Montréal, 16 septembre 2000  /  No 67
 
 
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Olivier Golinvaux est étudiant (DEA) à la faculté de Droit d'Aix-en-Provence.
 
À BON DROIT
  
PÉTROLE: ENCORE UNE ÉRUPTION DE FRANCHOUILLARDISE
 
par Oliver Golinvaux
  
  
          Dans mes récents articles, je vous distrayais – du moins en ai-je le fol espoir – avec de franchouillardes petites histoires d'agriculteurs et de syndicalistes preneurs d'otages. L'actualité pétrolière me donne aujourd'hui l'opportunité d'effectuer une petite variation sur le même thème.
 
Le sport national des Français 
  
          Cette fois, ce sont des organisations professionnelles – « patronales » – qui se sont mises sur le sentier de la guéguerre. Bloquant routes et raffineries pour protester contre la hausse des prix des carburants, quelques marins pêcheurs, agriculteurs et autres transporteurs routiers ont démontré – ce qui à vrai dire était complètement superfétatoire – que prendre ses concitoyens en otage pour mieux « négocier » avec les escrocs gouvernementaux était un véritable sport national. 
  
          La comédie se déroule en trois actes: 
  • 1. Le décor: la séculaire et molasse résignation des Français à subir la fiscalité délirante sur les produits pétroliers. 

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  • 2. L'événement: l'élévation ponctuelle des cours mondiaux du baril de brut, amenant les prix à la pompe à un seuil « psychologiquement critique ». 

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  • 3. La chute calamiteuse: la rage pitoyable de l'animal fiscal qui, quoiqu'accoutumé à souffrir bravement à longueur d'année sous le fouet de la TIPP (Taxe intérieure sur les produits pétroliers), ressent soudain à l'occasion d'une piqûre de moustique – l'augmentation des cours – une douleur si vive qu'elle le sort de sa torpeur. 
          L'affaire m'a paru digne d'y consacrer quelques lignes. Elle constitue une illustration tout à fait exemplaire du genre de mentalité que l'on cultive en France, un nouvel opus obscène de « l'exception française », cocktail d'anticapitalisme puéril et d'incantations tirées du vaudou républicain. 
 
Fiscalité et carburants 
 
          Les carburants en France sont d'abord et avant tout un prétexte à l'impôt. À la limite, rouler grâce à leur combustion devient une activité négligeable, voire moralement condamnable quand on raisonne sur la question en bon crackpot gauchiste. Ce qui est noble dans l'affaire, c'est le jus fiscal que l'on tire des automobilistes égoïstes et qui contribue au financement des « indispensables services publics » qui forment la colonne vertébrale de la substantifique nation France – et bla et bla et autres subtilités liturgiques.  
 
          La résignation face à l'ampleur de la fiscalité sur les carburants – et au-delà, de la fiscalité en général – est intimement liée au bombardement idéologique séculaire que subissent les Français sur le soi-disant caractère vital d'un État régulateur et omniprésent sans lequel la société française se vautrerait dans la luxure capitaliste anglo-saxonne, malmenant les faibles et les opprimés – traduisez: les fonctionnaires et autres free-riders.  
  
          Le Français moyen a tout de même bien compris que le pendant d'un secteur public ventru était une fiscalité adipeuse. Convaincu de l'incontournable nécessité du premier, il est d'autant plus enclin à se résigner à la seconde. Mais ce vecteur idéologique d'obéissance, très général, est pour le coup doublé d'un autre, plus spécifique. En effet, le constructivisme crasse qui caractérise la pensée politique et économique dominante surajoute en la matière une apparente et brumeuse complexité qui contribue à désarmer les esprits rebelles. Je précise ma pensée par un exemple. 
 
  
     « Les Français, bien convaincus depuis la tendre enfance des "défaillances du marché", tendent à raisonner comme si le prix d'une denrée X devait impérativement être corrigé par les hommes de l'État pour que des questions comme la pollution ou les incidences en matière de santé soient prises en compte. » 
 
 
          Prenons le syndrome vert, particulièrement virulent depuis quelques temps. Imbriqué dans la culture du politiquement correct, il pousse Jacques Bonhomme à pressentir « l'anarchie » si l'on en venait à réduire dramatiquement – et a fortiori si l'on supprimait – la taxe intérieure sur les produits pétroliers. Qu'adviendrait-il de la qualité de l'air si l'on abandonnait la trique fiscale bienveillante et dissuasive? Après tout, critiquer l'ampleur gargantuesque de la fiscalité sur les produits pétroliers serait bien mal venu si dans le même temps on vocifère en faveur des écotaxes et des mesures incitatives en faveur de l'usage des transports en communs(1) 
  
          Les Français, bien convaincus depuis la tendre enfance des « défaillances du marché », tendent à raisonner comme si le prix d'une denrée X devait impérativement être corrigé par les hommes de l'État pour que des questions comme la pollution ou les incidences en matière de santé soient prises en compte. Pour parler la langue anthropomorphe du cru, le marché serait « aveugle » s'agissant de ces questions. 
 
          Ainsi, il ne faut pas s'étonner que le grand cirque politico-médiatique ait accueilli ces derniers jours avec ferveur une énième représentation du numéro écologiste du « développement durable ». Et bien entendu, les grands prêtres de la correction du marché ne manquent pas de présenter leurs charlataneries sous le vernis de la complexité insondable. N'avez-vous jamais eu l'impression, en écoutant un ministre des finances agiter sa novlangue, que la fiscalité était une discipline moins abordable pour le commun des mortels que la physique nucléaire?  
  
          La résignation des esclaves fiscaux à voir leurs revenus éclusés de la sorte est considérablement renforcée par ce sentiment d'impuissance. Ignominieusement persuadés que la terre est plate et que l'on s'approche dangereusement du bord, la peur du vide les pousse à consentir de bonne grâce à obéir aux directives de « ceux qui savent ». 
 
          L'augmentation des cours mondiaux des produits pétroliers, pour Jacques Bonhomme, est d'une toute autre nature qu'une aggravation de la fiscalité. Il la lie au marché, au capitalisme, au billet vert, au havane taille double corona qu'il imagine décorant le visage d'un PDG d'une grande pétrolière – bref tout ce qu'il exècre. Une réelle augmentation des prix – liée à un nouveau rapport entre offre et demande – est pour lui une pilule plus dure à avaler qu'une augmentation équivalente de la fiscalité.  
  
          Et la statotélévision française n'a pas manqué de verser son huile démagogique sur le feu de cet illettrisme économique, en pointant un doigt accusateur vers les profits des grosses compagnies pétrolières. Et Jacques Bonhomme d'applaudir niaisement.... 
 
          Certes, le libertarien que je suis est loin de se satisfaire de l'état actuel du marché des produits pétroliers. Il est gangrené par le cartel étatique qu'est L'OPEP. De plus, la collusion entre les grandes pétrolières et les hommes de l'État – pour obtenir expropriations et protections – est une réalité historique. Mais peu importe pour notre propos. Ce qui gène Jacques Bonhomme, c'est surtout l'aspect « marché » et à la limite, s'agissant de l'OPEP l'aspect « étranger », pas l'aspect étatique. Une augmentation des cours dans le cadre du laissez-faire le plus complet n'aurait pas déclenché une réaction populaire bien différente, si ce n'est que mon pessimisme sur l'anticapitalisme à la française me la fait entrevoir pire encore. 
 
          Ainsi, la franchouille est sortie de sa torpeur surtout parce qu'il y avait là un phénomène qu'elle impute au grand Satan qu'est le marché. Bien entendu, il est difficile d'affirmer qu'elle ne l'aurait pas fait si on avait assisté à une augmentation similaire des prix à la pompe ayant pour cause une nouvelle aspiration made in Bercy (le site du ministère des Finances). Toutefois, le soutien populaire aux quémandeurs des différentes organisations professionnelles impliquées dans la crise mérite d'être relevé. D'après les sondages, pratiquement les trois quarts des personnes interrogées admettaient la « légitimité » des coups de force... 
 
 
1. C'est ainsi que les verts de la coalition écolo-socialo-communiste nous ont offert il y a quelques jours une délectable démonstration de discorde gouvernementale, lorsque Lionel Jospin a finalement cédé aux revendications des démocrates de barricades – les mêmes que les démocrates de palais, en moins hypocrites, cela dit en passant.  >>
 
 
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