(Le Devoir, 29 février 1993)

 
LE HOCKEY,
FOSSOYEUR DE LA NATION? 
 
 
par Martin Masse
 
 
    Le discernement est une caractéristique de base de toute méthode philosophique, mais on ne doit pas s'attendre à ce qu'elle fasse partie de la démarche de tout soit-disant philosophe. Pierre Desjardins (Le hockey, notre miroir sur glace, Le Devoir, 27 janvier 1993) nous l'a bien démontré dans un article entièrement fondé sur un amalgame douteux.
    Pour M. Desjardins, violence et gros sous au hockey = libéralisme économique = américanisme. « On retrouve schématiquement dans le hockey les principales constituantes des principes qui guident le développement du libéralisme économique », principes qui seraient « véhiculés chez nous par l'américanisme ». De toute évidence, M. Desjardins est mal renseigné sur les sports, la théorie économique et les États-Unis.
    En premier lieu, le hockey vient très loin derrière le baseball, le basketball, le football et de nombreux autres sports en terme de popularité aux États-Unis. Il est pratiquement inconnu dans le sud du pays. Loin d'être un symbole des valeurs américaines, c'est surtout dans les états du nord-est qu'il est vraiment populaire.
    Mais, quelle que soit sa popularité, présumer un lien entre le hockey et le libéralisme économique ne tient pas debout.
    Toutes les sociétés à travers l'histoire ont eu leurs jeux « très exigeants » et « qui ne tolèrent aucun laxisme et aucune défection ». C'est la base même de la logique de compétition entre des équipes, pas une « tare de l'exercice du capitalisme pur et dur »!
    M. Desjardins compare justement le hockey aux combats de gladiateurs: les arènes romaines étaient-elles donc le lieu d'un « phénomène cathartique de la mimésis » entre le spectateur de l`époque et un capitalisme sauvage à la mode antique? Qu'y a-t-il donc de si calamiteux à ce que ce sport ne soit plus que « la réalisation d'un bon spectacle sur glace pour tirer le maximum de profit »? Ceux à qui ça ne plaît pas n'ont qu'à éviter de le regarder, ça aussi c'est le libéralisme.
    En fait, M. Desjardins se sert du hockey uniquement pour alimenter sa paranoïa anti-libérale et anti-américaine, en le présentant comme un symbole de la gangrène capitaliste qui se propage partout dans le monde. Peut-être s'agit-il d'un nouvel axiome de la science politique qui mériterait d'être approfondi: la popularité du hockey en Union Soviétique et dans d'autres pays de l'ex-Bloc de l'Est aurait subrepticement propagé l'idéologie néo-libérale et serait ainsi responsable du déclin des régimes communistes. La défaite soviétique lors de la série Canada-URSS de 1972 aurait donc été l'événement précurseur de la chute du totalitarisme.
    C'est encore plus plausible quand on pense que plusieurs joueurs ont filé à l'Ouest pour être plus grassement payés dès que cela a été possible. M. Desjardins nous aura avertis: le hockey « est tranquillement en train de conquérir la planète ». Tremblez pauvres mortels, la fin est proche!
    Cette diatribe contre le libéralisme économique est digne des plus beaux discours gauchistes des années 70, du temps où l'on voulait casser le système. Ainsi, « l'appât du gain, du profit, de la puissance économique, justifient dans nos sociétés le recours à n'importe quelle sorte de violence », Mme Lise Bissonnette ferait bien de méditer sur ces vérités premières et d'abandonner tout de suite la relance du Devoir. En procédant à une restructuration financière de façon à en faire une entreprise profitable et viable à long terme, elle alimente sans le savoir les impulsions les plus destructrices dans nos sociétés.
     La société américaine est probablement plus portée que la nôtre sur la violence, le spectacle et le matérialisme agressif. Mais de là à en faire des caractéristiques qui définissent la société toute entière et qui fondent une idéologie « américaniste », il y a un pas énorme que seule l'ignorance crasse permet de franchir.
     Qui plus est, M. Desjardins est-il au fait des débats intellectuels qui agitent les États-Unis et qui sont infiniment plus complexes que les nôtres? Sait-il que le néo-libéralisme (Neoconservatism aux États-Unis), loin d'être le seul courant de pensée dans ce pays comme plusieurs le croient ici, est contesté à droite comme à gauche et vient justement d'être évincé du pouvoir à Washington?
    L'amalgame des amalgames, il fallait s'y attendre puisque nous sommes au Québec, c'est bien sûr lorsque M. Desjardins s'attaque au hockey, au libéralisme et à l'Amérique anglophone pour en faire les ennemis du pauvre petit peuple québécois.
    De quoi inspirer Mme Lise Payette pour son prochain documentaire: Disparaître 2. Le hockey fossoyeur de la nation québécoise. Et en plus, ils veulent construire un nouveau Forum plus grand et plus fonctionnel. On est vraiment foutu!
 
 

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