(ÉconoMédia, décembre 1999)

 
À BAS L'OMC, VIVE LE LIBRE ÉCHANGE! 
 
 
par Martin Masse
 
 
 
          Tous ceux qui rejettent la logique selon laquelle le libre-échange commercial a des effets bénéfiques sur l'économie ont pu se réjouir de l'échec des négociations de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) il y a quelques semaines à Seattle. Les socialistes, anarchistes, écolos, protectionnistes et autres illettrés économiques ont chacun leurs raisons de vouloir empêcher leurs compatriotes d'échanger avec des étrangers.
 
          Mais les libre-échangistes, eux, doivent-ils pour autant se désoler de cet échec? Pas du tout. Le terme « libre-échange » dans le débat actuel réfère en fait à des pratiques commerciales qui sont tout sauf libres, encadrées par des accords bilatéraux et multilatéraux, soumises à de multiples contrôles et inspections, régies par des mesures d'exception et entravées par des barrières plus ou moins flagrantes. L'OMC n'est qu'un forum mondial où les participants viennent s'affronter en cherchant à obtenir des « concessions » des autres (i.e. qu'ils ouvrent plus leur marché) tout en concédant le moins possible (i.e. en se « protégeant » contre les importations). Cette logique n'est pas celle du libre-échange, c'est celle du mercantilisme.
 
          Le mercantilisme est cette théorie économique très à la mode aux XVIe et XVIIe siècles, qui stipulait que la richesse d'un pays est fondée sur la quantité de pièces d'or qu'il peut accumuler. Ces pièces d'or, on les obtenait en favorisant l'exportation (donc, en rapatriant l'or avec lequel les clients étrangers nous paient) et en empêchant le plus possible les importations (pour éviter que l'or ne sorte du pays lorsqu'on paie les fournisseurs étrangers). Cette théorie est absurde pour plusieurs raisons évidentes, notamment parce que l'or en soi n'est qu'un moyen d'échange, il n'est pas la cause de la richesse. Si on ne s'en sert pas pour importer des biens autant qu'on en exporte (et donc pour accroître son bien-être avec des produits et services de l'étranger), on ne fait qu'augmenter la quantité de monnaie en circulation dans le pays, ce qui engendre de l'inflation. L'Espagne, qui a importé des quantités phénoménales d'or de ses colonies d'Amérique, ne s'est jamais remise des distorsions économiques que cela a provoqué.
 
          Cette théorie est absurde mais c'est pourtant celle qui continue à sous-tendre les négociations commerciales tout comme l'analyse des données économiques. Lorsque Statistique Canada annonce des chiffres sur le commerce canadien, on se réjouit si la balance commerciale est positive et si elle augmente; on le déplore si c'est l'inverse.
 
          La théorie économique contemporaine est pourtant tout à fait claire sur ce point: le libre commerce est une bonne chose, il encourage une division du travail bénéfique pour tous en permettant aux pays, régions et entreprises de se concentrer sur la production de biens et services où ils ont des avantages comparatifs. Un pays qui élimine toutes ses barrières au commerce en sort gagnant, même s'il est le seul à le faire. Ses consommateurs peuvent profiter d'importations moins chères (à cause de tarifs nuls mais aussi parce que les subventions à l'exportation profitent, en bout de ligne, aux consommateurs des pays qui importent), ses entreprises sont incitées à être plus compétitives et à mieux utiliser leurs ressources, et l'efficacité générale engendrée par l'absence de distorsions fait en sorte de rendre son économie beaucoup plus productive que celle de ses concurrents.
 
          Pendant les années d'après-guerre, les accords du GATT ont permis une croissance soutenue du commerce mondial en réduisant considérablement les tarifs sur les biens importés. Même avec une approche mercantiliste, il était alors beaucoup plus facile pour des gouvernements de s'entendre sur une baisse de quelque chose d'aussi évident et facile à mesurer. Aujourd'hui, alors qu'on discute du commerce des services, des produits agricoles, de culture, de pratiques protectionnistes comme les tracasseries administratives, subventions et quotas, réglementations ou obstacles à la distribution, il n'est tout simplement plus possible d'arriver à un accord.
 
          Le véritable libre-échange ne surviendra pas en mettant des politiciens et des bureaucrates du monde entier dans une grande salle pour qu'ils s'entendent sur des dossiers d'une telle complexité, alors que leur perspective reste celle, fausse et néfaste, du mercantilisme. Cela ne fait qu'encourager tout le monde à voir dans ces négociations une sorte de combat où il y a des perdants et des gagnants, alors que le commerce ne peut faire que des gagnants. Et cela donne un pouvoir indu à des manifestants barbares et à des groupes de pression qui ne représentent aucunement les intérêts de la population.
 
          Il y a un moyen bien simple pour les gouvernements qui le veulent de promouvoir le libre-échange: éliminer complètement et unilatéralement toute forme de barrière au commerce. On n'a pas besoin d'une bureaucratie mondiale comme l'OMC pour faire cela.
 
 
 
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