Montréal, 16 mars 2002  /  No 100  
 
<< page précédente 
  
  
 
 
Pierre-Luc Thibault est étudiant en droit à l'université Queen's de Kingston.
 
OPINION
 
CONTRE UNE POLICE DES ONDES
 
par Pierre-Luc Thibault
  
  
          C'était une de ces belles matinées de congé du mois de février où je prenais mon déjeuner tranquillement en feuilletant le journal, quand je suis tombé sur un sondage sur la réglementation du contenu radiophonique à Québec(1). Je n'ai pu m'empêcher de réagir lorsque j'ai lu qu'une majorité de citoyens souhaiteraient voir les animateurs punis par la « police fédérale des ondes »(2) pour des propos jugés inappropriés. En effet, 62% des personnes interrogées estimaient que le CRTC (Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications du Canada) devrait sévir dans le cas d'animateurs impolis, 72% lorsque les propos deviennent grossiers et finalement 78% lorsqu'il s'agit de propos diffamatoires.
 
          J'interprète ce sondage comme étant une demande des citoyens au gouvernement de nous taxer davantage pour s'assurer que les postes de radio qu'ils n'écoutent pas soient exempts d'impolitesses, de grossièretés et de propos diffamatoires. Je présume que ce sont des postes de radio qu'ils n'écoutent pas de toute façon puisque logiquement, le fait qu'ils aillent jusqu'à demander à la police des ondes fédérale d'intervenir suggère qu'ils ne font probablement pas partie des auditeurs réguliers de ce genre de station. 
   
Lutter contre les grossièretés 
  
          L'arme la plus efficace pour ceux désirant voir éliminer ce genre de langage des ondes, c'est pourtant encore de ne pas l'écouter. À la rigueur, je suis en accord avec les personnes sondées qui croient que les grossièretés et autres n'ont pas leur place sur les ondes, mais je trouve tout de même simplement injustifiable de demander au gouvernement d'intervenir pour sévir dans de tels cas. D'abord à cause du coût d'une telle mesure, quoique ce coût serait probablement négligeable – mais déjà que le gouvernement est beaucoup trop présent dans notre vie de tous les jours, je ne vois vraiment pas l'utilité d'en rajouter. 
 
          Mais aussi parce que je pense qu'il faut laisser de la place à plusieurs styles de radio. Comme on l'entend si souvent dire, les goûts ça ne se discute pas. Peu importe que l'on aime ou pas, rien ne justifie qu'une majorité puisse imposer ses goûts en termes de contenu radiophonique à une minorité qui peut apprécier ce style d'animateurs. 
 
          De toute façon, la meilleure méthode, la plus rapide, la plus simple et la plus efficace lorsqu'on n'aime pas le message transmis ou la façon dont ce message est transmis, c'est encore de changer de poste. Donc, en acceptant cette réalité que nous avons déjà la possibilité de ne choisir d'écouter que des postes de radio qui nous offrent un contenu exempt de grossièretés et impolitesses, je me demande bien alors quelle est la motivation de certains de vouloir ajouter un deuxième moyen de contrôle moins efficace et impliquant un coût supplémentaire (l'intervention du gouvernement), par-dessus le premier tout à fait gratuit, plus efficace et respectueux des goûts et intérêts de chacun. 
   
Lutter contre la diffamation 
  
          Pour ce qui est de sévir dans les cas d'animateurs tenant des propos diffamatoires, j'ai encore plus de réserves. Il est reconnu comme faisant partie des principes généraux de procédure civile au Canada (et c'est édicté dans l'article 59 du code de procédure civile du Québec) que nul n'est autorisé à plaider au nom d'autrui. La raison d'être de ce principe est notamment que la personne la mieux placée pour se défendre est la victime des actes en question. Même en y réfléchissant intensément, je n'arrive toujours pas à trouver plus efficace, comme moyen pour se protéger contre la diffamation, que la possibilité de poursuivre nous-même la personne fautive. À mon avis, la protection offerte présentement par les tribunaux vaut infiniment plus qu'une protection offerte par une police des ondes ayant pour mandat de combattre la diffamation. 
 
          Car ajoutez la poursuite de X, puis celle de Y sur le dos de tel animateur, et vous aurez alors un incitatif bien plus efficace contre la diffamation que si vous avez simplement des bureaucrates sanctionnant l'animateur fautif, que ce soit par l'imposition d'amendes ou simplement en retirant le permis d'exploitation. 
  
     « Toute forme de censure par le gouvernement est simplement injustifiable, et particulièrement en ce qui concerne les propos diffamatoires étant donné la protection déjà offerte par les tribunaux de droits civils. »
  
          L'article 2(b) de la Charte canadienne des droits et libertés est celui qui protège la liberté d'expression au Canada. Les propos diffamatoires sont aussi protégés comme moyens d'expression à condition qu'ils ne soient pas exprimés de façon violente. Le Code criminel prévoit cependant une peine d'emprisonnement pouvant aller jusqu'à 5 ans pour quiconque publierait un libelle diffamatoire qu'il saurait être faux. La validité de cet article à déjà été contestée mais la Cour, quoiqu'elle aie reconnue qu'il brimait la liberté d'expression, a décidé de le sauvegarder malgré tout puisqu'il remplissait selon elle, la fonction essentielle de protéger la réputation des citoyens(3). 
 
          Avec respect, je ne peux être en accord avec les tribunaux sur ce sujet. Le citoyen victime de propos diffamatoires a déjà à sa disposition pour se défendre la possibilité de poursuivre la personne fautive pour demander réparation des dommages subis. Les tribunaux de droits civils ont amplement la possibilité de protéger la réputation des citoyens et les agissements du gouvernement ne se trouvent qu'à n'être qu'une forme de contrôle et de restriction inutile de la liberté d'expression (voir LIBERTÉ D'EXPRESSION ABSOLUE, le QL, no 39). De plus, rien ne justifie une telle peine d'emprisonnement pour un acte qui ne devrait être sanctionné que par des tribunaux de droits civils. Le gouvernement ne devrait pas intervenir dans les cas de diffamations puisque entre autres, cela ne concerne que les citoyens touchés par la diffamation. Il m'est difficile de cerner l'« intérêt général de la société » à vouloir protéger la réputation d'un individu en particulier, intérêt général qui selon la Cour, justifie l'insertion d'un tel article dans notre code criminel. 
 
          Quel gaspillage d'argent, et quelle arme dangereuse donnons-nous alors au gouvernement! La porte est ouverte, après la protection de ma réputation, pour que le gouvernement protège mes yeux chastes de la pornographie, mes oreilles pures du langage vulgaire, etc. 
  
Pourquoi pas des radios d'État? 
  
          Une fois rendu à cette étape, pourquoi alors, dans le but d'éliminer complètement les obscénités ou propos calomnieux à la radio, ne pourrions-nous pas avoir une radio 100% administrée par le gouvernement? On n'a qu'à regrouper quelques fonctionnaires comiques ensemble et leur donner une fréquence, ensuite un autre groupe de fonctionnaires plus sérieux, plus sentimentaux, et ainsi de suite jusqu'à reproduire à peu près tous les genres de radio à Québec. Bon, mon imagination a pris le dessus un peu pour ce dernier exemple, mais cela ne semble pas plus loufoque que de donner plus de pouvoirs sur le contrôle de la vulgarité et de la diffamation au CRTC. 
 
          À mon avis, toute forme de censure par le gouvernement est simplement injustifiable, et particulièrement en ce qui concerne les propos diffamatoires étant donné la protection déjà offerte par les tribunaux de droits civils. À ce sujet, le recours de l'animateur André Arthur est particulièrement intéressant (voir ANDRÉ ARTHUR ET LA LIBERTÉ D'ÉCOUTER, le QL, no 37). M. Arthur contestait le pouvoir de censure que possède le CRTC et que cet organisme exerce lorsque vient le temps du renouvellement des licences. Un tel pouvoir n'est pas compatible selon lui avec la liberté d'expression garantie par la Charte. La Cour fédérale a toutefois rejeté les demandes de l'animateur. 
 
          Il est possible de faire une analogie entre ce problème et celui auquel nous devons faire face en ce qui concerne l'environnement. Sans entrer dans les détails, le principe reste cependant semblable. La meilleure façon de vivre en harmonie avec l'écologie, c'est de vivre dans un système permettant l'épanouissement des droits naturels humains, soit le droit à la vie, la liberté, la propriété(4). En effet, les personnes directement victimes des actes non conformes avec le mieux-être de la nature – parce que cela affecte directement leur propriété par exemple –, sont beaucoup mieux placées qu'un fonctionnaire chargé de l'environnement pour prendre la meilleure décision, rendant par le fait même superflue la présence du fonctionnaire. 
 
          L'analogie est la suivante avec la radio: personne n'est mieux placé pour décider de ce qu'il veut écouter ou ne pas écouter, et personne n'est mieux placé pour combattre la diffamation à la radio que les personnes directement victimes de diffamation. 
 
          Il est donc inutile de vouloir encore augmenter notre charge fiscale simplement pour créer une telle police des ondes. Et puis comme le dit si bien le proverbe, on n'est jamais si bien servi que par soi-même. 
  
 
1.  K. Lavoie, « Haro sur les animateurs grossiers », Le Soleil, 18 février 2002, pp. 1 et 2.  >>
2. Je me suis simplement permis d'emprunter le terme utilisé dans l'article.  >>
3. R. c. Lucas, [1998] 1 R.C.S. 439.  >>
4. Voir Tibor R. Machan, « The Metaphysics, Ethics and Politics of Environmentalism », Interdisciplinary Environmental Review, vol. I, no. 1, 1999, pp. 23-32.  >>
 
 
 
<< retour au sommaire
 PRÉSENT NUMÉRO