Montréal, 16 septembre 2000  /  No 67
 
 
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Yvan Petitclerc est historien et habite à Montréal.
 
OPINION
  
CHRISTINA HOFF SOMMERS ET LA GUERRE CONTRE LA MASCULINITÉ
 
par Yvan Petitclerc
  
 
          « Once championning women's rights was synonymous with championning equal rights. That's no longer true... We must realize that equality means equal opportunity and more options not equal results. While there is much science has yet to discover about gender differences, it seems likely that all abilities and preferences are not distributed evenly between the sexes. We may never achieve a society in wich women make up 50% of corporate CEO and engineers while men make up 50% of nurses and homemakers. The dogma that gender justice requires 50-50 parity can become a justification for coercive social engineering. » (Cathy Young, Jewish World Review, 6 août 2000)
 
          Aussi bien le préciser tout de suite. S'il y a une chose à laquelle je tiens par dessus tout c'est bien mon indépendance d'esprit. Je ne me revendique ni de la droite ni de la gauche. Ceci étant dit ça ne m'empêche pas de trouver bizarre certaines tendances actuelles. Dont celle qui fait en sorte que quiconque rappelle un simple fait ne faisant pas l'affaire d'un milieu donné se voit automatiquement étiqueté comme néo-conservateur. Les réactions au dernier livre de Christina Hoff Sommers, The War against Boys, en sont un bel exemple. 
  
          Prenez simplement les réactions suite au dossier que le magazine Voir lui a consacré. Dans une lettre subséquente du courrier des lecteurs on pouvait y lire: « Il est ici question de la diffusion massive d'idées qui séduisent les Républicains américains, l'Alliance canadienne, le Reform Party et les intégristes catholiques. » Attendez ce n'est pas fini: « Même si le journaliste ne l'a pas signalé, les solutions que préconise Christina Hoff Sommers dans son livre The War against Boys – la discipline et la non-mixité dans les écoles – sont les deux mots d'ordre à la mode dans les milieux conservateurs ». 
   
          Imaginez un peu. La discipline devenue soudainement de façon inhérente une « méchante » valeur de droite. J'imagine que les étudiants asiatiques que la gauche se targue tant de défendre sous le couvert de la promotion des minorités réussissent si bien à l'école parce qu'ils n'ont aucun sens de l'auto-discipline et qu'ils passent les journées à danser sur leurs pupitres...  
  
          Quant à la mixité dans les écoles, les raisons éventuelles pour ou contre celle-ci doivent certes faire l'objet d'un débat. Mais comme le souligne Hoff Sommers et d'autres avant elle, est-ce une raison pour rester aveugle devant toute forme de double standard à cet égard?: « Pendant ce temps lors de son discours inaugural en 1994 à titre de présidente du Barnard College l'anthropologiste Judith Shapiro défendait les institutions non mixtes pour les femmes parce qu'elles étaient importantes pour l'estime de soi et pour l'avancement professionnel. Cependant les institutions scolaires non mixtes pour hommes (les académies militaires par exemple) étaient vues comme produisant un comportement dégradé. » (Lionel Tiger, The Decline of Males, 1999). 
  
          Quant à ces idées séduisant les soi-disant intégristes catholiques, je rappellerais simplement que le site du Jewish World Review a fait trois critiques fort élogieuses de l'ouvrage de Hoff Sommers et que le magazine Commentary notait pour sa part: « ce sont maintenant les garçons qui font face aux plus formidables obstacles. Dans son nouveau livre Christina Hoff Sommers fait une contribution des plus étendues à ce titre... Mais tout comme un certain nombre de "social scientists" qui ont souligné des tendances alarmantes seulement pour être ridiculisés et rejetés d'abord et pour se voir donner raison ensuite, Christina Hoff Sommers semble être bien en avance sur son temps. » Si le magazine Commentary fait droite religieuse chrétienne dans l'esprit de certains, alors là on a un sérieux problème de perception. 
  
Des idées préconçues 
  
          Depuis la publication de cet ouvrage, des critiques tant élogieuses que sévères se sont faites entendre. Or quant à ces dernières, force est de constater qu'elles touchent principalement à certaines idées préconçues au sujet des véritables intentions de l'auteur. Une de celles qui reviennent le plus souvent prétend que Hoff Sommers fait l'éloge d'une soi-disant « vraie » masculinité au sens, on le devine, un peu péjoratif du terme. Comme si l'auteur ne faisait aucune nuance. 
  
          À ce chapitre il est intéressant de voir qu'alors que Hoff Sommers distingue clairement ce dont elle parle, ses détracteurs n'évoquent pas le passage suivant de son livre: « les criminologistes distinguent entre l'hypermasculinité (ou masculinité de protestation) d'une part et la masculinité normale et saine des jeunes hommes d'autre part. Les jeunes hommes hypermasculins expriment leur masculinité à travers des comportements anti-sociaux surtout envers d'autres hommes, mais aussi à travers des agressions violentes envers les femmes. Les jeunes hommes sains expriment leur masculinité lors d'activités de compétition souvent physiques. Alors qu'ils deviennent matures, ils prennent des responsabilités, visent l'excellence, réalisent des choses et "gagnent". Ils affirment leur masculinité lors d'activités qui requièrent des habiletés physiques et intellectuelles ainsi que de l'auto-discipline. Malheureusement plusieurs éducateurs sont devenus convaincus qu'il y a quelque chose de vrai dans cette affirmation sans cesse répétée que la masculinité est en soi la cause de la violence. »  
  
  
     « Les doubles standards et les jugements biaisés existent bel et bien dans nombre de milieux académiques, qu'ils soient féministes ou non. Christina Hoff Sommers a raison de s'y attaquer. » 
 
  
          Une seconde accusation se veut plus subtile. Par une étrange association d'idées on voudrait nous faire croire que les défenseurs de Hoff Sommers ou d'une certaine forme de masculinité (chose tabou s'il en est une aujourd'hui) ne pourraient donc par extension n'être que de virulents homophobes d'une part, et que d'autre part tout homme ne se revendiquant pas de Hoff Sommers serait nécessairement, lui, on ne peut plus heureux d'acquiescer aveuglément à tous les dogmes professés par le féminisme lesbien. 
  
          Mais alors si on accepte que les défenseurs de la masculinité soient automatiquement de virulents homophobes réactionnaires, que sont alors les hommes gays? Tout sauf masculins? Dans le cas contraire, s'ils le sont (et dieu sait que ce milieu en perpétue des stéréotypes masculins) pourquoi les féministes ne les attaquent-elles pas de front au lieu de trouver progressiste d'interdire à un enfant de six ans de courir sous prétexte d'attitude « violente »? Après tout, comme le dit si bien une autre féministe avec laquelle nombre de personnes ont de la difficulté à composer, « seuls les hommes gays préservent le culte de la masculinité » (Camille Paglia). Où sont les attaques féministes et féministes lesbiennes contres les hommes gays alors? Ces mêmes hommes gays aujourd'hui coupables entre tous de défendre cette « horrible » chose qu'est la masculinité. Quant on connaît le fort ressort lesbien ou bisexuel du féminisme académique présent ou passé (Helen Cixous, Monique Wittig, Adrienne Rich, etc., etc.) facile de comprendre pourquoi ça pourrait être, disons, un peu délicat... 
  
Misandrie et hétérophobie 
  
          Une autre accusation commune est celle selon laquelle la popularité de Hoff Sommers ne serait pas ce qu'elle est sans un indéracinable fond de misogynie dans nos sociétés. Comme quoi on peut constater que certains doubles standards se portent toujours bien. Une critique justifiée des excès du féminisme académique ou des méthodes d'enseignement inadaptées aux garçons serait nécessairement misogyne, mais la misandrie et l'hétérophobie qui sont issues de ce même milieu académique devraient bien sûr être acceptées à titre de discours non biaisé. Considérez un peu ceci:  
          « Décidez de ne pas participer à l'institution de l'hétérosexualité » (Joyce Trebilcot, philosophie et études féminines à la Washington University à St-Louis). 

          « Les hommes ont créé les idéologies et les pratiques politiques qui ont continuellement naturalisé l'hétérosexualité féminine dans chaque culture et ce, depuis l'aube du système patriarcal » (Marylin Frye, enseignante à la Michigan State University).

          Ce type d'affirmation ne s'arrête pas là. En voici d'ailleurs une autre excellente rapportée par Daphnai Patai dans son ouvrage Heterophobia au sujet de certains propos de la lesbienne séparatiste Sheila Jeffreys: « La révolution sexuelle, soutient Jeffreys, se fait au détriment des femmes. Le but de la libération des femmes et particulièrement de la libération des lesbiennes est la destruction de l'hétérosexualité en tant que système... Le désir hétérosexuel est l'érotisation des différences de pouvoir. Loin d'être motivé par un ressort biologique, le désir hétérosexuel trouve son origine dans une relation de pouvoir de l'homme envers la femme, bien qu'elle admet que des différences de pouvoir peuvent aussi exister dans le cadre de relations entre individus de même sexe. » Et c'est là où le délire devient encore meilleur: « Mais là où le sado-masochisme ou les jeux de rôle se produisent, Jeffreys explique qu'il faut alors parler de relations... hétérosexuelles »! 
  
          Au fait, avez-vous vu les derniers vidéos XXX « hétérosexuels » à la mode? Trois gars qui baisent ensemble avec séance de dressage, discipline, costumes militaires et scènes multiples de domination/soumission... Plus hétéro que ça tu meurs!  
  
          Mieux encore, toujours de l'ineffable Jeffreys qui enseigne à l'UNIVERSITÉ!: « Les féministes lesbiennes sont un problème parce qu'elles questionnent la nécessité pour toute femme d'organiser sa vie autour de l'érotisation de sa propre subordination. » Mais évidemment celle qui raconte des élucubrations c'est celle qui publie un livre sur « la guerre contre les garçons » avec une rigueur intellectuelle et des recherches documentées alors que celle qui dit des choses sensées c'est celle qui nous dit que le désir hétérosexuel est une construction sociale où toutes les femmes ne font que « jouir » de leur oppression... Au fait une écrasante majorité d'hommes gays disent que l'homosexualité n'est pas une construction sociale mais qu'ils sont nés comme ça. Décidément cette chère Sheila a beaucoup de travail devant elle. 
  
Lesbiennes féministes radicales 
  
          Mais poursuivons un moment sur quelques-unes des autres critiques formulées à l'endroit de Hoff Sommers. On a dit que tout ça ne faisait que donner mauvaise presse aux féministes en exagérant l'importance d'une certaine forme de radicalisme biaisé dans nombre de facultés universitaires de sciences humaines. Or voudrait-on exagérer ou inventer certains cas, qu'on ne pourrait même pas faire mieux. 
  
          « Il y a plusieurs années, des étudiantes d'une classe d'art féministe ont couvert des murs d'un campus avec des feuillets portant la mention: ces hommes sont des violeurs potentiels. À côté de ceux-ci apparaissaient les noms d'hommes choisis au hasard à partir du bottin étudiant » (Cathy Young, Jewish World Review, 10 février 2000). J'imagine déjà la réaction si un prof d'université avait décidé dans sa classe d'écrire au hasard le nom d'étudiantes sous la mention Potential gold diggers... La journée même on aurait avec raison congédié cet imbécile. Rappelons ici encore une fois qu'il s'agit là d'un événement qui s'est produit dans une UNIVERSITÉ. 
  
          Considérez maintenant cet autre exemple tiré du Devoir du 16 mars 1999, qui rapporte les propos de Claudette Gagnon, auteur d'une thèse sur la réussite selon le sexe: « Plusieurs se demandent si on doit adapter l'école aux garçons. À mon avis, dit Claudette Gagnon, on n'arriverait à rien, car ils ne sont pas victimes du système scolaire mais plutôt de leur propre culture de sexe. C'est sur cette dernière qu'il faut axer. » Mieux encore, lors d'une entrevue à l'émission Le Point (SRC, 21 septembre 1999) elle ajoutait au sujet de l'échec scolaire des garçons: « l'effort et l'investissement leur semblent féminins » 
  
          Savoureuse affirmation s'il en est une. Voici maintenant l'absence d'effort dans un cadre donné (où est le manque d'effort des garçons dans certaines activités de compétition?) et dans des circonstances précises, devenue un manque inhérent pouvant être associée en bloc à un sexe donné.  
  
          Imaginez maintenant ceci: Aujourd'hui, 97 % des entreprises de Sillicon Valley sont fondées et dirigées par des hommes. On se demande avec raison pourquoi il n'y a pas plus de femmes à Silicon Valley. Un chercheur masculin se penche alors sur la question pour nous dire que c'est parce que « pour les femmes (sans nuance importante en égard au contexte) l'effort et l'investissement leur semblent masculins ». J'imagine la réaction. On enverrait promener cet halluciné. Mais dans l'autre sens ce n'est évidemment que vérité, science infuse et analyse rigoureuse. 
  
          Les doubles standards et les jugements biaisés existent bel et bien dans nombre de milieux académiques, qu'ils soient féministes ou non. Hoff Sommers a raison de s'y attaquer. 
 
 
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