Montreal, 24 novembre 2001  /  No 93  
 
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Pierre Lemieux est économiste et écrivain. www.pierrelemieux.org.
 
LEMIEUX EN LIBERTÉ
 
LE MYSTÈRE DE L'ORGANISATION MONDIALE
DE LA SANTÉ
 
par Pierre Lemieux
  
  
          Il y a un grand mystère de l'OMS (Organisation mondiale de la Santé), que n'a pas dissipé l'Assemblée mondiale de la Santé tenue du 14 au 22 mai à Genève. Adoptée en 1946, la Constitution de l'OMS lui assigne l'objectif « d'amener tous les peuples au niveau de santé le plus élevé possible » (art. 1). De plus, le préambule définit la santé comme « un état de complet bien-être physique, mental et social »(1). Vaste mission. Comment une organisation comme l'OMS peut-elle donner aux individus, qui ont des préférences différentes et souvent divergentes, un état de complet bien-être social?
 
          Une hypothèse est que ces énoncés ne sont que pure rhétorique politique sans cohérence logique. Des déclarations du Dr Szeming Sze, membre de la délégation chinoise à l'origine de la création de l'OMS, appuient cette hypothèse: « tout était politique », dit-il. L'hypothèse, toutefois, n'explique pas pourquoi les activités actuelles de l'OMS semblent bien cohérentes avec les objectifs et les termes originels. 
 
Diverses façons de lutter pour la santé... 
 
          Avec son budget bi-annuel de 2,2 milliards de dollars (pour l'exercice 2002-2003), l'OMS réalise sans doute des œuvres utiles dans les pays pauvres – par exemple en luttant contre le paludisme, la tuberculose ou le SIDA. Mais ce ne sont là que trois des 35 domaines d'activité de l'Organisation. Celle-ci consacre des ressources importantes à des domaines qui sont moins du ressort de la santé publique au sens classique que des styles de vie ou des choix de valeurs: tabac (25 millions de dollars), santé mentale et toxicomanies (28 millions de dollars), santé de la femme (15 millions de dollars), développement durable (18 millions de dollars), santé et environnement (50 millions de dollars), sans compter toutes les activités de promotion, de propagande et d'administration. La seule administration de l'OMS coûte 284 millions de dollars (toujours sur l'exercice bi-annuel 2002-2003). 
 
          Il faut, rappelle la présentation du budget 2002-2003, « envisager la santé sous un angle plus large ». Le domaine d'activité appelé « Promotion de la santé », qui figure dans la catégorie « Surveillance, prévention et prise en charge des maladies non transmissibles », vise à « Réduire les risques pour la santé grâce à des politiques et des interventions adaptées à l'âge et sexospécifiques, axées sur les déterminants de la santé au sens large. » (Le terme « sexospécificité » est employé par l'OMS pour rendre l'expression américaine « gender considerations ».) 
 
          On observe également la préoccupation de l'OMS pour le « complet bien-être social » dans le domaine d'activité appelé « Santé mentale et toxicomanie », qui englobe l'ancienne rubrique « Changements sociaux et santé mentale » et qui concerne notamment la consommation de boissons alcoolisées. Mais c'est peut-être le domaine du tabac, où l'OMS mène une véritable croisade, qui est le plus révélateur des tendances d'hygiène sociale de l'organisation internationale. 
 
          Malgré le budget relativement faible qui lui est consacré, la lutte contre le tabac fait partie des champs d'activité prioritaires de l'OMS. Dans son allocution du 14 mai devant l'Assemblée mondiale de la Santé, Gro Brundtland, Directeur-Général de l'OMS, attribue les décès dus au tabac « à une recherche malsaine du profit ». Ignorant l'approche économique et les recherches des 20 dernières années, elle parle d'un « profit recueilli par un petit nombre, que les sociétés paieront cher en traitements et en pertes de productivité ». Elle ajoute: « Le tabac rançonne la société. Il vole des vies et des ressources déjà insuffisantes. […] Soyons clairs : le tabagisme est une maladie transmissible. » 
 
     « Les compagnies de tabac sont intéressées et doivent être écartées des débats. Par contre, les bureaucrates de la santé publique et les politiciens sont désintéressés et peuvent prendre seuls des décisions pour tout le monde. »
 
          Un autre exemple de l'intransigeance de l'Organisation: en octobre 2000, l'OMS a invité « toutes les parties intéressées à exprimer leur point de vue » sur le projet de Convention-cadre pour la lutte antitabac, qui vise une intensification de la réglementation dans le monde, mais n'a laissé aux intervenants que cinq minutes pour défendre leur opinion. Les fabricants de tabac qui ont participé à cette « consultation » ont adopté une attitude défensive, prudente, voire soumise. Dans un communiqué émis à la fin des audiences, Gro Brundtland a interprété leur attitude comme de la mauvaise foi. 
 
          Une résolution de l'Assemblée mondiale de la Santé a également vilipendé l'industrie du tabac. Le communiqué de l'OMS déclare: « La résolution reconnaît que la confiance du public sera renforcée par la complète transparence des affiliations entre les délégués à l'Assemblée de la Santé et à d'autres réunions de l'OMS et l'industrie du tabac. ». Autrement dit, les compagnies de tabac sont intéressées et doivent être écartées des débats. Par contre, les bureaucrates de la santé publique et les politiciens sont désintéressés et peuvent prendre seuls des décisions pour tout le monde. Cette naïveté est contraire aux enseignements de la science économique, qui explique en partie l'inefficacité des pouvoirs publics par les intérêts catégoriels de la classe politique et bureaucratique. 
 
          En 1999, l'OMS a même tenté de mettre la religion au service du Jihad contre le tabac, en organisant une « Réunion sur le tabac et la religion » afin « d'explorer les nouveaux partenariats possibles et de renforcer les partenariats existants en vue de faciliter les activités de lutte antitabac ». Malheureusement pour l'OMS, ni le représentant catholique ni, surtout, le professeur Jean-Claude Basset, pasteur de Genève, ne se sont montrés très réceptifs à la croisade antitabac. Parlant du fumeur adulte, le Pr Basset a déclaré que « les idéaux de la santé peuvent certes lui être proposés mais non imposés dans la mesure où il peut privilégier d'autres valeurs comme la détente et le bien-être que lui procure le tabac ». 
 
...mais une seule façon d'être en santé 
  
          Le problème est bien celui-là. Personne n'est contre la santé maximum, toutes choses étant égales par ailleurs. Mais les individus font tous les jours des choix qui compromettent leur santé, témoignant ainsi que la vie végétative n'est pas leur idéal. La question est de savoir si ces choix seront faits par chaque individu, selon ses propres préférences, ou si certains imposeront leur mode de vie préféré aux autres. 
 
          L'OMS privilégie toujours les choix collectifs et affiche une répulsion contre la liberté et la diversité du marché. Gro Brundtland déclare: « Cependant, l'essentiel de la recherche biotechnologique est maintenant effectué dans les pays industrialisés, le plus souvent sous l'influence des forces du marché. D'un point de vue éthique, cela est inacceptable. » L'OMS semble en guerre contre tout ce qui ressemble à la liberté économique et aux choix individuels. 
 
          Dès lors, le mystère de l'OMS s'éclaircit. L'Organisation peut, nonobstant les choix individuels, s'atteler à la tâche de créer « un état de complet bien-être physique, mental et social » pour tous. Car c'est elle qui détermine ce qu'est le bien-être mental et social; c'est elle qui sait ce qui est bon pour chacun, et qui, avec l'argent des contribuables, montre le chemin vers le Meilleur des Mondes. 
 
 
1. Les documents de l'OMS que nous citons sont disponibles à www.who.int/home-page/index.fr.shtml>> 
  
  
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