Montréal, 16 mars 2002  /  No 100  
 
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Carl-Stéphane Huot est étudiant en génie mécanique à l'Université Laval.
 
SCIENCES, INDUSTRIES ET SOCIÉTÉ
 
ESPRIT CRITIQUE, ES-TU LÀ?
(première partie)
 
par Carl-Stéphane Huot
 
     La foi soulève des montagnes; oui: des montagnes d'absurdités.
– André Gide
 
 
          La science que je connais – et que je reconnais – se base sur des faits précis et vérifiables par l'expérience et cherche d'abord à comprendre, puis à expliquer. Cela veut dire que nous pouvons assez bien démontrer par l'expérience ou autrement ce qui a été avancé. Cependant, bon nombre de gens, soit qu'ils sont crédules ou au contraire très bien informés mais qu'ils ont des intérêts ailleurs, s'abritent sous le parapluie des sciences pour dire les pires âneries. Certains groupes de pression se servent de ces données discutables pour influencer les choix du gouvernement et les agissements de la population, et y arrivent assez bien en général. Puisqu'il faut bien commencer par quelque chose, prenons les « sciences » occultes.
 
Occulter la réalité 
  
          L'astrologie se base sur la position des planètes pour faire des prévisions. Or, depuis que ces prévisions existent (quelques millénaires), la position des dites planètes a changé. De toute façon, comme il a déjà été dit dans ces pages, ils n'ont rien vu venir du côté du World Trade Center. Dans un autre domaine, une numérologue de ma connaissance dit que la numérologie est une science exacte, puisque basée sur des calculs à partir de la date de naissance, du numéro de téléphone ou du numéro civique. À partir de là, votre vie est toute tracée, votre maison ou votre numéro de téléphone porte malheur ou bonheur, selon le cas... Une petite question: comme il existe plusieurs systèmes de datation (le chrétien, l'arabe et le chinois), sur quoi je me base pour savoir qui je suis? 
  
           Il y a aussi le tarot, la chiromancie et les boules de cristal, qui parce qu'elles existent depuis la nuit des temps, sont des sciences sur lesquelles on peut sans doute se fier, puisque autrement, elles auraient disparu. Et pour finir, une perle: une férue d'occultisme m'affirmait bien haut un jour que les gens étaient très négatifs à cause de la présence d'ions négatifs dans l'atmosphère. 
  
          Beaucoup d'argent est dépensé par les crédules pour se faire prédire l'avenir, pour se faire dire quoi dire et quoi faire. Nous n'avons plus les moutons que nous avions, ceux d'aujourd'hui n'ont que deux pattes et une fourrure médiocre. Cela explique beaucoup mieux, selon moi, pourquoi cela marche encore. L'occultisme repose sur une mystification, et il faut vraiment vouloir croire pour embarquer. Leur cas est désespéré. Cependant, d'autres cas beaucoup plus subtils se présentent régulièrement, notamment dans le domaine médical.  
  
Souris de laboratoire et moineaux rares 
  
          Passons rapidement les régimes miracles et trucs plus ou moins tordus comme l'imposition des mains. J'ai eu affaire a un gourou voici quelques années qui prétendait être capable de faire repousser un membre ou un poumon, mais le mieux qu'il ait réussi à faire c'est de faire passer un bon gros mal de tête – la personne s'est couchée le soir et le lendemain son mal avait disparu – et de guérir un rhume de cerveau de sept jours en une semaine. Son plus grand miracle selon moi, a été de réussir à faire passer votre humble serviteur pour le méchant de cette histoire.  
  
          Une autre controverse, plus sérieuse celle-là, touche un médicament qu'on affuble de toutes les épithètes, soit le Ritalin. Je peux en parler, puisque je m'implique auprès des jeunes qui l'utilisent. Le problème s'appelle TDAH, le trouble du déficit d'attention avec ou sans hyperactivité pour les intimes. La controverse fait rage assez souvent dans les journaux pour ne pas avoir à la réexpliquer. Pourtant, ce médicament n'est pas du tout ce que l'on croit: ce n'est pas un calmant, mais un stimulant, sauf pour les hyperactifs, chez qui il agit comme un calmant, comme la caféine d'ailleurs. Deuxièmement, ce n'est pas une drogue, puisqu'il est possible d'arrêter de le prendre sans sevrage et il n'a que relativement peu d'effets secondaires, ceux-ci ayant tendance à disparaître avec le temps.  
  
          Ce qui se cache derrière tout cela, c'est l'Église de Scientologie (sic et beurk pour le nom!). Les études qu'ils citent sont sujettes à caution, car les quantités quotidiennes données aux souris de laboratoire pour tester le produit correspondent en gros à 1000 fois la dose donnée à un humain, à poids équivalent. Question d'idéologie, de gros sous et de propagande, cette bande de moineaux rares en connaît un rayon.  
  
     « Si vous voulez de l'aspirine homéopathique par exemple, vous n'avez qu'à diluer une capsule dans toute l'eau que contient la planète Terre, et vous obtiendrez encore des doses un million de fois plus concentrées que ce que l'on vous vend en pharmacie. »
  
          Je pourrais aussi citer le cas des médecines douces, soit l'homéopathie et les médicaments dits « naturels ». L'homéopathie repose sur un principe non prouvé qui voudrait qu'un médicament à très faible dose ait la même efficacité qu'une dose normale. Et par très faible dose, j'entends vraiment très faible. Si vous voulez de l'aspirine homéopathique par exemple, vous n'avez qu'à diluer une capsule dans toute l'eau que contient la planète Terre, et vous obtiendrez encore des doses cent mille fois plus concentrées que ce que l'on vous vend en pharmacie. Prescription: attention de ne pas en abuser, et buvez avec un bon café allongé à la santé des finances des laboratoires qui fabriquent ces produits... 
  
          Du côté des médicaments dits « naturels », outre le fait que leur action – si action il y a – est aussi chimique que les médicaments... chimiques – la nuance est très importante pour la mise en marché de ces produits –, leurs partisans s'opposent à ce que le corps médical vérifie leur validité avec des méthodes reconnues. Pourtant, cela ajouterait à l'imposant arsenal thérapeutique si nous pouvions prouver leur action. Il est aussi bon de noter qu'il ne semble pas y avoir beaucoup de documentation sur d'éventuels problèmes, comme des allergies, des contre-indications ou encore des empoisonnements, ce qui, en soi, est très peu scientifique. Encore là, sous prétexte qu'ils sont connus depuis des lustres, les lobbies de cette industrie tentent par tous les moyens d'empêcher toute vérification, ce qui s'est jusqu'ici révélé efficace. 
  
Études bidons en bio 
  
          Dans d'autres domaines, comme l'agroalimentaire, on tente aussi de nous en passer de petites vites. Un exemple me vient à l'esprit. Il concerne les aliments dits biologiques. Même si vous consommez ce genre de produits, vous ne réduisez votre « apport de pesticides » que de 1% par rapport aux fruits et légumes ordinaires. Pourquoi? Parce que les végétaux produisent eux-même de puissants et abondants pesticides pour se défendre des insectes et parasites, et que vous les mangez vous-même. 
  
          Quant aux pesticides dits chimiques, les études ont été faites de la même manière que pour le Ritalin, donc je me demande si elles sont vraiment valides. Pour réduire vraiment votre apport de pesticides, il faudrait éliminer fruits et légumes de votre régime alimentaire, ce qui ne serait pas nécessairement brillant. Des terres cultivées avec des engrais naturels comme des fumiers ne produiraient que les deux tiers des terres cultivées avec les engrais actuels. De plus, compte tenu de la relativement faible quantité d'engrais naturels que l'on pourrait obtenir, nous ne pouvons qu'engraisser de 15 à 20% des terres actuelles. Pourtant, bon nombre de gens semblent prêts à payer pour cela. 
  
          Lors de mon premier article, j'avais parlé d'énergie (voir ÉNERGIE VERTE? WÔ, LES MOTEURS!, le QL, no 88). Un des plus puissants lobbies du cercle écolo est celui de l'anti-nucléaire. Je suis personnellement contre la bombe atomique, mais non contre une utilisation prudente de l'énergie atomique, qui constitue une source d'énergie très intéressante pour l'avenir, quoi que certains puissent en dire. En effet, habiter autour d'une centrale n'est pas vraiment dangereux côté radiations, puisque la très large majorité des radiations que nous recevons proviennent du soleil. Et ne me parlez pas de Tchernobyl: son coeur en graphite avait déjà été reconnu comme extrêmement dangereux par Enrico Fermi – un des pères de la bombe nucléaire américaine en 1942. Pour des raisons inconnues, les Russes ont fait ce choix et le problème est survenu, comme prévu. 
  
          Je pourrais citer bon nombre d'autres cas d'idées scientifiques douteuses, mais je crois que vous aurez compris le principe qu'une idée présentée de manière dite « scientifique » est en général mieux acceptée par la population et les gouvernements, même si nous devrions nous en méfier comme la peste. Il me reste tout le pan des sciences sociales à investiguer, mais cela, je le ferai dans deux semaines, en même temps que les statistiques. D'ici là, si vous entendez parler d'une idée scientifique, assurez-vous des intérêts de la personne qui la présente. Cela fait aussi partie de la pensée critique – et scientifique. 

 
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