Montréal, 11 mai 2002  /  No 104  
 
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Marc Grunert enseigne les sciences physiques dans un lycée de Strasbourg et anime le Cercle Hayek, consacré à la réflexion et à la diffusion du libéralisme. Il est également éditeur adjoint du QL pour la section européenne.
 
CHRONIQUE DE RÉSISTANCE
 
L'ONU INVENTE
UN NOUVEAU PROBLÈME GLOBAL
 
par Marc Grunert
  
     « À l'aube du XXIe siècle, le seul vrai et grand débat est celui qui doit opposer les défenseurs d'une vision humaniste du libéralisme aux constructivistes de tous partis et de toutes origines intellectuelles. »
 
– Pascal Salin, Libéralisme
 
 
          Le plus grand danger pour la liberté réside dans le pouvoir politique allié à la mentalité constructiviste. L'attitude rationnelle consiste à élaborer une solution adaptée à un problème en utilisant la logique et les connaissances à notre disposition. Mais lorsqu'une « solution » à un problème posé entraîne une action politique, contraignante pour une multitude d'individus, alors là on franchit le cap de la simple action rationnelle qui est forcément individuelle; on entre dans le domaine irrationnel du constructivisme(1).
 
Le constructivisme à l'oeuvre 
  
          Faites une introspection ou observez comment raisonnent nos hommes de pouvoir: vous verrez le constructivisme à l'oeuvre dès que le problème posé est d'ordre social. On identifie un problème, on imagine une solution: l'État doit faire ceci, cela. Le problème est-il « les inégalités »? On imagine une solution, on fabrique dans sa tête une « société juste » en réarrangeant quelques pièces, toutes s'il le faut, et on demande au pouvoir politique de construire cette « société meilleure ». Notre immense défaut est de vouloir appliquer la rationalité de nos actions individuelles à la société tout entière. Quelle naïveté! 
  
          Une société où le pouvoir politique serait réduit à zéro semble, pour cette raison, une société du chaos, du désordre, de l'injustice. C'est parce que nous avons la tête farcie de préjugés constructivistes que nous nous disons: mais sans pouvoir politique, qui construirait les routes? Qui ferait respecter la loi? Qui la produirait? Qui nous protégerait? À quoi on peut répondre que personne ne nous protège du pouvoir politique qui engendre pauvreté et guerres, personne ne nous protège des abus de pouvoir de la police, des mauvaises lois votées au Parlement, des mauvais juges qui ont le monopole de l'application des « lois » 
  
          Mais puisque le constructivisme est un mode de pensée souvent instinctif il faut lui en opposer un autre: celui de l'ordre spontané, de l'auto-organisation(2). Une société de liberté produirait à moindre coût tout ce qui est utile aux individus. Tout ce qui est utile peut être produit par une économie capitaliste, et plus généralement tout ce qui a de la valeur peut être produit par une société de liberté. Le pouvoir politique n'y ajoute rien sinon de la contrainte et de la « redistribution » forcée dont on sait qu'elle est une supercherie. Si la politique pouvait supprimer la pauvreté ça se saurait, si elle pouvait rendre nos villes plus sûres ça se saurait aussi. En revanche, la liberté d'échanger, de contracter, produit des solutions toujours plus adaptées à chacun de nos problèmes.  
  
Un nouveau problème « mondial » 
  
          Pour avoir en abondance des exemples de constructivisme en acte, il suffit de fixer son attention sur ce que font les hommes de l'ONU. C'est un cas d'école. Première phase de l'action onusienne: l'observation, la quête fébrile de problèmes « mondiaux » à résoudre. Deuxième phase: l'élaboration d'une solution sous forme de normes nouvelles. Troisième phase: mise en application de ces normes dont l'autorité s'impose aux droits des nations et des individus (voir mon article: EN ROUTE POUR LE GOUVERNEMENT MONDIAL, le QL, no 89). 
 
     « C'est parce que nous avons la tête farcie de préjugés constructivistes que nous nous disons: mais sans pouvoir politique, qui construirait les routes? Qui ferait respecter la loi? Qui la produirait? Qui nous protégerait? »
 
          Chaque phase est réalisée par des bureaucrates onusiens spécialisés. À chacun sa tâche. À chaque bureaucratie son intérêt: survivre et croître. Les « observateurs » continueront d'observer, les juristes continueront d'inventer de nouvelles normes et les politiciens de les voter.  
  
          Il se trouve que les observateurs de l'ONU, en veille permanente, ont décidé que la population mondiale vieillissait et qu'il fallait y remédier (voir l'article: « Le vieillissement mondial de la population devient inquiétant », sur LeMonde.fr). La lecture de l'article donne la nausée à toute personne qui n'est pas prête à être traîtée comme un membre du troupeau mondial. Mais l'important est que l'ONU a désormais un nouveau problème global « qui concerne toute l'humanité » (voir mon article: LE FASCISME ÉCOLOGIQUE OU L'ÉTAT MONDIAL EN DEVENIR, le QL, no 102). « C'est un véritable cri d'alarme qu'a lancé l'Organisation des Nations unies à l'occasion de l'ouverture de la 2e assemblée mondiale sur le vieillissement, lundi 8 avril à Madrid. Selon l'organisation, les modifications de la démographie mondiale sont profondes et sans précédent et le vieillissement de la population concerne désormais le monde entier. » (LeMonde.fr 
  
          À nouveau problème « global », même solution: la régulation de la démographie par des normes décrétées au sommet de l'État mondial, si soucieux de garder son troupeau en bonne santé. « Le "Plan d'action contre le vieillissement 2002", qui doit être adopté vendredi à la clôture de l'assemblée, devrait lancer "un appel à un changement d'attitude dans les politiques nationales et internationales, dans les pratiques sociales, au sein des entreprises pour répondre à l'énorme potentiel que présente le vieillissement au 21e siècle", a déclaré le président du comité de préparation de l'assemblée, Felipe Paolillo. » (Le Monde.fr) 
  
Fascisme « bienveillant » 
  
          Je ne résisterai pas au plaisir amer de citer ces mots que l'on peut qualifier ironiquement de « fascisme bienveillant » prononcés par cet homme de l'État mondial, M. Paolillo: Le Plan doit « assurer que, dans le monde entier, les gens soient en situation de vieillir avec sécurité et dignité et de participer à la société comme citoyens à part entière. Le vieillissement rapide de la population est couplé à deux autres phénomènes puissants, la mondialisation et l'urbanisation, et aura sur nos sociétés un impact profond, que l'on ne peut prédire, ni mesurer, mais auquel nous devons nous préparer ». Tout en souhaitant « comme meilleure société possible, une société pour tous les âges ». Qu'est-ce qu'ils ne vont pas inventer pour se croire utiles et le faire croire?  
  
          Tous les totalitarismes ont été des applications du constructivisme. L'ONU n'y échappe pas. Totalitarisme du Bien, le « meilleur des mondes » fabriqué par l'ONU ne sera jamais qu'une nouvelle forme de destruction de la liberté individuelle.  
  
  
1. Le terme est dû à Friedrich Hayek, prix Nobel d'économie en 1974. Voir le tome 1 de Droit, législation et liberté (PUF, libre échange) pour une analyse détaillée de la mentalité constructiviste.  >>
2. Voir EXPLORATIONS ANARCHISTES, le QL, no 37. Et pour mieux comprendre le principe d'auto-organisation: consulter Les principes d’auto-organisation et de sélection naturelle, sur le site de Bertrand Lemennicier.  >>
  
 
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