.  
  
          Comme il fallait s'y attendre, les bloquistes et péquistes réunis il y a un mois ont surtout discuté de séparatisme, de langue, d'identité québécoise, et d'autres détails anatomiques du sexe des anges. Les soi-disant libéraux du Québec ont, de façon prévisible eux aussi, tenté de déterminer il y a trois semaines la direction et la vitesse des vents dominants (voir LES GUIDOUNES DU PSDLQ, le QL, no 47). Quant aux adéquistes réunis en conseil général la semaine dernière, ils ont prouvé hors de tout doute qu'ils ne sont pas vraiment un parti politique, mais un lobby pour les jeunes privilégiés qui veulent se faire mieux entretenir par l'État. 
  
          Le phénomène des jeunes privilégiés qui associent leur propre bien-être avec celui de tout leur groupe d'âge, des classes populaires, ou de la société dans son ensemble, n'a bien sûr rien de nouveau. Dans les années 1960 et 1970, les militants gauchistes qui pullulaient sur les campus et qui exigeaient le renversement de l'ordre établi et l'avènement d'une société sans classe venaient pour la plupart des milieux petits-bourgeois. Lorsqu'ils ont pris le pouvoir un peu plus tard au gouvernement, dans les institutions publiques et les syndicats, on a bien vu qu'ils visaient surtout leur confort personnel et non celui des masses prolétariennes en s'affairant à redistribuer la richesse.  
  
          Ce qui est inusité toutefois, c'est de voir tout un parti politique se transformer en groupe de pression pour les ti-culs, au même titre que la coalition Force Jeunesse et les associations étudiantes. On comprend que les partis marginaux qui recueillent moins de 1% des voix et qui n'ont que quelques centaines de membres puissent parfois faire l'objet de prise de contrôle par des mouvements encore plus radicaux et minoritaires, qui en changeront l'orientation après les avoir noyautés. Mais l'Action démocratique du Québec n'est pas le Parti de la loi naturelle ou le Parti marxiste-léniniste. C'est le troisième parti politique en importance de la province, ayant reçu 12% des voix à la dernière élection générale. Même avec un seul député à l'Assemblée provinciale, c'est un joueur important dans notre système parlementaire britannique. Et c'est bien sûr le parti le mieux placé pour profiter de la désaffection envers les deux autres joueurs principaux et pour se positionner comme l'alternative naturelle s'il devait y avait une reconfiguration majeure de l'échiquier politique. 
 
 
Dérive idéologique et futilités politiques 
  
          L'ADQ n'a jamais eu d'idéologie bien claire sur quoi que ce soit, à commencer par sa position entre deux chaises sur la question nationale qui a justifié sa création par des transfuges nationalistes du Parti libéral. Mais son chef Mario Dumont avait tout de même réussi à lui tailler une niche modeste à la droite du PLQ sur le plan fiscal, chez ceux qui en avaient assez du fameux « modèle québécois » interventionniste et de la position timorée du Parti libéral à ce sujet. Malgré ses incohérences, il s'agissait donc d'un progrès pour le Québec et c'est pourquoi après maintes hésitations j'avais décidé de l'appuyer lors des élections de l'année dernière (voir L'INUTILITÉ DE L'ADQ, le QL, no 21, et COMMENCER À CHANGER LES CHOSES AVEC L'ADQ, le QL, no 25).  
  
          Cette fois, les adéquistes se sont toutefois surpassés dans la dérive idéologique et les futilités politiques. Les délégués ont d'abord, nous rapporte un journaliste, adopté une dizaine de résolutions « sur la nécessité de brancher le Québec pour assurer la survie de son économie et de sa culture ». Les seuls véritables progrès de l'industrie des nouvelles technologies de l'information sont pourtant venus de la créativité et de l'initiative du secteur privé et du désir spontané de citoyens de se brancher pour profiter des avantages de l'internet. Le gouvernement, quoi qu'en dise le ministre du Gaspillage de fonds publics Bernard Landry, ne fait qu'influencer les choses à la marge et pas nécessairement pour le mieux avec ses interventions bureaucratiques et son saupoudrage de subventions. Mais les adéquistes ont voulu montrer qu'ils sont in, hip, branchés, dans le vent, et ont donc adopté la fiction planificatrice et interventionniste qui veut que ce soit l'État qui détermine des changements économiques aussi fondamentaux.  
  
          Question d'avoir l'air encore plus in, hip, branchés et dans le vent, les adéquistes ont ensuite lancé une « vaste et audacieuse opération » de marketing politique sur le web, axée essentiellement sur les préoccupations d'une sous-catégorie privilégiée de jeunes, les jeunes étudiants ou travailleurs qui ont accès à l'internet. Il faudra qu'un politologue explique un jour pourquoi ce parti a décidé de tourner le dos à la grande majorité de la population pour se concentrer sur un petit groupe qui ne fait certainement pas plus que 5% du total (si on considère qu'environ 15% ou 20% des Québécois ont un accès internet, et que seule une fraction de ces branchés ont entre 16 et 30 ans).  
  
          Est-ce parce que le jeune Mario Dumont, malgré sa grande expérience politique, est toujours incapable de voir le monde autrement qu'à travers les yeux d'un cégépien? Parce que les stratèges du parti (s'il existe une telle chose) considèrent que l'appui des générations montantes se transformera en appui majoritaire de tous les adultes à long terme? Parce que le parti ne sait pas vraiment comment se distinguer des deux autres, sauf en misant sur la nouveauté et la jeunesse? Mystère. 
  
Faux débats 
  
          Le site en question vise à inonder les députés péquistes de courrier électronique pour protester contre les décisions du gouvernement dans trois dossiers: les clauses orphelin, les frais scolaires et les prêts et bourses. L'approche n'a rien à voir avec une logique fondée sur le libre marché et la responsabilité individuelle, même de façon très modérée, mais plutôt tout à voir avec les revendications des lobbys qui demandent une protection spéciale pour leurs membres.  
  
          La question des clauses orphelin n'est pourtant qu'un autre de ces faux débats qui servent surtout à se construire du capital politique sans permettre de régler quoi que ce soit. Ces clauses, qui font en sorte d'accorder moins d'avantages aux nouveaux employés – surtout jeunes – qu'aux plus anciens dans les conventions collectives, ont été rendues inévitables à cause d'une réglementation abusive du marché du travail et de la nécessité de réduire les coûts de main-d'oeuvre d'une façon ou d'une autre. Dans ce contexte, il est logique que ce soit les employés avec le moins d'expérience qui écopent. Les entreprises privées syndiquées comme les institutions publiques doivent s'adapter d'une manière ou d'une autre, et celle-ci est probablement la moins pire.  
  
          Le problème réel auquel Mario Dumont devrait s'attaquer n'est pas cette marginale « discrimination envers les jeunes » causée par les clauses orphelin, mais plutôt la réglementation excessive elle-même et les taxes élevées sur la masse salariale, sources de chômage, ainsi que la mainmise abusive des syndicats et les règles d'ancienneté qui ont préséance sur la compétence et l'effort personnel dans la détermination des échelles de salaire.  
  
  
  
« Les adéquistes ont voulu montrer qu'ils sont in, hip, branchés, dans le vent, et ont donc adopté la fiction planificatrice et interventionniste qui veut que ce soit l'État qui déterminent des changements économiques aussi fondamentaux. »
 
 
 
          Quant aux frais scolaires et à la question des programmes moins généreux de prêts et bourses pour les cégépiens et étudiants universitaires, la position défendue par l'ADQ est tout simplement méprisable, comme le sont toutes les revendications corporatistes qui visent à préserver les avantages d'une minorité privilégiée. Comme le montrent toutes les études statistiques, ces étudiants viennent en général de familles plus riches que la moyenne et ont beaucoup plus de chances, à la fin de leurs études, de se trouver un emploi et de gagner un salaire supérieur à la moyenne. L'endettement de plusieurs d'entre eux n'est qu'une situation temporaire, tout à fait justifiée dans la mesure où leur éducation est un investissement dans leur avenir.  
  
          Qui donc devrait payer leurs cours, sinon leurs parents et eux-mêmes? Des contribuables déjà surtaxés? Des travailleurs qui n'ont eux-mêmes pas eu la chance de s'éduquer autant et qui gagnent moins que ce que gagneront ces futurs diplômés? Là encore, l'ADQ passe à côté des vraies solutions qui feraient en sorte que notre système d'éducation soit de meilleure qualité et accessible à plus de jeunes: notamment, privatiser entièrement le système universitaire et permettre l'éclosion d'institutions diverses adaptées aux besoins et aux orientations des étudiants; faire payer les coûts réels des services aux utilisateurs; permettre aux parents d'accumuler des « régimes d'épargne-éducation » à l'abri de l'impôt; et laisser les fondations privées des institutions d'enseignement aider les étudiants qui ont les aptitudes nécessaires mais malgré tout pas les moyens de poursuivre des études supérieures.  
  
Petit discours téteux et pleurnichard 
  
          Dans la page du site où l'on peut choisir son message prêt à envoyer aux députés pour faire pression sur cette question des prêts et bourses, on retrouve le même petit discours téteux et pleurnichard utilisé par les groupes qui s'imaginent que le gouvernement n'est qu'une vache à lait à leur service:  
  
« Dans le dossier des prêts et bourses, vous avez promis bien des choses aux étudiants mais votre gouvernement a plutôt fait le contraire en resserrant plusieurs critères de l'aide financière. À cause des décisions de votre gouvernement, il est de plus en plus difficile pour moi de joindre les deux bouts. »  
  
« Je vais terminer mes études avec un fardeau de dette élevé. Votre système modifié de prêts et bourses fait en sorte qu'avant même de me trouver du travail, j'aurai un boulet à tirer encore plus lourd que prévu. Vous auriez pu tenir vos engagements, non? »  
  
« Vos négociations traînent en longueur quant à la distribution des bourses du millénaire. Faute d'entente, des étudiants comme moi pourraient être privés d'argent neuf en nouvelles bourses. Grouillez-vous et faites donc un effort sérieux pour régler le problème! »
  
          Un parti qui s'abaisse à ce genre de tactiques et de discours n'a tout simplement rien de bon à offrir, quoi qu'on puisse trouver de pertinent dans le reste de son programme. C'est plus que de l'incohérence, c'est de la stupidité. Le plus drôle, c'est de lire dans les jours qui ont suivi ce conseil général que l'ex-candidat et responsable pour la région de Laval de l'ADQ, Pierre Cadieu, quitte le parti parce qu'il considère que celui-ci « s'éloigne trop vers la droite » et « n'attache plus assez d'importance aux valeurs de la social-démocratie ». Quelle farce! Avant de faire de la politique, il est utile d'apprendre deux ou trois choses sur le fonctionnement de l'économie et de la société et de savoir notamment si on veut plus ou moins de liberté, plus ou moins de responsabilité individuelle, plus ou moins d'intervention étatique. Les ti-culs confus et ignorants qui contrôlent l'ADQ n'ont manifestement pas encore assez d'expérience de la vie pour avoir pu se brancher sur toutes ces questions.  
  
  
  
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L'ÉTAT, NOTRE BERGER?
 
  
Le Québec libre des  
nationalo-étatistes  
 
 
          « Après avoir pris ainsi tour à tour dans ses puissantes mains chaque individu, et l'avoir pétri à sa guise, le souverain étend ses bras sur la société tout entière; il en couvre la surface d'un réseau de petites règles compliquées, minutieuses et uniformes, à travers lesquelles les esprits les plus originaux et les âmes les plus vigoureuses ne sauraient faire jour pour dépasser la foule; il ne brise pas les volontés, mais il les amollit, les plie et les dirige; il force rarement d'agir, mais il s'oppose sans cesse à ce qu'on agisse; il ne détruit point, il empêche de naître; il ne tyrannise point, il gêne, il comprime, il énerve, il éteint, il hébète, et il réduit enfin chaque nation à n'être plus qu'un troupeau d'animaux timides et industrieux, dont le gouvernement est le berger. »   

Alexis de Tocqueville  
DE LA DÉMOCRATIE EN AMÉRIQUE (1840)

 
 
 
 
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