Montréal, 21 décembre 2002  /  No 116  
 
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Gilles Guénette est diplômé en communications et éditeur du QL.
 
 
 
LIBRE EXPRESSION
  
ET SI INTERNET SONNAIT LE GLAS
DE LA PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE?
 
par Gilles Guénette
 
 
          Le mois dernier, Fred Reed du Washington Times signait une chronique des plus intéressantes sur l'avenir de la propriété intellectuelle à l'ère d'Internet (« In future, copyright could be extinct », 21 novembre 2002). En gros, le chroniqueur se demandait si les auteurs et les musiciens ne gagneraient pas à se soustraire des lois sur le copyright. Cette question, qui peut sembler curieuse à première vue, est loin de l'être. Pour plusieurs, le concept de copyright est appelé à disparaître.
 
Rien n'est éternel 
  
          Les nouvelles technologies numériques et Internet permettent l'échange de produits culturels – les chansons ou les films, par exemple – sans que leurs auteurs ne soient dûment compensés. Dans ce nouvel environnement, le modèle dans lequel les artistes contrôlent les moindres allées et venues de leurs oeuvres est de moins en moins applicable. Comment s'assurer que les « créateurs » subsistent dans cette nouvelle réalité? M. Reed y va d'une suggestion. 
  
          Prenons un livre. Disons qu'il coûte 20 $ et que de cette somme l'auteur reçoit 1 $, le reste allant à sa maison d'édition, à l'imprimeur, au distributeur, à la librairie, etc. Supposons maintenant qu'il est possible pour cet auteur de vendre ses livres sur le Net sans intermédiaire pour 1 $ – somme qu'il reçoit de toute façon. Dans ce scénario, l'auteur ne perdrait rien et vous et moi achèterions sans doute plus de livres. Le seul élément manquant est la mise en marché de livres/ordinateurs qui permettraient le téléchargement de livres, leur stockage, et qui offriraient des interfaces plaisantes à utiliser – avouez qu'il n'est pas difficile d'entrevoir une telle avancée dans un avenir rapproché... 
  
          Pour l'instant, le principal obstacle à la vente de produits culturels sur le Net, c'est qu'une fois en circulation, il devient extrêmement facile de se les échanger sans que personne ne reçoive quoi que ce soit – ce qui a rendu l'industrie du disque complètement marteau et qui commence à inquiéter royalement l'industrie du cinéma. Mais qu'adviendrait-il si les auteurs pouvaient vendre leurs oeuvres à partir de sites personnels qui offriraient la possibilité d'effectuer des transactions, aussi petites soient-elles, de lecteur à auteur? Encore une fois, la prolifération de sites à accès sécuritaire n'est pas des plus difficiles à entrevoir dans un avenir rapproché. 
  
     « Si tous les livres étaient disponibles sur le Net, il est censé de croire qu'il y aurait plus de gens qui liraient et qu'il y aurait plus de livres disponibles – et ce, dans n'importe quel coin du globe. Et comme il y aurait plus de gens qui liraient, il y aurait plus de chances que des auteurs reçoivent des cachets. »
 
          Le lecteur pourrait télécharger un livre après avoir déboursé le 1 $ demandé – davantage s'il le veut. Ou, il pourrait lire avant et payer après s'il a aimé – une offre du genre « Lisez maintenant et ne payez que dans 3 mois! » Il y aurait autant de modèles transactionnels qu'il y a d'auteurs. La question qui se pose à ce stade-ci est: les gens paieraient-ils pour quelque chose qu'ils pourraient obtenir gratuitement ailleurs (sur des sites comme Kazaa par exemple)? Reed l'ignore, mais il a tendance à croire que oui. Les lecteurs étant foncièrement « des gens de principes... », ils paieraient. 
  
          (Personnellement, je connais des tas d'auteurs à qui j'aurais donné bien plus qu'un dollar pour le plaisir ou les informations qu'ils m'ont procurés lors de lectures mémorables – je penses entre autres à Tyler Cowen, Bernard Goldberg, ou Michel Schneider. Par contre, j'en connais d'autres à qui je n'aurais pas donné un cent...) 
  
          Maintenant, si tous les livres étaient disponibles sur le Net, il est censé de croire qu'il y aurait plus de gens qui liraient et qu'il y aurait plus de livres disponibles – et ce, dans n'importe quel coin du globe. Et comme il y aurait plus de gens qui liraient, il y aurait plus de chances que des auteurs reçoivent des cachets. Reed calcule que si le nombre de lecteurs est multiplié par 10, et que seulement 10% des lecteurs paient le 1 $ demandé, les auteurs feraient autant d'argent sinon plus que ce qu'ils font à l'heure actuelle. Les auteurs à succès comme les plus spécialisés.  
  
Anticipation 
  
          L'industrie de la musique a englouti une fortune pour tenter de mettre fin à l'échange de fichiers mp3 sur Internet, avec les résultats que l'on connaît. Napster maintenant fermé, vous n'avez qu'à vous rendre sur Kazaa – pour ne nommer que celui-là – pour télécharger tout ce que vous voulez. Certains films y sont disponibles avant leur sortie en salle! Des séries complètes de télé aussi. Comme il est relativement simple de numériser un livre, la lecture pourrait, elle aussi, s'échanger de cette façon (elle le sera sans doute). 
  
          Alors que l'accès aux réseaux à large bande est de moins en moins dispendieux et que les transactions en-ligne gagnent de plus en plus en popularité, peut-être que les artistes vendront de plus en plus sans intermédiaires et que les lois sur la propriété intellectuelle deviendra obsolète – pour certains secteurs comme celui de la culture, en tout cas. Et peut-être que c'est une bonne chose. 
  
          Si on regarde l'évolution du Net, tout semble converger vers cette direction. Après l'industrie de la musique, c'est au tour de celle de film de se sentir « menacée » par les échanges entre internautes. Les majors, contrairement aux maisons de disque, ont été rapides à s'adapter – en mettant sur pied, entre autres, des sites de téléchargements de films et des nouvelles technologies qui permettent de mieux encadrer ces échanges. Mais ils n'empêcheront pas le progrès et la popularité des supports pour produits culturels numériques ne cessera de croître. 
  
          Les artistes ne seraient pas les seuls à retirer des bénéfices d'un système comme celui décrit par M. Reed, les consommateurs de produits culturels en retireraient aussi. Étant plus « à la merci » du degré de satisfaction de leurs « clients », les auteurs et les musiciens auraient peut-être plus intérêt à plaire, à surprendre, à faire preuve d'originalité – ce qui manque trop souvent de nos jours. L'émergence d'une telle dynamique d'échanges entre artistes et clients, sans intermédiaires, se traduirait peut-être par une plus grande profusion de produits de qualité et originaux. 
  
 
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