(Lectures, septembre 1994)

 
A JOURNEY THROUGH
ECONOMIC TIME
 
 
par Martin Masse
 
 
RECENSION DE LIVRE: A Journey Through Economic Time: A Firsthand View,
par John Kenneth Galbraith (Boston: Houghton Mifflin Company, 1994)
 

    John Kenneth Galbraith est l'un des trois ou quatre économistes les plus influents du XXe siècle dans le monde anglophone. Il a été, dès les années 1930, l'un des penseurs du New Deal dans l'Administration Roosevelt; il a joué un rôle important dans la planification de l'économie de guerre au cours de la Seconde Guerre mondiale; il fut aussi conseiller économique des présidents Kennedy et Johnson.
    Lorsqu'un personnage d'une telle stature publie des mémoires professionnelles où il passe en revue les faits et les idées économiques qui ont jalonné sa longue carrière, on devrait s'attendre à un bouquin d'un intérêt exceptionnel, rempli d'anecdotes captivantes, de points de vue originaux, de perspectives inédites sur l'histoire. A Journey Through Economic Time ne fait malheureusement pas partie de cette catégorie.
    John K. Galbraith est le principal héritier du britannique John Maynard Keynes, qui a révolutionné la pensée économique durant la Dépression en donnant une base théorique à l'activisme gouvernemental. Galbraith semble avoir été marqué par cette période du début de sa carrière. Tout le livre reprend en fin de compte les principaux dogmes du keynésianisme et les applique à différents événements jusqu'aux années 1990. La conclusion est toujours la même: le marché favorise surtout les riches, plus d'interventionnisme étatique est toujours préférable à moins, il n'y a jamais de problème à augmenter les taxes, et les déficits budgétaires sont toujours salutaires pour accroître la demande globale et relancer l'économie.
    Ceux qui cherchent des pistes intellectuelles pour renouveler le discours économique de la gauche seront déçus par ce livre. On n'y trouve aucune trace d'autocritique, aucun doute sur les limites d'une politique qui a d'abord été une réaction aux circonstances troublées et exceptionnelles que furent la Dépression et la guerre.
    On peut voir à quel point l'économiste est déconnecté de la réalité lorsqu'il aborde des événements de l'histoire plus récente. Sur la révolution capitaliste qui se produit en Chine en ce moment, et qui est en voie de sortir le quart de l'humanité de la misère du communisme, M. Galbraith n'a qu'un petit commentaire complètement insignifiant: « La Chine a survécu au socialisme et est entrée dans une phase de développement rapide, non sans avoir eu recours à des incitatifs inspirés du marché ». Quelle perspicacité!
    On comprend mieux comment le professeur a pu faire l'incroyable recommandation, dans une entrevue au Point à Radio-Canada l'année dernière, d'augmenter le déficit comme solution aux maux de l'économie canadienne. À part les hurluberlus du NPD, tout le monde est pourtant d'accord pour considérer le déficit et l'énorme dette accumulée du Canada comme des causes du problème!
    L'un des arguments repris tout au long du livre en faveur de l'interventionnisme est que la bêtise et l'ignorance sont des facteurs déterminants dans le comportement des individus. Une politique de laisser-faire laisse donc libre cours à ces instincts destructeurs chez les financiers, entrepreneurs et consommateurs. C'est pourtant le même argument qu'utilise le libéralisme pour éviter de donner trop de pouvoir aux bureaucrates, politiciens et planificateurs patentés. Mais dans la philosophie galbraithienne, ces derniers (et lui-même) sont, semble-t-il, au-dessus de ces contingences humaines!
    Ce n'est pas uniquement à cause de ces limites sur le plan idéologique que le livre de J.K. Galbraith est décevant. Une bonne partie est constituée de commentaires plus ou moins banals et pas toujours fondés concernant des phénomènes sociaux et politiques. M. Galbraith ne réussit pas par ailleurs à trouver l'équilibre entre le général et le particulier qui devrait caractériser un survol de presque un siècle d'histoire.
    Étrangement, même si lui-même a été un acteur de premier plan dans de nombreux épisodes qu'il décrit, on ne sent pas sa présence, ni d'ailleurs celle d'autres personnages qu'il a côtoyés de près. Roosevelt, Kennedy, Johnson, Keynes et d'autres restent des abstractions. L'intérêt d'un tel survol aurait pourtant été d'y découvrir un point de vue plus personnel que celui offert par les livres d'histoire conventionnels, que l'on soit ou non d'accord avec l'interprétation du narrateur.
    En fin de compte, le voyage historique et économique auquel nous convie John K. Galbraith s'avère n'être qu'une promenade un peu ennuyante, racontée sous l'angle d'une philosophie dépassée et discréditée.
 
 

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