(Lectures, novembre 1994)

 
DEAD RIGHT
 
 
par Martin Masse
 
 
RECENSION DE LIVRE: Dead Right, par David Frum
(New York: Basic Books, 1994)
 
 
    Bill Clinton a déjà traversé la moitié de son mandat et les Américains vont aux urnes le 8 novembre pour élire quelques gouverneurs, le tiers des sénateurs et pour renouveler la Chambre des représentants. Quatorze ans après la vague qui a porté Reagan au pouvoir, et au beau milieu d'une forte reprise économique, on pourrait croire que tous les espoirs sont permis pour les Démocrates. La « révolution conservatrice » des années 1980 n'est-elle pas bel et bien morte et enterrée?
    Eh bien non. En fait, comme au Québec et au Canada, elle n'a jamais réellement eu lieu, sauf dans le discours de politiciens qui n'ont pas eu le courage de réduire la taille de l'État comme ils prétendaient vouloir le faire. Et aujourd'hui, curieusement, ce sont des gouvernements de gauche qui doivent ravaler leurs principes et prendre les difficiles décisions auxquelles leurs prédécesseurs n'ont pu se résoudre.
    Dans Dead Right (un jeu de mots qui signifie à la fois « tout à fait juste » et « la droite morte »), David Frum va au-delà de la rhétorique pour montrer les limites de cette fameuse révolution conservatrice.
    Ainsi, au moment où Georges Bush quitte la scène en janvier 1993, le niveau de taxation moyen des Américains est pratiquement le même qu'en janvier 1981. Durant ces trois mandats républicains, aucun programme majeur de dépense du gouvernement fédéral n'a été aboli. Au lieu de réformer un programme comme Medicare, dont le coût augmente de 12% par année, ou un secteur économique en pleine débâcle comme les caisses d'épargne et de placement, on laisse faire pour ne pas déplaire à des couches de la population qui votent républicain. La facture? Quelques centaines de milliards de dollars.
    Comme au Québec et au Canada, cette irresponsabilité a mené à la crise fiscale et au gouffre budgétaire que l'on connaît présentement.
    David Frum montre bien comment, durant toutes ces années, le credo de libre marché et d'État minimal de la droite américaine a été graduellement mis de côté par manque de courage politique. Et aussi comment le discours a évolué vers d'autres thèmes, élaborés par différentes factions au sein du Parti républicain. C'est déjà la campagne présidentielle de 1996 qui se dessine au-delà de ce débat.
    Comme à gauche, où l'on se préoccupe maintenant plus de question identitaires et culturelles que des problèmes économiques du prolétariat, ce sont maintenant les fameuses « valeurs familiales » qui inspirent les esprits conservateurs. Les controverses les plus animées tournent autour de subventions gouvernementales à des peintres « obscènes »; la race, la sexualité, l'immigration, la religion monopolisent le débat. Des concepts qui nous sont familiers, bilinguisme et multiculturalisme, font maintenant partie du vocabulaire politique américain.
    Selon David Frum, cette évolution n'augure rien de bon. Son argument principal est que c'est justement l'omniprésence d'un État interventionniste et paternaliste qui permet et encourage toute cette dégradation culturelle et sociale qui préoccupe maintenant les conservateurs. En démissionnant devant la tâche trop ardue et politiquement risquée de réduire le rôle de l'État, on ne fait qu'empirer le problème.
    Cette argumentation, rapidement et très mal développée dans les derniers chapitres, est la partie la plus faible du livre. Elle permet à l'auteur de rejeter du revers de la main l'importance d'un courant minoritaire, mais de plus en plus influent, qu'on pourrait appeler « libertarien », représenté notamment par le gouverneur Bill Weld du Massachussetts. Ces Républicains tiennent un discours encore plus radicalement libéral sur tout ce qui concerne l'État et l'économie, mais récusent en même temps le conservatisme social et culturel des moralistes et nationalistes au sein de leur parti. Un point de vue libéral classique que David Frum, en quelques phrases simplistes qui détonnent avec le reste du livre, condamne comme contradictoire.
    Ces débats, qui ne trouvent aucun écho au Québec même s'ils se déroulent sous notre nez, risquent pourtant d'avoir un impact chez nous à plus ou moins brève échéance. Les Républicains pourraient, le 8 novembre, avoir repris le contrôle du Sénat et même de la Chambre des représentants pour la première fois en 40 ans. Et Bill Clinton est mal parti pour se succéder à lui-même dans deux ans. Malgré ses faiblesses théoriques, Dead Right nous donne d'intéressantes pistes sur les enjeux de ce qui pourrait devenir la seconde « révolution conservatrice » de cette fin de siècle en Amérique du Nord.
 
 

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