Montréal, 18 mars 2000  /  No 58
 
 
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Offrez-vous une page de départ digne d'un Québécois ou d'une Québécoise libre.
 
POLÉMIQUE
  
LA LIBERTÉ NOUS MÈNE-T-ELLE
À NOTRE PERTE?
  
          1 - J'aimerais savoir quelle est votre position sur la question de l'écologie. Sans réglementation et en tenant compte de la logique même du marché, ne pensez-vous pas que l'on court à notre perte? 
  
          Peut-on vraiment se fier à la bonne foi des membres des conseils d'administration des multinationales pour remédier à ces problèmes?
 
          2 - Pensez-vous vraiment que si on coupe des programmes comme l'assurance-emploi et le B.S., les malades mentaux, les alcooliques, les gens aux prises avec des problèmes de drogue, les mères monoparentales, les paresseux se mettront subitement à chercher un emploi? 
  
          Et peut-on, encore là, dans un contexte de libre marché et donc de compétitivité, penser qu'ils recevront l'aide charitable et volontaire de leurs compatriotes? 
  
          3 - Le libre marché est l'art d'offrir aux gens ce qu'ils veulent. Or ce que les gens veulent est-il nécessairement ce qui est le mieux pour eux? Par exemple, au niveau de l'éducation, pensez-vous qu'il est mieux qu'un jeune lise Chateaubriand ou la biographie de Céline Dion? – et ce, même si une majorité de parents opteraient assurément pour le second choix? Or en suivant de tels choix, le Québec se dirigerait inévitablement vers le tiers-monde. 
  
          4 - Votre théorie a un autre nom. Et ce n'est pas « néo-libéralisme », mais plutôt « darwinisme social » – théorie qui est tombée en désuétude au début du siècle. 
  
          Croyez-moi, je suis un amant de la liberté, mais je suis loin de croire que le marché est la solution qui régulariserait la société. Le marché est par définition irrationnel puisqu'il suscite des besoins pour des produits dont nous n'avons pour la plupart du temps aucunement besoin et favorise donc une surconsommation et une surproduction dont notre planète pourrait se passer. 
  
          Pire, le marché crée une dépendance non pas à l'égard d'un produit, mais plutôt à l'égard de l'image que ce produit projette. Ainsi, c'est la marchandise qui définit, pour plusieurs, ce qu'il souhaite être, mais non pas ce qu'il est. L'individu s'éloigne ainsi de plus en plus de lui-même au profit d'une représentation de ce qu'il souhaite être. Plus le marché aura de latitude, plus ce phénomène s'accélérera et plus l'humain s'éloignera des valeurs fondamentales qui devraient l'animer au profit d'une recherche incessante d'accumulation de marchandises. 
  
          Bonne chance tout de même. Mais le jour où notre ennemi commun (l'État) tombera, je crois fort que ce sera moi contre vous car je crois beaucoup plus à l'utopie autogestionnaire qu'à votre multi-nationalisation soi-disant rationnelle et scientifique. 
  
F. D.
  
Réponse de Martin Masse: 
  
Monsieur D., 
 
          En réponse à vos questions: 
  
          1. Non, nous ne courons pas à notre perte. Dans une logique de marché, il ne s'agit pas de se fier aux conseils d'administration des multinationales, mais plutôt de redonner aux gens le droit de défendre leur propriété. Comme l'explique notre chroniqueur Pierre Desrochers (voir DÉRÉGLEMENTER N'EST QU'UNE PREMIÈRE ÉTAPE POUR VAINCRE LA POLLUTION, le QL, no 1 ), les États ont limité depuis plus d'un siècle le droit de poursuivre les pollueurs de façon à encourager l'industrialisation et ont fermé les yeux sur la pollution des espaces « publics » (i.e., étatisés, qui appartiennent supposément à tout le monde et donc à personne). Si on redonnait leur force légale aux droits de propriété, la pollution serait considérée comme une atteinte à la propriété d'autrui. Les pollueurs seraient alors forcés de trouver d'autres façons de produire ou à tout le moins de s'entendre avec les victimes sur une compensation appropriée. Se fier sur l'intelligence du gouvernement plutôt que sur le marché est beaucoup plus risqué, comme l'expérience des ex-pays communistes dévastés par la pollution le prouve. 
  
          2. Les gauchistes nous répètent constamment que nous sommes une société « solidaire » et que cela justifie qu'une partie importante de notre revenu nous soit enlevée de force pour être redistribuée. Si nous sommes si solidaires, je ne vois pas pourquoi les gens qui en ont réellement besoin – une petite minorité de la population seulement – ne recevraient pas cette aide de façon volontaire. La grosse différence avec aujourd'hui est que la classe parasitaire de bureaucrates et d'assistés (pas seulement les assistés sociaux, mais aussi les compagnies subventionnées et tous ceux qui bénéficient de programmes de redistribution) qui profitent du travail des autres n'auraient plus la vie aussi facile. 
  
  
     « Une population libre et responsable apprend à faire les bons choix, une population infantilisée pour qui on décide tout se contente de vivoter dans la médiocrité. » 
 
  
          3. « Ce que les gens veulent est-il nécessairement le mieux pour eux? » Mmm, en quoi ça vous regarde? Faites-vous partie de la petite élite connectée sur la lumière divine qui sait ce qui est bon pour nous et qui se croit justifiée de nous l'imposer? La responsabilité va de pair avec la liberté. Si les gens sont libres et qu'ils font les mauvais choix, ils n'ont qu'à en subir les conséquences et à se réajuster. C'est ainsi qu'on apprend. Une population libre et responsable apprend à faire les bons choix, une population infantilisée pour qui on décide tout se contente de vivoter dans la médiocrité. 
  
          4. Le libre marché n'a strictement rien à voir avec le darwinisme social, une doctrine qui prétend qu'il y a une lutte féroce entre les classes et qui justifie l'exploitation des plus faibles par les plus forts. Les libertariens croient au contraire que la coopération pacifique et volontaire entre les individus dans un contexte de libre marché est dans l'intérêt de tous. 
  
          Si je comprends bien, dans votre « utopie autogestionnaire », le marché n'existera plus mais l'État ne décidera pas non plus pour nous. Mais, comme on ne peut non plus faire confiance aux individus – c'est clair que vous ne croyez pas dans leur capacité de décider pour eux-mêmes ce qui est le mieux pour eux –, il devra y avoir tout de même une autorité pour décider ce qui est un « besoin rationnel » et ce qui n'est qu'une « dépendance à une image », ce qui est une valeur fondamentale et ce qui n'est qu'accumulation de marchandises. Qui décidera donc? La petite clique qui contrôlera « démocratiquement » le collectif autogéré à la base et qui imposera sa vision lumineuse, je suppose, et dont vous espérez faire partie? J'ai toujours pensé que l'anarchisme de gauche, cette utopie autogestionnaire que vous défendez, n'est qu'un totalitarisme qui s'ignore. Vos propos n'ont rien pour me contredire. 

    Bien à vous, 
  
M. M. 
 

 
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