Montréal, 13 mai 2000  /  No 62
 
 
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Brigitte Pellerin est apprentie-philosophe iconoclaste, diplômée en droit et en musique. Elle poursuit des études supérieures en science politique. 
 
BILLET
 
L'ÉTÉ EN FOLIE
 
par Brigitte Pellerin
  
  
          L'été est souvent la période de l'année où l'on se laisse aller à faire quelques conneries qu'on ne se permet généralement pas. Étant donné que le QL prend des petites vacances, je voudrais vous mettre en garde contre certains excès qui pourraient coûter plus cher que vous ne le croyez.
 
C'est le temps des vacances... 
 
          L'été, disais-je, est la période de l'année où l'on se lâche lousse. 
  
          Par exemple: se coucher à l'heure où les oiseaux se mettent à gazouiller, boire trop de bière et manger des sacs et des sacs de chips au ketchup, avaler quantités de hot-dogs et autres barbecuteries, choper un cancer de la peau en s'endormant la bedaine à l'air sur une plage du Maine, se faire percer les narines ou tatouer une rose à la cheville, conduire à grande vitesse, la musique dans le piton et les cheveux au vent, sur les routes ensoleillées, sortir en boîte – et en mini-jupe – puis se ramasser chez le premier galant venu histoire de déguster l'omelette de 4 heures du matin, etc., etc., etc. 
  
          Bof, ça ne fait rien, allez. Faites la fête, prenez des risques, amusez-vous. Profitez-en donc pour essayer le bungee, le parachute, ou l'escalade. Pourquoi pas une randonnée en sea-doo, un coup parti?  
  
          Les conséquences? Bof, on s'en tape. On verra plus tard, beaucoup plus tard. La vie est tellement courte, après tout. Il faut bien en profiter pendant que ça passe. 
  
          J'ai raison, ou j'ai pas raison? Et puis de toutes manières, l'État est là pour nous ramasser quand on se plante, à la petite cuillère s'il le faut. 
  
          Mangez des cochonneries, pas de problème. On vous opère gratis pour l'appendicite. Et dans quelques années à ce régime, vous serez gratuitement traités pour une « maladie » du coeur – tu parles, les artères bouchées par des tonnes de graisse McDo, ce n'est pas exactement ce que j'appelle une maladie (sans compter que traiter les irresponsables comme si leur condition était dûe à des événements indépendants de leur volonté, ça vous banalise les « vraies » maladies cardiaques quelque chose de pas permis). 
  
          Et puis un jour, qui sait, peut-être les lipposuccions seront-elles couvertes par le régime public de « santé »... 
  
  
     « Allez-y fort cet été; n'hésitez surtout pas à faire des bêtises. La belle solidarité sociale s'occupera d'estomper les traces de vos petits méfaits. Les conséquences? Bof, ça doit sûrement pouvoir s'arranger. Et c'est tout le monde – y inclus ceux qui se conduisent de façon responsable – qui paiera la note. » 
 
 
          Conduisez en fou, pas de problème. Notre régime d'assurance-automobile est sans égard à la faute, c'est-à-dire que vous êtes assurés peu importe qui cause l'accident et pour quelle raison. Indemnités garanties. Bonus: se pointer à l'hôpital en ambulance – une « vraie » urgence – veut dire passer en avant de tout le monde et s'éviter des heures et des heures d'attente sur une chaise en plastique inconfortable comme il ne s'en fait heureusement plus. 
  
          Le même raisonnement s'applique, il va sans dire, aux sports extrêmes et autres folies physiques pour lesquelles notre mode de vie sédentaire nous prépare bien mal. On ne s'improvise pas expert-grimpeur, non plus parachutiste, du jour au lendemain. 
  
          Never mind, allez-y sans crainte. Les salles d'urgences sont gratuitement mises à votre disposition, juste au cas où vous vous casseriez bêtement la figure. 
  
Mon tatou me rend fou 
 
          Mais ce n'est pas la meilleure, loin de là. La meilleure est arrivée par la voie d'un juge au grand coeur la semaine dernière. Grâce à l'avocat pro-victimes bien connu Me Marc Bellemare, un jeune homme de 29 ans s'est fait reconnaître le droit à une « dermabrasion » aux frais de la princesse. 
  
          La dermabrasion, c'est l'opération qui consiste à effacer des tatouages par un traitement au laser – qui coûte, dans le cas qui nous occupe, entre 3500$ et 5000$. Le juge Jean-Roch Landry, de la Cour supérieure du Québec, a donné raison la semaine dernière à Alain Desbiens, qui demandait l'aide de ses contemporains pour se faire enlever un tatouage qui, selon la photo publiée, n'est assurément pas joli et qui orne le haut de son avant-bras droit depuis une bonne dizaine d'années. 
  
          Selon ce qu'en disait La Presse du 3 mai, le jeune homme se serait fait tatouer une tête de mort à l'âge de 18 ans pour exprimer sa colère à la suite des abus et de la violence dont il avait été victime de la part de ses parents. 
  
          Ouais. Je veux bien sympathiser, mais il me semble qu'il y a des limites. Personne ne l'a entraîné de force chez l'artiste [sic]. Le tatouage est encore une activité volontaire, que je sache; et c'était son droit le plus strict de se laisser barbouiller l'épiderme. Sauf que maintenant que Desbiens réalise qu'il a peut-être fait une erreur de jeunesse, il réussit à tous nous faire payer pour effacer la tête de mort qui lui décore [re-sic] l'avant-bras, sous prétexte que le dessin lui rappelle des « chocs passés ». 
  
          N'importe quoi. 
  
          Tout ça pour vous dire d'y aller fort cet été; n'hésitez surtout pas à faire des bêtises. La belle solidarité sociale s'occupera d'estomper les traces de vos petits méfaits. Les conséquences? Bof, ça doit sûrement pouvoir s'arranger. Et c'est tout le monde – y inclus ceux qui se conduisent de façon responsable – qui paiera la note. 
 
 
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