Montréal, 24 novembre 2001  /  No 93  
 
<< page précédente 
  
  
 
 
Jean-Louis Caccomo est économiste à l'Université de Perpignan.
 
PERSPECTIVE
 
LIBÉRALISATION DU COMMERCE: LES ÉTATS SONT LE PROBLÈME, PAS LA SOLUTION
 
par Jean-Louis Caccomo
  
  
          Les commentaires vont bon train à l'occasion du sommet de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) à Doha: « Les États au chevet du commerce mondial » ou « Bové qui veut représenter les pays pauvres exclus du dialogue », peut-on entendre sur les ondes. Comme si les États pouvaient faire quelque chose au commerce. La seule chose que les dirigeants politiques sont en mesure de faire – et ils ne s'en privent pas –, c'est d'empêcher le commerce en privant les individus de leurs droits élémentaires (c'est-à-dire en contrariant ou interdisant la mobilité des capitaux, des personnes et des biens). Créant ainsi des problèmes, les représentants des États se proposent ensuite de se rencontrer pour les résoudre. Mais ont-ils la moindre chance de résoudre des problèmes créés par eux et à ce point mal posés?
 
Régulateur du commerce 
 
          Pourtant, les commentaires de presse aux allures savantes nous font docilement avaler cette potion plutôt lénifiante qui veut que l'État soit un régulateur du commerce et de la « mondialisation ». À défaut de l'avènement d'un État mondial, l'OMC se propose d'assurer cette mission. Mais le commerce n'a jamais attendu les États... et il a plutôt tendance à bien se porter pour peu qu'on « laisse faire ». Ce ne sont pas des professionnels du commerce qui sont réunis par l'OMC, mais des professionnels de la politique et de l'administration. De plus, les dossiers de l'agriculture, des services ou de la propriété intellectuelle bloquent au moins depuis l'Uruguay Round parce que les protectionnistes n'arrivent pas se mettre d'accord. Et ils n'ont aucune chance de se mettre d'accord puisqu'ils sont enfermés dans des positions mercantilistes les conduisant à se situer en opposition les uns par rapport aux autres. 
  
          Cela empêche-t-il le commerce de se développer? Nullement! Certes on est en droit de penser qu'il se développerait mieux et plus sûrement s'il n'y avait pas d'entraves aux échanges. Car, alors que les économistes montrent que le commerce améliore la situation de tous ceux qui y participent – ce qui conduit à prôner le libre-échange(1) –, les hommes d'État font du commerce un instrument annexé aux ambitions politiques, transformant l'échange en une guerre. 
  
     « Alors que les économistes montrent que le commerce améliore la situation de tous ceux qui y participent – ce qui conduit à prôner le libre-échange –, les hommes d'État font du commerce un instrument annexé aux ambitions politiques, transformant l'échange en une guerre. »
 
          À cette occasion, la France – toujours en retard d'une guerre justement – veut se faire porte-parole des exclus de cette « guerre économique ». Mais, la France est-elle en mesure de donner des leçons alors qu'on généralise, dans notre pays, un principe autoritaire de régulation qui tend à produire l'exclusion tellement il est contraire aux principes élémentaires de l'économie?(2) Cette prétention extraordinaire à « réguler l'économie » et à « produire du social » produit son lot de conséquences inéluctables (que d'aucuns veulent mettre sur le dos de l'ultralibéralisme): pénurie croissante de richesses et de qualifications car les richesses et les qualifications désertent notre territoire, grèves chroniques et insatisfaction généralisée (quel métier reste attractif en France pour mes enfants si même les juges, avocats ou médecins ne sont pas contents...?) pour ne pas dire « terrorisme social » (Moulinex), violence et délinquance explosive comme conséquence logique d'une vision « socialisante » de la violence qui fait des délinquants eux-mêmes les victimes du « système » et de la « mondialisation » (le concept de « mondialisation » est à mon avis un faux concept; et ceux qui critiquent la mondialisation critiquent en fait l'économie de marché et la liberté).  
  
Déconnecté de la réalité 
  
          À vouloir faire ce qu'il ne peut pas faire, l'État ne fait plus et n'a pas les moyens de faire ce qu'il est urgent de restaurer (la justice républicaine et la sécurité du territoire). Conséquence: la France est en guerre civile, en déliquescence sociale et à la marge du conflit international qui se joue en ce moment. En Afghanistan, charge aux Américains de faire le « sale boulot » et la France se donne le beau rôle en soulignant les aspects humanitaires et politiques du conflit. En fait, l'État français a d'énormes moyens puisque nous avons des taux de prélèvement record, mais ils sont très mal utilisés considérant les piètres résultats de notre système éducation, l'efficacité très relative des dépenses « sociales » et l'incapacité de nos politiques à réformer une fois pour toute un secteur public totalement déconnecté de la réalité.  
  
          Pourquoi des familles françaises sont-elles disposées à payer pour l'éducation de leurs enfants alors qu'il existe en France un service public et gratuit d'éducation? Probablement que les deux offres ne sont pas substituables et rater l'éducation de ses enfants, même gratuitement, c'est déjà trop cher payé. Pourtant nos économistes officiels qui sévissent dans les université d'État continuent de nous enseigner que l'État existe pour pallier aux défaillances du secteur privé alors qu'il est clair que le secteur privé se développe en France (dans la santé, l'éducation ou la sécurité) – malgré un environnement institutionnel, réglementaire et fiscal extrêmement hostile – pour pallier aux défaillances congénitales et chroniques du service public. 
  
          Mais, la France a décider de s'exprimer à travers ATTAC ou José Bové. Ces gens – si prompts à dénoncer et à donner des leçons – ne voient-ils pas que les pays pauvres réclament précisément plus de libre-échange? Qu'ils s'opposent – et ils ont bien raison – aux subventions européennes et américaines dans le secteur agricole qui leur fait une concurrence absolument déloyale (le groupe de Cairns)? Que les pays pauvres ne veulent ni des normes sociales ni des normes écologiques imposées par les pays riches qui, sous couvert de « régulation du commerce », ne sont que du protectionnisme déguisé?  
  
          Si les pays de l'Europe de l'Est sont des pays dit en transition, la France est un pays en transition bloquée (le ni-ni généralisé): nous n'arrivons plus à sortir de l'économie administrée, du plan quadriennal, quinquennal, central…etc., bref, du piège de la « troisième voie » nécessairement sans issue. 
  
  
1. L'expression de libre-échange est un pléonasme: un échange contrarié n'est plus un échange et un échange ne serait être à demi-libre. L'échange est librement consenti ou il n'est pas un échange.  >>
2. À toutes nos belles âmes et nos professionnels des bons sentiments, qui s'arrogent le monopole du cœur et de l'expression publique, il faudrait rappeler que Robin des bois, qu'ils récupèrent volontiers comme symbole dans leur combat contre le marché ou la mondialisation libérale, s'attaquait à un roi illégitime et spoliateur – et donc à l'État sorti de son rôle – pour rendre les richesses ainsi pillées à leurs créateurs et seuls propriétaires légitimes, c'est-à-dire aux contribuables. Il n'y a pas là de lutte des riches contre les pauvres mais bien un combat entre les spoliateurs parasites (les hommes de l'État) et les véritables créateurs de richesses (les hommes libres et responsables).  >>
 
 
Articles précédents de Jean-Louis Caccomo
 
 
<< retour au sommaire
 PRÉSENT NUMÉRO