Montréal, 30 septembre 2000  /  No 68
 
 
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Cécile Philippe et Nicolas Bouzou sont économistes au Séminaire Jean-Baptiste Say de l'Université Paris-IX-Dauphine.
 
OPINION 
  
LA MATHÉMATISATION
DE L'ÉCONOMIE: CONTRE 
  
par Cécile Philippe et Nicolas Bouzou
 
 
          Les étudiants ont raison: la science économique est trop souvent présentée en France comme un ensemble de relations mathématiques désespérantes, incompréhensibles pour qui n'a pas eu la chance d'être né sous le signe de l'arithmétique, et sans prise avec la réalité(1). Les conséquences sont sérieuses: désaffection des étudiants vis-à-vis de l'étude de l'économie, mais aussi perte de crédibilité de la discipline dans les milieux d'affaires. Ce phénomène est d'autant plus regrettable qu'il existe depuis le XIXème siècle une tradition française méthodologique qui privilégie la logique verbale à la formalisation mathématique.
 
Pour un enseignement économique vraiment pluraliste 
  
          Le recours aveugle aux mathématiques en économie se fonde sur le postulat erroné selon lequel il serait possible d'appliquer la méthode des sciences physiques aux sciences humaines(2). Pour résumer, on représente des relations entre « variables » sous forme d'équations. On teste ensuite la « maquette » ainsi obtenue au moyen d'un appareil économétrique sophistiqué. Si le test économétrique est satisfaisant, la théorie est adoptée, du moins jusqu'à ce que l'on en ait trouvé une autre plus explicative. Elle est rejetée dans le cas contraire. 
  
          Cette méthodologie est aujourd'hui couramment admise. Elle est cependant critiquable et fort éloignée des enseignements d'un Jean-Baptiste Say, d'un Jacques Turgot ou d'un Frédéric Bastiat. L'utilisation des mathématiques pose en effet des problèmes souvent passés sous silence. Le concept de variable en économique est notamment dénué de sens. En effet, l'admettre revient à supposer qu'il existe également des constantes. Or, dans la sphère de l'action humaine, tout évolue, en permanence. D'autre part, une équation suppose une égalisation de quantités et donc une unité objective de mesure. Or dans le domaine de l'action humaine, il n'existe pas de mesure des grandeurs psychiques. 
  
  
     « La méthodologie à laquelle nous adhérons, que l'on peut qualifier d'autrichienne, consiste à poser des hypothèses qui sont conformes à ce que nous savons de l'action des êtres humains et de leur libre arbitre, puis à dérouler le fil de l'analyse économique par une série de raisonnements déductifs. » 
 
  
          La méthodologie à laquelle nous adhérons, que l'on peut qualifier d'autrichienne(3), consiste à poser des hypothèses qui sont conformes à ce que nous savons de l'action des êtres humains et de leur libre arbitre, puis à dérouler le fil de l'analyse économique par une série de raisonnements déductifs. À partir du postulat certain que l'homme met en oeuvre des moyens pour atteindre des fins, il est possible de construire tout l'édifice théorique de l'économie: théorie des avantages comparatifs, analyse des comportements d'épargne, théorie économique du développement, théorie de l'entrepreneur. L'emploi des mathématiques n'est plus nécessaire, et l'économétrie perd une partie de son utilité. 
  
          Les caractéristiques de l'action humaine constituant le fondement du raisonnement, la distinction entre micro et macroéconomie s'écroule. Il est ainsi possible d'analyser une multitude de questions suivant des bases méthodologiques extrêmement rigoureuses, du fonctionnement des marchés à la théorie économique du développement, en passant par le rôle des banques, l'analyse des réglementations et de la fiscalité et les stratégies d'entreprises. 
  
          Cette méthodologie connaît à l'heure actuelle un extraordinaire développement à travers le monde. Elle reste malheureusement trop ignorée dans l'hexagone. Elle seule nous paraît pourtant susceptible de réconcilier les étudiants mais également les hommes d'affaires avec la science économique. Il est donc plus que jamais nécessaire de la comprendre et de l'utiliser. 
  
 
1. Laurent Mauduit, « Des universitaires demandent un débat sur l'enseignement de l'économie », Le Monde, 12 septembre 2000.  >>
2. Scienta signifie « connaissance correcte » et qu'il n'est donc nullement question de mathématique ou de quelque forme de mesure que ce soit dans cette étymologie.  >>
3. Elle a en effet été popularisée par des économistes autrichiens comme Carl Menger, Ludwig Von Mises, ou le prix Nobel Fredrich Hayek. Pour un exposé plus complet, on pourra se reporter à Murray Rothbard, Économistes et Charlatans, 1991, Les Belles Lettres, Paris.  >>
  
 
 
 
 
 
POURQUOI FAIRE SIMPLE...
  
 
Re: LA MATHÉMATISATION INUTILE DE LA SCIENCE ÉCONOMIQUE, le QL, no 67 
 
          Que vous avez donc raison! 
 
          Cela me rappelle les quelques cours d'économie appliquée que j'ai suivis aux HEC durant lesquels, parfois des étudiants et même un chargé de cours, une fois, qui ne se donnaient pas la peine de réfléchir au phénomène humain qu'est toujours la vie économique quotidienne et les grands courants qu'elle engendre, tentaient de nous faire comprendre des flux en somme assez simples par d'innombrables courbes mathématiques, toutes plus arides et si peu évocatrices les unes que les autres. Il arriva ce qui devait arriver quand on se fie au modèle mathématique, sans trop se représenter la réalité et la logique d'un système; on nous mélangeait davantage ou pire on nous induisait en erreur. 
  
          La mathématisation d'un bon nombre de savoirs par des « initiés » davantage intéressés à démontrer une pseudo-érudition me fait souvent penser aux personnages médecins des pièces de Molière... Pourquoi faire simple... quand on peut faire compliqué? 
  
          J'ai beaucoup apprécié votre article. 
  
          Merci. 
  
R. Rochefort
 
 
 
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