Montréal, 23 novembre 2002  /  No 114  
 
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Yvon Dionne est retraité. Économiste de formation (Université de Montréal), il a travaillé à la Banque du Canada (11 ans) puis pour « notre » État du Québec (beaucoup trop longtemps: 20 ans). On peut lire ses textes sur sa page personnelle.
 
CE QUE J'EN PENSE
 
DÉVELOPPEMENT RÉGIONAL:
LIBÉRONS LE MARCHÉ!
 
par Yvon Dionne
  
  
          Du 12 au 14 novembre derniers, le gouvernement du Parti québécois a réuni à Québec des représentants régionaux dont la majorité a été choisie par lui ou lui était sympathique, une majorité issue des structures régionales(1) qu'il a lui-même créées, entretenues financièrement et qui n'existeraient pas sans lui. C'est probablement pour cette raison que le ministre des Régions, Rémy Trudel, qualifiait l'événement de « mobilisation des forces nationales »...  
  
          Pour en remettre, ce « rendez-vous national » (au Québec, pour qu'un événement soit bien vu par la pensée collectivisante, il faut qu'il ait une saveur « nationale » ou qu'il porte le mot collectif) a été qualifié par le premier ministre Bernard Landry comme étant « le sommet le plus réussi de toute l'histoire du Québec ». Faut connaître notre histoire pour savoir que M. Landry a une propension à se péter les bretelles jusqu'à ce qu'elles cassent (un petit fait non mentionné dans la biographie écrite par le journaliste Michel Vastel...). Et on nous promet un autre « rendez-vous national » pour janvier prochain, cette fois sur la santé (probablement pour conditionner la population à une hausse de taxes)!
 
          Ce qui m'incite à écrire sur le sujet, après en avoir été saturé par les médias, c'est d'abord cette question posée à l'émission Droit de parole, à Télé-Québec, le 8 novembre: « Faut-il garder nos villages ouverts à tout prix? » En fait, la question ne se pose pas puisqu'il revient aux résidants eux-mêmes, non pas à l'État, de décider de leur avenir, de s'organiser entre eux pour les services qu'ils jugent nécessaires, etc. Seuls les régimes totalitaires peuvent nous assigner à une résidence à tel ou tel endroit. Des villes minières, telle Murdochville en Gaspésie, ont perdu leur principal employeur; ceci était prévisible depuis plusieurs années. Des travailleurs y ont été attirés par des salaires élevés. Comme ils avaient le choix d'y aller, ils ont aussi le choix d'y rester ou d'aller ailleurs. Il faut avoir du culot pour demander à tous les payeurs de taxes de leur rembourser le prix qu'ils ont payé pour leur maison. 
  
          Quoi qu'il en soit, depuis six ans je vis en permanence en milieu rural forestier. Une paix toute relative car l'impôt et les autres devoirs du citoyen nous suivent dans les coins les plus reculés. Comme j'y suis déjà, je n'aurai pas droit à tous ces incitatifs que l'on s'apprête à instaurer pour inciter au retour à la campagne. Le sommet... de la bureaucratie régionale vient en effet d'accoucher d'un budget de 2,5 M$ pour embaucher 16 agents de migration et de liaison pour convaincre les jeunes de retourner chez eux. Un saupoudrage inutile et farfelu. Des politiciens promettent même des crédits d'impôt. Quand mes parents ont déménagé à Montréal, il y a cinquante ans, ils ont fait ce que plusieurs jeunes font aujourd'hui: se trouver un emploi. Si des milliers de Québécois ont déjà émigré aux États-Unis dans le même but, c'est qu'il n'y avait pas d'avenir pour eux et ils ont pris la bonne décision. Ils ont voté avec leurs pieds, faute de mieux. 
  
La vérité des coûts et des prix 
  
          Il ne faudrait pas s'imaginer que les régions non urbanisées, en particulier les régions dont l'économie dépend des ressources naturelles, n'ont d'autres avantages que les ressources et les activités de plein air. Montréal par exemple a le taux d'infractions au Code criminel le plus élevé au Québec (et aussi le nombre le plus élevé de policiers par 1000 habitants...); le pourcentage des personnes âgées de 0 à 64 ans qui vivent de l'aide sociale y est comparable à celui de la Mauricie. La proportion des ménages propriétaires de leur logement est la plus élevée en Gaspésie, plus du double de celle de Montréal. En moyenne, les revenus sont moins élevés dans les régions ressources mais la part des dépenses allouées au logement y est moindre. 
  
          Cinquante-neuf pour cent de la population du Québec réside à Montréal et ses régions limitrophes alors que les régions ressources ont vu leur population diminuer de 1991 à 2001. Outre l'émigration, il arrive même que le nombre de décès surpasse celui des naissances. En raison du faible peuplement et des distances la santé, l'éducation, l'entretien des routes coûtent relativement plus cher, sur une base per capita; par ailleurs, le transport en commun et les infrastructures des centres urbains coûtent cher en subventions, de même que les avantages fiscaux à « l'économie du savoir ». 
  
          Des participants à ce prétendu rendez-vous des régions souhaitaient voir un bilan régional des transferts gouvernementaux, des taxes et redevances diverses. A priori la redistribution interrégionale ressemble à la redistribution des revenus: la main droite donne le plus souvent à la main gauche et l'État et les bureaucrates se servent au passage. Ce qu'on voit, ce sont les subventions des ministères, mais ce qu'on ne distingue pas toujours clairement ce sont les impacts négatifs de toutes les interventions gouvernementales, dont une grande part sert à entretenir des structures pour les amis du pouvoir. 
  
Libérer les entreprises et les individus de la statocratie 
  
          La meilleure réponse au développement des régions serait sans doute de libérer d'abord le marché, tant celui du travail que tout ce qui affecte les entreprises et les individus, de la réglementation et de la paperasse gouvernementale auxquelles il est soumis. Québec vient au contraire de resserrer ses normes pour ce qui est de la sous-traitance et de la Loi sur les normes du travail, laquelle devient de plus en plus une forme de syndicalisme sans syndicat, qui conscrit même le travail domestique. Le travail est depuis longtemps contingenté dans l'industrie de la construction. C'est la Commission de la construction, le chapeau des syndicats de la construction, qui délivre les permis de travail. 
  
          L'État réglemente les professions aux dépens des consommateurs. Il « gère » l'offre dans plusieurs domaines (y compris la production de sirop d'érable!), aux dépens des producteurs plus efficaces et des consommateurs. Le gouvernement s'acharne contre le travail au noir, c'est-à-dire le travail libre de taxes, et a enrégimenté des employés (surtout de sexe féminin) dans ce qu'il appelle « l'économie sociale » (un autre gadget bureaucratique). Des villages s'objectent à la fermeture de leur école primaire, mais le gouvernement refuse les classes à niveaux multiples(2) et il oblige les parents à envoyer leurs enfants dans ses garderies à 5$(3). L'État conserve sa mainmise sur les terres publiques, dont il retire des redevances, alors qu'il serait plus bénéfique pour le développement régional qu'elles soient privatisées. Et que dire du zonage agricole qui empêche le développement à d'autres fins des terrains impropres à l'agriculture? 
  
     « La diversification d'une économie présuppose un milieu favorable à la création des entreprises, en particulier les petites entreprises. C'est le gros bon sens. L'État a au contraire développé une culture de dépendance dont il est souvent difficile de sortir et qui nourrit de nouvelles attentes vis-à-vis l'intervention étatique. »
 
          La diversification d'une économie présuppose un milieu favorable à la création des entreprises, en particulier les petites entreprises. C'est le gros bon sens. L'État a au contraire développé une culture de dépendance dont il est souvent difficile de sortir et qui nourrit de nouvelles attentes vis-à-vis l'intervention étatique. Les « échecs du marché » ont leur source dans les inefficiences réelles des interventions étatiques. Quand les petites entreprises sont soumises au même red tape que les grandes, et ceci dans une région où les grandes entreprises de ressources naturelles paient des salaires élevés, il y a là deux obstacles majeurs à la diversification. Libérer les entreprises et les individus des contraintes venant de Québec et d'Ottawa apparaît comme une condition sine qua non à la diversification d'une économie régionale sur la base de ses avantages comparatifs. Le Québec dans le monde est aussi une grande région et ce qui est vrai à la grandeur du Québec l'est aussi pour les régions. 
  
Trop de paliers bureaucratiques et de structures étatiques 
  
          Du temps de l'ex-premier ministre Maurice Duplessis la mode était aux bouts d'asphalte, particulièrement en période électorale. Loin de disparaître, cette mode s'est amplifiée et diversifiée et elle a pris avec l'encadrement étatique un parement de rectitude politique. Aujourd'hui, l'Hydre de Lerne(4) étend son influence dans tous les domaines à travers un réseau de structures qui se sédimentent et qui nous encrassent. Je vais résumer, en décrivant les principales têtes de l'Hydre. 
  
          Tous les ministères ont leurs structures régionales. Par exemple, en santé nous avons les régies régionales (que le Parti libéral propose d'abolir). Les délimitations territoriales des 17 régions sont définies par Québec et correspondent à la structure administrative régionale des ministères. Une Conférence administrative régionale (CAR) voit en principe à la coordination de tout ce beau monde en région et il y a une Table Québec-Régions (TQR), avec existence légale s'il vous plaît, qui permet au ministère des Régions et aux CRD de communiquer entre eux. 
  
          Parallèlement, chaque région a son Conseil régional de concertation et de développement (CRD) suivis de 96 Municipalités régionales de comté (MRC). Les MRC ont été créées par Québec il y a plus de 20 ans avec pour mission... « l'aménagement du territoire ». Même si les maires contrôlent théoriquement les MRC, celles-ci remplissent des fonctions administratives découlant de législations venant de Québec (environnement, évaluation foncière). Tous leurs préfets seront électifs d'ici peu. Mais pour décider quoi? 
  
          À ces structures se greffent des fonds de financement (subventions): des Fonds de développement régionaux pour les CRD qui administrent aussi les demandes de subventions auprès de la Société de diversification économique des régions (SDER), des Centres locaux de développement (CLD) pour les MRC. Les CLD ont même leur association qui est dirigée par un militant péquiste... (après tout, le pouvoir, il faut bien qu'il serve à quelque chose!). 
  
          Tant qu'à parler d'associations, mentionnons l'Association des régions du Québec (ARQ) et celles qui sont moins liées au pouvoir central: l'Union des municipalités du Québec (UMQ) et la Fédération québécoise des municipalités (FQM). Solidarité rurale est un groupe de pression largement subventionné par le gouvernement que celui-ci reconnaît officiellement comme « instance conseil en ruralité ». 
  
          Ne nous essoufflons pas, même si je résume, car il y a des fonds d'investissement plus importants, à « mission » régionale, qui gravitent tous autour de l'État. Par exemple, le Fonds de solidarité a ses Fonds régionaux de solidarité (FRS); Desjardins a Capital régional et coopératif Desjardins (bénéficiant d'un crédit d'impôt de 50%); la Caisse de dépôt et placement (CDPQ) et la Société générale de financement (SGF) participent aussi dans des fonds à caractère régional. 
  
          Au rendez-vous national des régions, la SGF s'est même régionalisée davantage en annonçant un programme d'Action concertée de coopération régionale de développement (ACCORD). Franchement, l'imagination est sans bornes, surtout quand les promoteurs n'ont rien à payer de leur poche. La ministre des Finances, épouse du pdg de la SGF, y a évidemment mis du sien en promettant de nouveaux fonds d'investissement régionaux créés à même des cotisations des travailleurs de chacune des régions. Ceci n'a pas eu l'heur de plaire à la Fédération des travailleurs du Québec, qui a déjà ses FRS..., pas plus qu'au gouvernement fédéral, à qui Québec va bien sûr demander de reconnaître les cotisations comme une contribution à un fonds de retraite, déductible d'impôt. 
  
La décentralisation: pour qui? 
  
          Un État plus près des citoyens ne veut pas nécessairement dire moins d'État, quand les règles sont définies par l'État central et quand la seule concurrence qui existe est celle de satisfaire tous les groupes d'intérêts voulant soutirer le plus d'avantages pour eux-mêmes. Dans l'optique de Québec et des bureaucraties politiques régionales, la décentralisation ne vise qu'à rapprocher le gouvernement de la population, non pas à diminuer le pouvoir étatique. D'ailleurs, les pouvoirs municipaux en général nous démontrent qu'ils sont à l'image du pouvoir politique central: même propension à se dorer le blason à même l'argent des payeurs de taxes, même volonté d'intervenir dans tous les domaines afin d'accroître le rôle de l'État, sans compter que les mécanismes de contrôle du pouvoir sont déficients au niveau local, en particulier dans les municipalités rurales. Au rendez-vous national des régions, le débat s'est fait entre ceux qui veulent plus de pouvoirs et de revenus de taxation (les représentants régionaux) et ceux qui voyaient leur pouvoir remis en question (le gouvernement central), non pas entre eux tous et la population. 
  
          Le débat a pris une allure orwélienne quand les divers niveaux de pouvoirs locaux (CRD et MRC) ont tous réclamés la délégation de ces pouvoirs! Le président de Solidarité rurale, Jacques Proulx, favorisait les MRC et il s'est peut-être échappé quand il a déclaré qu'entre la chienne de Québec et la chienne régionale (les CRD), c'est du pareil au même... Bernard Landry, qui nous avait pourtant annoncé en septembre que le sommet de novembre serait un pas majeur vers la décentralisation des pouvoirs, a dû remettre la question entre les mains d'un comité... Voilà pour la création d'emplois! 
  
          Les pouvoirs locaux, à l'instar de leur alma mater à Québec, se mêlent à peu près de tout: logement subventionné, loisirs, économie sociale, subventions à des groupes d'activistes, etc. Eux aussi se plaignent de « déséquilibre fiscal » et si Québec décentralise ils exigent de nouvelles sources d'impôt. Dans cet exercice n'espérons pas que le contribuable (celui qui paie) sortira gagnant. L'exercice ressemble à celui des fusions municipales forcées où les économies promises ne se sont pas matérialisées parce que l'on a fait fi des avantages de la concurrence et du libre choix. Mais la mémoire est souvent reléguée aux archives. 
  
          Lors de ce « rendez-vous national des régions », dont le coût s'élève au minimum à 800 000 $, où était celui que l'État appelle le citoyen? Il n'y était pas. C'est pour quand le... rendez-vous national des élections provinciales? Enfin, en 2003, on aura un certain choix même s'il ne faut pas se faire d'illusions. Il faudra sûrement revenir à la charge peu après les élections. 
  
  
1. Le site du ministère des Régions contient de nombreux renseignements sur la statocratie régionale et les multiples programmes d'intervention de l'État.  >>
2. Pourquoi pas des classes par internet? Dans ma jeunesse, j'ai fait plusieurs années dans une classe à niveaux multiples, une de ces classes prohibées aujourd'hui par les normes gouvernementales et les conventions collectives des enseignants. Pourtant, si je m'en souviens aussi bien, c'est que je n'ai jamais reçu de meilleur enseignement parce que le prof nous incitait à apprendre de nous-mêmes pendant qu'il s'occupait des autres niveaux, non pas à gober, et si j'extrapole, à attendre que l'État ou les médias nous disent quoi faire et quoi penser.  >>
3. Le gouvernement a créé lui-même une nouvelle source de pénurie en socialisant les services de garde alors qu'en milieu rural, les garderies à 5$ sont inutiles pour la majorité des parents.  >>
4. Dans la mythologie grecque, l'Hydre de Lerne est un serpent à plusieurs têtes dont chacune repoussait aussitôt tranchée. Héraclès le vainquit en lui coupant toutes les têtes d'un seul coup.  >>
 
 
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