Montréal, 7 juillet 2001  /  No 85  
 
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Yvon Dionne est retraité. Économiste de formation (Université de Montréal), il a travaillé à la Banque du Canada (11 ans) puis pour « notre » État du Québec (beaucoup trop longtemps: 20 ans). On peut lire ses textes sur sa page personnelle.
 
LIVRE
 
UN DIAGNOSTIC CLAIR ET CONCIS SUR LE RÉGIME DE SANTÉ
 
par Yvon Dionne
  
  
          Mieux qu'une grande commission d'étude aux frais des contribuables, le dernier livre de Jean-Luc Migué, Le monopole de la santé au banc des accusés, (Éditions Varia, 2001) pose un diagnostic clair et concis sur le régime de santé. 
 
        « La meilleure façon de détruire notre système de santé, écrit-il, c'est de laisser le gouvernement garder son monopole sur le secteur ». Le régime public ne peut pas ne pas être confronté continuellement à un gouffre infranchissable entre les espoirs et la réalité. La réalité, c'est celle des files d'attente, d'un régime qui est à vitesse zéro pour plusieurs, de politiciens qui s'engueulent année après année sur les mêmes problèmes en écartant les solutions durables, d'une pénurie d'infirmières, de médecins et de spécialistes et d'un équipement diagnostique déficient (soit qu'il manque totalement ou qu'il est désuet). 
 
Un régime condamné 
 
        Ce régime est condamné, explique Migué, parce qu'il ne respecte pas un principe économique pourtant simple, que voici: c'est que « l'inefficacité est inscrite au coeur des règles du jeu » par l'absence à la fois pour les usagers et tout le personnel de la santé (y compris les politiciens) d'un régime de sanctions et de récompenses où les divers acteurs assument, pour le meilleur ou pour le pire, les conséquences de leur performance. 
 
        Dans le cas des usagers, des ressources importantes sont affectées au traitement de problèmes bénins dont la demande est gonflée par une apparente gratuité, i.e. d'un accès universel mais qui devient de plus en plus universellement inaccessible. Pour ce qui est du personnel médical dans notre régime soviétisé, leur mode de rémunération n'offre aucune incitation (conduisant plutôt à des choix arbitraires) et cette rémunération a subi une baisse relative par rapport à d'autres professions. Quant aux hôpitaux, ils fonctionnent exactement comme un ministère gouvernemental: prépondérance de la bureaucratie, choix effectués en fonction des budgets et non des besoins des patients, organisation des services centralisée et ne laissant pas de place à l'initiative venant du personnel qui est directement en liaison avec la clientèle. L'administrateur d'un hôpital est appelé à gérer le rationnement dans un environnement corporatiste, issu du Moyen Âge, où tous les groupes d'intérêt se protègent et essaient d'obtenir une rente de leur situation.
 
        Comment peut-on, demande Migué, dans un régime de planification centralisée (où les besoins et les ressources sont déterminées par des planificateurs) d'un secteur aussi complexe que les soins de santé et à la grandeur du Québec, allouer les ressources efficacement de façon à répondre aux besoins diversifiés de la clientèle? Impossible! Le régime public multiplie les solutions bureaucratiques, décrétées d'en haut; à chaque année, les bureaucrates et politiciens lancent un nouveau mot d'ordre, contribuant au fouillis: il y a quelques années c'était le « virage ambulatoire »; on a ensuite décrété une emphase sur les soins à domicile, sans réel effet; on a fermé des hôpitaux pour en construire d'autres à coup de centaines de millions $; et maintenant le ministre Trudel impose une solution privilégiée par la commission Clair: les GMF (groupes de médecine familiale), alors que les médecins de ses propres CLSC ne sont accessibles qu'en se mettant à la queue leu leu pour en rencontrer un qui ne connaît probablement rien à votre dossier. 
 
Qui en profite? 
 
        Comment peut-on expliquer, demande encore Migué, cette préférence de la majorité pour un système public qui la dessert mal? La théorie des choix publics nous éclaire à ce sujet. « L'affection apparente de la population pour la médecine socialisée repose, non pas sur le noble idéal de la compassion, mais sur le souci calculateur du grand nombre d'accéder à l'assurance santé illimitée aux frais des autres » et aussi « sur l'ambition de l'appareil politico-bureaucratique de contrôler une part toujours plus grande de l'économie. » Le régime public vise à faire supporter la majeure partie de ses coûts par les contribuables dont les revenus sont supérieurs à la moyenne et qui ne composent pas la majorité des votants. Ceci fait bien sûr l'affaire des politiciens en quête de votes mais il s'agit d'une politique à courte vue puisque, ce faisant, la majorité des contribuables paie en réalité trop cher pour des services de piètre qualité qui sont produits par un système inefficace. 
 
          Migué donne l'exemple du « managed care » et en particulier des HMO (Health Maintenance Organizations) aux États-Unis qui auraient fait économiser quelque 2 000 $ par patient annuellement. Abstraction faite de l'inefficacité du régime, nous pourrions aussi ajouter que tous ceux qui se comportent comme des consommateurs rationnels des soins de santé, sans abuser de l'accessibilité faussement gratuite du régime, et tous ceux qui sont généralement en bonne santé, sont pénalisés. Cette redistribution des revenus en faveur des abuseurs, des bureaucrates et des politiciens est, à proprement parler, du vol légalisé. 
 
     « Ici à peu près tout est sous le contrôle de l'appareil politico-bureaucratique et qu'au sud de la frontière, il existe une certaine concurrence entre les assureurs et les offreurs de services et que ceux-ci sont largement autonomes. »
  
        À juste titre, Migué cite Jouvenel qui, il y a 25 ans, écrivait que les démocraties ont failli à la tâche de limiter les pouvoirs de l'État en associant la démocratie au pouvoir de la majorité au lieu de donner la primauté à la liberté individuelle. 
 
        Il ne se passe pas de semaine sans que quelque groupe organisé demande plus d'argent, à tort ou à raison, pour colmater le système. Le gouvernement est toujours plus attentif aux demandes des groupes organisés qu'à ceux qui ne le sont pas, comme le contribuable, le consommateur, le simple citoyen. Or, généralement, constate Migué, le gonflement des budgets ne se traduit pas par une hausse de la quantité et de la quantité des services mais plutôt par des hausses de la rémunération. « Le fait est maintenant incontestablement établi: il n'y a pas de relation entre le budget public par tête et la longueur des files d'attente. Pire encore, on n'observe aucune relation entre l'évolution des dépenses publiques de santé et le nombre de procédures par tête. » 
 
L'épouvantail américain 
 
        Même si le régime américain a ses lacunes, Migué répond à ceux qui brandissent cet épouvantail que les administrations publiques assument, aux États-Unis, 56% des dépenses pour la santé comparativement à 69% au Canada (le solde comprend tout ce qui n'est pas couvert par l'assurance publique). Les gens âgés de plus de 64 ans sont couverts par le Medicare et ceux qui sont dans le besoin par Medicaid. Pour ce qui est du 40 millions de non assurés aux États-Unis, un chiffre fréquemment cité pour justifier toutes les failles du régime public canadien, ils reçoivent néanmoins des soins car la législation impose à tous les offreurs de services de santé de ne pas refuser un traitement pour des raisons financières. Qui plus est, 60% des non assurés sont des jeunes de moins de 35 ans, une population dont la fréquence de maladie est moindre et qui prennent donc le risque de ne pas s'assurer. 
 
        Plusieurs facteurs expliquent le coût plus élevé de la santé aux États-Unis qu'au Canada: l'importance des budgets de recherche et développement (dont nous bénéficions indirectement), le fait que le revenu moyen des Américains est de 25% supérieur au nôtre, la plus grande proportion de personnes âgées, les poursuites judiciaires, le coût des immobilisations (qui n'est pas inclus dans les données canadiennes). Le régime américain souffre de deux des vices du nôtre: surconsommation et déresponsabilisation des usagers. La principale différence entre les deux régimes c'est qu'ici à peu près tout est sous le contrôle de l'appareil politico-bureaucratique et qu'au sud de la frontière, il existe une certaine concurrence entre les assureurs et les offreurs de services et que ceux-ci sont largement autonomes. 
 
        Les prix des médicaments brevetés sont plus élevés aux États-Unis qu'au Canada, au Mexique ou ailleurs. Les États-Unis sont par contre le pays qui produit le plus de nouveaux médicaments brevetés. Ceux-ci exigent des investissements considérables en recherche et développement, des dépenses que les compagnies doivent financées quelque part et qu'elles financent dans le pays dont les revenus moyens sont les plus élevés. Le marché canadien ne représentant que 2% du marché mondial, ce sont donc les consommateurs américains qui, indirectement, paient pour les bas prix de la consommation de médicaments brevetés au Canada. Ce phénomène n'est d'ailleurs pas unique au domaine de la santé. Un corollaire de ceci est que le Canada fabrique peu de nouveaux médicaments et qu'il impose même le rationnement. À l'échelle mondiale, dit Migué, ce serait une catastrophe pour la santé de la population. 
 
Des pistes de réforme 
 
        Une condition essentielle permettant de faire face aux coûts croissants de la santé est de créer ici un climat favorable à la croissance économique. Les gens ne peuvent se payer une Jaguar que s'ils en ont les moyens (sauf que pour le président de la Société des alcools du Québec, « ses » moyens sont déterminés par l'État). Un des effets pervers de la Révolution tranquille a été de croire que l'État peut être un « outil de développement économique » alors qu'il n'a été qu'un frein à l'initiative et qu'une curée pour tous les groupes d'intérêts, dont les politiciens, sur l'argent des contribuables. 
 
        Quant au régime de prestation de soins de santé, Migué retient trois objectifs souhaités par tous, même par l'activiste étatiste Allan Rock: 1) l'accès universel et responsable aux services; 2) l'accès à tout l'éventail des traitements; et 3) le contrôle des coûts. Le seul moyen de concilier ces trois objectifs est de rétablir le choix individuel, de mettre le consommateur de services au coeur du processus de décision et d'instaurer un régime de concurrence entre les offreurs.  
  
          Pour donner la primauté au consommateur, deux options se présentent: 1) l'accumulation par les individus de fonds personnels d'épargne santé non imposables; 2) l'octroi par le gouvernement aux individus et aux familles d'allocations publiques de santé (ou vouchers); les deux formules seraient complétées par une assurance de type catastrophe advenant que les fonds soient épuisés. Des formules de ce genre ont été introduites à Singapour, en Chine et aux États-Unis et les résultats sont probants. 
 
 
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