Montréal, 3 août 2002  /  No 107  
 
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Christophe Vincent travaille dans l'informatique et vit à Paris. On peut lire ses textes sur Le champ libre
 
BILLET
 
PAS D'ESCROCS S.V.P.,
NOUS SOMMES FRANÇAIS
 
par Christophe Vincent
  
 
          En tant que libertarien français, je reviens sur l’article intitulé PAS DE SECTES S.V.P., NOUS SOMMES FRANÇAIS qui est paru dans le QL du 15 septembre 2001. L’auteur, Susan Palmer, s’en prenait aux Français et au fait qu’ils n’aiment pas les sectes.
 
          Pourquoi les Français n’aiment pas les sectes? Selon Susan Palmer, cela viendrait de ce que nous serions intolérants, obtus, bourrés de préjugés, que nos gouvernants seraient stupides et ignorants, que nos médias feraient des amalgames, rien que ça. 
  
          Il y a forcément un peu de vrai là-dedans. Nous les Français, nous ne sommes pas parfaits malheureusement. 
  
          Mais l’essentiel n’est vraiment pas là, et je trouve pour le moins étonnant que Susan Palmer qui prétend être une spécialiste des sectes et qui se défend d’en être « amoureuse », ne parle absolument pas dans son article d’un point pourtant complètement essentiel dans cette affaire: Les victimes des sectes. 
  
          En effet, si les Français n’aiment pas les sectes, ce n’est pas tant à cause de leurs croyances extravagantes et saugrenues. Les Français se fichent complètement de savoir lesquelles sont apocalyptiques, lesquelles baptisent des OVNI, lesquelles s’imaginent que nous sommes habités par des Thétans et je ne sais quoi encore. Ils n’ont pas d’intolérance particulière vis-à-vis de tout ce folklore. Cela les fait même plutôt rire qu’autre chose. 
  
          Ce qui ne les fait plus du tout rire en revanche, ce sont les histoires révoltantes qu’il y a eu autour de certaines de ces sectes. Des adeptes ont été escroqués, harcelés, exploités, manipulés, dépouillés de leurs biens, poussés au suicide. J’invite ceux qui voudraient avoir plus d’informations à se rendre sur le site Pour ne pas se laisser piéger par les sectes... où ils pourront notamment trouver des témoignages d’anciens adeptes de l’Église de scientologie extrêmement instructifs. 
  
          Ce que les Français n’aiment pas dans les sectes, ce sont les escrocs qui souvent s’y cachent. Voilà ce qu’ils ne tolèrent pas. Voilà ce qui est à l’origine du rejet de ces mouvements dans l’opinion publique française. L’intolérance envers telle ou telle croyance religieuse n’a vraiment pas grand-chose à voir là-dedans. C’est un point qu’une soi-disant spécialiste des sectes ne devrait ni ignorer ni taire! 
  
          Alors que faut-il faire pour empêcher que les sectes ne fassent de victimes? 
  
Ce qu'il ne faut pas faire: des lois injustes 
  
          Plein de bonnes intentions (comme d’habitude), le gouvernement français a cru bon de faire voter une nouvelle loi (comme d’habitude), la loi About-Picard, qui prévoit de dissoudre les groupes reconnus comme sectaires lorsqu’ils auront fait l’objet de deux condamnations judiciaires. 
  
     « Pour lutter efficacement contre les escrocs qui se cachent parfois dans les sectes, il suffirait de donner des moyens à la justice française et de la réformer de manière à ce qu'elle soit capable de juger vite et bien. »
 
          En tant que libertarien, je suis bien entendu contre cette loi. D’abord, parce que cette loi va à l’encontre du principe de justice. Quand il y a un escroc dans un groupe, il faut s’en prendre à lui et pas à l’ensemble des membres du groupe. Ensuite, parce qu’il ne faut pas faire de lois d’exception. La loi doit être la même pour chaque citoyen. Peu importe qu’il soit membre d’une « secte » ou qu’il soit président de la république. 
  
          De toute façon, en plus d’être injuste, cette mesure est illusoire et sera parfaitement inefficace. En effet, les associations « interdites » ne disparaîtront pas comme par enchantement lorsque le juge prononcera sa sentence. Elles deviendront tout simplement des associations clandestines, des associations encore plus secrètes qu’elles ne le sont aujourd’hui. Où est l’intérêt? 
  
          Enfin, en commettant une injustice envers les sectes, on leur a fourni un excellent prétexte pour crier au martyr, pour crier à l’intolérance religieuse et détourner ainsi l’attention du public du véritable problème: les victimes des sectes. Les articles qui sont parus dans le QL à ce sujet en sont une bonne illustration: LES SECTES: LA CHASSE AUX SORCIÈRES EST OUVERTE, le QL, no 57; LA LIBERTÉ RELIGIEUSE MENACÉE EN FRANCE, le QL, no 85; et bien sûr PAS DE SECTES S.V.P., NOUS SOMMES FRANÇAIS dans le QL, no 88, l’article de Susan Palmer. 
  
          Je suis donc pour que cette loi About-Picard soit retirée le plus rapidement possible. 
  
Ce qu'il faut faire: appliquer la loi efficacement 
  
          Mais alors que faut-il faire pour combattre les escrocs qui se cachent parfois dans les sectes? 
  
          Rien de spécial. Il suffit d’appliquer la loi. La loi condamne l’escroquerie, la loi condamne l’abus de faiblesse. D’anciens adeptes courageux qui, à juste titre, ont porté plainte pour escroquerie contre leur secte ont fini par obtenir gain de cause. Des responsables de la scientologie ont notamment été condamnés à Lyon pour escroquerie en 1999. Il n’y a donc pas besoin de changer la loi, il suffit de l’appliquer. 
  
          Mais, pour appliquer la loi, pour rendre la justice, il faut des moyens et il faut que ces moyens soient bien employés. Malheureusement en France, nous n’avons ni l’un ni l’autre. Faute de moyens suffisants, et faute de procédures judiciaires simples et efficaces, un procès dure en général des années. Ainsi, le procès dans lequel les escrocs scientologues lyonnais ont été condamnés s’est étalé sur plus de 8 ans! 
  
          Cette lenteur, cette inefficacité de la justice française est un formidable gage d’impunité pour tous les escrocs, notamment ceux qui font partie partie d’organisations puissantes, l’Église de scientologie par exemple, des organisations qui ont les moyens de faire face à des procès longs et coûteux et d’épuiser tous les recours de la procédure. En face d’eux, les victimes qui n’ont pas ces moyens et qui sont souvent extrêmement désemparées n’osent pas se lancer dans un tel marathon judiciaire même si le bon droit est totalement de leur côté. 
  
          Pour lutter efficacement contre les escrocs qui se cachent parfois dans les sectes, il suffirait donc de donner des moyens à la justice française et de la réformer de manière à ce qu’elle soit capable de juger vite et bien. Le jour où la justice française sanctionnera efficacement et rapidement l’escroquerie, dans un délai de quelques mois par exemple, les victimes n’hésiteront plus à porter plainte étant sûres d’être entendues et d’obtenir rapidement gain de cause. L’escroquerie ne suscitera alors plus autant de vocations qu’aujourd’hui. Beaucoup de sectes disparaîtront alors sans doute aussi vite qu’elles sont apparues. 
  
 
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