Montréal, 24 novembre 2001  /  No 93  
 
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    Carl-Stéphane Huot est étudiant en génie mécanique à l'Université Laval.
 
OPINION
 
LES MODÈLES ET LEURS LIMITES
 
par Carl-Stéphane Huot
  
 
          Nos gouvernements tentent toujours de trouver des « modèles »  qui leur permettront de mettre en place « la » politique parfaite. Pourtant, très rapidement, on s'aperçoit que ces assemblages ne tiennent pas la route. Et bien entendu, tout le monde se raccroche au « modèle » en disant que le problème, comme toujours, est ailleurs!
 
          Comme vous pouvez le lire dans la marge ci-haut, je suis étudiant en génie mécanique à l'Université Laval. Des modèles, nous apprenons à en utiliser. Ils sont utiles, mais le plus souvent incomplets donc imparfaits. Par exemple, nous utilisons certains logiciels qui simuleront numériquement le fonctionnement d'un système mécanique, ce qui nous permettra de faire varier les paramètres utilisés. Ou nous utilisons des méthodes par éléments finis pour modéliser des structures, des transferts de chaleur ou des écoulements de fluides par exemple. Ils nous permettent entre autres d'optimiser les différents paramètres afin de limiter les coûts. Mais ils ne sont qu'approximatifs. Les autres génies ainsi que les sciences pures et appliquées utilisent aussi ces modèles. On pourrait citer aussi les prévisions météorologiques. Mais, comme ces modèles pourraient aisément contenir plusieurs centaines ou milliers de variables selon le cas, il nous faut nous limiter à un nombre de variables plus réaliste. Je crois que l'on nous inculque cependant une saine prudence face à ces modèles. 
  
          En sciences humaines aussi, on cherche des corrélations afin de déterminer des schémas présumés d'une quelconque utilité. Là aussi, les modèles atteignent cependant rapidement leurs limites. Pourtant, ce sont ces modèles qui sont presque systématiquement mis de l'avant par le gouvernement du Québec. Et quand ils se révèlent d'une inefficacité cauchemardesque, on se réfugie dans le pire modèle de tous: le Saint Modèle Québécois. Voyons quelques exemples. 
  
L'action humaine est imprévisible 
 
          En économie, les prévisions sont légion. Prévision de croissance, du taux d'inflation, de chômage ou autre, toutes ces valeurs dépendent des centaines de décisions de nature économique prises par des millions d'individus et d'entreprises ici et ailleurs dans le monde. Prenons par exemple la relation entre un individu et les prix des produits. Lorsque celui-ci magasine, il peut avoir plusieurs attitudes. Il peut systématiquement rechercher le meilleur prix, et faire des substitutions au besoin, comme lorsqu'on achète une marque maison à l'épicerie plutôt que la grande marque. Il peut chercher le meilleur achat au meilleur coût, mais pas nécessairement le coût le plus faible. Il peut prendre le premier du bord, peu importe le coût ou la marque. Il peut systématiquement prendre le plus cher ou celui qui se trouve au milieu par ordre croissant de coût. Enfin, il peut adopter une stratégie ou l'autre selon des facteurs qui lui sont propres, et qui dépendent surtout de sa perception. 
  
     « La prévision économique est une chose périlleuse sur un an, mais le gouvernement du Québec a pondu récemment un budget de 18 mois, en prévision d'élections possibles l'an prochain. »
  
          Si je suis économiste, je peux affecter un certain coefficient à chacun de ces comportements, mais il sera arbitraire. Basé sur un comportement statistique, mon consommateur demeure une créature incontrôlable. Par exemple, que se passe-t-il si celui-ci planifie des vacances et qu'au dernier moment la mère adorée de sa conjointe fait une crise cardiaque? Ou si, par un beau mardi matin, quelques avions nous déboulent sur la carafe? La prévision économique est une chose périlleuse sur un an, mais le gouvernement du Québec a pondu récemment un budget de 18 mois, en prévision d'élections possibles l'an prochain. 
 
          Ailleurs, en sociologie par exemple, on s'intéresse par exemple au phénomène de la pauvreté ou autre. Encore là, les modèles, même si la personne qui les conçoit est parfaitement honnête et n'a pas de parti pris, sont sujets à caution parce qu'ils tentent de déterminer quelques comportements théoriques et de les appliquer au réel, ce qui se révèle désastreux en pratique. Par exemple, on pourrait s'attendre à ce que les plus pauvres d'entre nous soient ceux qui appliquent avec le plus de diligence les principes d'économie. Pourtant, collectivement, ils sont les plus gros consommateurs de loteries et de cigarettes. J'ai de la misère à réfuter l'affirmation selon laquelle il faut que les jeunes, même pauvres, puissent partir le matin à l'école avec un déjeuner dans l'estomac. Mais par exemple, si une mère dépense 5,50 $ par jour pour fumer au lieu de donner à ses deux marmots un petit déjeuner qui ne coûte qu'un dollar l'unité, j'ai un aussi gros problème. Pourtant, on me dit que si on augmente sensiblement les montants d'aide sociale, ou que l'on instaure une allocation universelle par exemple, nous aurons des lendemains qui chantent! Pas sûr de cela du tout, moi. 
  
          En éducation, outre les grèves à répétition, on tolère des professeurs qui ne valent rien. Certes, il y a des enseignants qui sont excellents, mais vous en avez aussi d'autres qui ne sont là que pour la paye, les vacances et la retraite dorée. Étant impliqué auprès de jeunes souffrant de différent troubles neurologiques – causant souvent des troubles d'apprentissage comme la dyslexie ou des troubles de mémoire –, je crois que bon nombre d'enseignants sont le principal trouble d'apprentissage de ces enfants. Même sans troubles d'apprentissage, comment expliquer que tant de jeunes ne parviennent pas à finir leur secondaire ou même à échouer leurs tests d'admission en français au collégial ou à l'université? Pourtant, le gouvernement surfe de réforme en réforme en donnant l'impression que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Il n'y a pas eu de remise en question de ce système depuis des lustres. Et comme nos chers syndicaleux tiennent leur pouvoir de chantage du simple fait qu'ils ont la possibilité de priver totalement la population d'une certaine catégorie de service plus que de la valeur de ce service, cela n'ira certainement pas en s'améliorant. 
  
Des bureaucrates et syndicats en santé 
 
          En santé, vous croyez que de rajouter quelques milliers d'infirmières ou de médecins permettra de résoudre tous les problèmes? Laissez-moi rire! Plus je regarde la situation, plus je me dis que même si nous pouvions doubler demain matin le nombre de travailleurs de la santé, le problème ne ferait qu'empirer. Car l'épuisement professionnel, les personnes qui meurent sur les listes d'attente et les corridors bondés font trop l'affaire des bureaucrates et des syndicats. Cela permet de mettre le gouvernement sous pression, l'obligeant à augmenter le personnel, donc le prestige des bureaucrates et la liste de gens sous la protection des syndicats. De plus, il est bien connu que l'efficacité d'un système diminue avec sa grosseur passé un certain point. 
  
          J'en veux pour preuve qu'actuellement, il y a suffisamment de personnel pour voir aux soins des malades au Québec. Cela vous étonne? Faisons un petit calcul. En ce moment, les infirmières ne consacrent qu'entre 50 et 70% de leur temps de travail au service aux patients. Le reste étant perdu en tâches administratives de toute sorte. Si on faisait passer de 70 à 90% leur temps à être consacré aux patients, on récupérerait quelque 12 000 infirmières à temps plein sur les 60 000 qui sont en activité au Québec (on dit qu'il en manquerait quelque chose comme 2 500). Est-ce qu'il y a quelqu'un qui pense à cela quelque part? Encore là, le modèle, même s'il fait souffrir et mourir des gens pour rien est présenté comme « le » système. Et les syndicats et bureaucrates en profitent trop pour y changer quoi que ce soit. 
  
          Malheureusement, les gens ne fonctionnent pas par modèle et le refus des gens de s'y conformer fait en sorte que tous les tenants de ces modèles font fausse route en tentant de nous les imposer. Il faudrait peut-être le crier encore un peu plus fort, même s'il n'y a pas plus sourd que quelqu'un qui ne veut rien entendre! 
  
 
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