Montréal, 15 mars 2003  /  No 121  
 
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Hervé Duray, diplômé de l'École Supérieure de Commerce de Grenoble, tient La Page libérale, un site dédié au commentaire des informations sous un angle libéral.
 
LA PAGE LIBÉRALE
 
RAFFARIN ET LES 9 RÈGLES
DU PARFAIT POLITICIEN-MENTEUR
 
 par Hervé Duray
  
  
          Pour un homme politique, ne pas tenir ses promesses c'est la base du métier. Seulement il faut gagner les élections aussi. C'est certainement là toute la difficulté de la politique: trouver un prétexte ou un bouc émissaire pour faire oublier ses propres échecs, tout en s'appropriant la réussite des autres, sans que personne ne s'en rende compte ou ne le relève, voire, encore mieux, faire passer un désastre pour un succès! 
 
          Évidemment réussir de tels tours de passe-passe n'est pas à la portée de tout le monde. Jospin avait beau prétendre être à l'origine de la croissance de 1998-2000, personne ne l'a cru, au vu du résultat des présidentielles. Mais ses alliés politiques n'ont pas renoncé à réclamer son « héritage », comme par exemple Dominique Strauss-Kahn dans l'émission 100 Minutes pour convaincre. 
  
          Par contre, les 35 heures semblent vues par un grand nombre de gens comme un succès majeur, au moins sur le plan « social », car les jours de RTT (Réduction du Temps de Travail) dont profitent surtout les classes moyennes écrasées d'impôt sont bienvenus. Mais là aussi, la perception économique est différente: tout le monde a pu constater les difficultés engendrées par ce projet dans son entreprise. Résultat mitigé donc. Mais bon, les socialistes(1) ont perdu les élections. 
  
Raffarin, pas mieux que Jospin 
  
          Maintenant, c'est au tour de Jean-Pierre Raffarin de s'essayer à l'exercice périlleux de faire passer des vessies pour des lanternes, de trouver un bouc émissaire, de détourner l'attention, bref de se cacher derrière l'arbre pour qu'on ne voie plus la forêt. 
  
          Premier ministre de Chirac, il devrait en théorie mettre en oeuvre le programme du président(2). Pour se faire élire, celui-ci a fait des promesses. Trente pour cent de baisse d'impôt sur le revenu dans 5 ans par exemple. Une promesse qui n'engage à rien puisqu'il ne dit pas ce qui va baisser par rapport à quoi. Les taux? Les montants absolus? Les montants hors inflation? L'assiette va-t-elle changer? Avant même venu le temps de décevoir, le président se ménageait des issues de secours, en entourant sa promesse d'un large flou artistique. Règle n° 1: quand vous faites une promesse, faites la tellement vague qu'elle peut vouloir dire tout et son contraire: tout le monde se sentira concerné, et si vous ne la tenez pas, dites que vos détracteurs vous ont mal interprété. 
  
          À peine élu, Chirac a nommé son gouvernement, avec à sa tête un « humaniste libéral »(3). À peine nommé, ce gouvernement faisait savoir qu'il ne pouvait tenir les promesses du président. Les restaurateurs attendent toujours la baisse de la TVA (moi aussi !). Patatras: Bruxelles refuse! Règle n° 2: faites des promesses qui ne dépendent pas de vous, comme ça si vous ne pouvez la tenir, blâmez un tiers. 
  
          Mais il y a pire: le budget 2003 dérape, alors que le budget 2002 est plus catastrophique que prévu. Il faudra donc renoncer aux « baisses » d'impôts. Déjà il y a quelques temps le ministre de l'Économie, Francis Mer, avouait que les « baisses » étaient compensées par d'autres hausses, s'il n'y a plus de « baisse », il faut donc en conclure qu'il y aura une hausse nette. Règle n° 3: mentez par omission, personne ne pensera à vous reprendre. 
  
          Comment Raffarin va nous faire avaler cette couleuvre, après avoir fait campagne sur les baisses d'impôts? Intervient alors la règle n° 4: minimisez! Il faut donc faire croire que la catastrophe n'est pas si grave que ça. Comment? Bataille de chiffres, manipulation, tout est bon. Malheureusement avec l'euro, ça ne marche plus aussi bien qu'avant: la Commission de Bruxelles veille! Le Traité de Maastricht stipule que le déficit budgétaire des pays de la zone euro ne doit pas dépasser 3% du PIB. Rien que ce chiffre est en lui-même un mensonge: 3% du PIB rapporté au budget de l'État, c'est 20% de déficit quand on compare les recettes aux dépenses. Mais 3% c'est toujours mieux que 20 dans un discours! 
  
     « Autant dire que c'est foutu pour les baisses d'impôts. Le déficit va continuer à s'alourdir étant donné que la croissance est quasi-nulle, qu'aucune action n'est entreprise pour alléger l'État. Il va peut-être même falloir recourir à une hausse de la CSG... »
 
          Mais passons, puisque 3% c'est « acceptable ». Peine perdue: le budget 2003 fera plus: « trois virgules epsilon, moins de 3,1% » dixit Raffarin. « Epsilon », en langage ministériel, ça veut dire des centaines de millions d'euros. Et la ministre aux Affaires européennes d'ajouter: « [on] a mordu la ligne jaune, mais ne l'a pas dépassée ». Avec les arrondis, c'est encore plus simple: « il n'y a pas de différence fondamentale entre 2,9% et 3,1% », d'après Francis Mer(4). C'est exactement l'argumentation française. Aucune mention des arrondis dans le Traité de Maastricht? Vous avez devant vous un exemple de la règle n° 5: redéfinissez les règles en cours de route!  
  
          Tout cela aura bien un impact sur les Français ceci dit. Puisque le déficit s'élargit de jour en jour, il va bien falloir le combler, non? Non. Surtout pas de baisses de dépenses: la rigueur et le social! Comme si l'argent de l'État était dépensé au « social ». Quatorze pour cent pour le service de la dette, 50% pour les salaires des fonctionnaires, 10% dits d'« investissement », reste... pas grand-chose. En fait le RMI (revenu minimum d'insertion) représente à peine quelques milliards d'euros, quasiment rien en regard du budget total. Le reste du « social »? Mais c'est la Sécurité Sociale qui le gère, pas l'État central! D'où la règle n° 6: mélangez tout, personne ne saura faire la différence. 
  
          Mais ce n'est pas fini: parce que vos adversaires politiques ne lâchent pas le morceau, il faut en rajouter. Il faut donc trouver un coupable supplémentaire au désastre. Les budgets ont été construits sur l'hypothèse surréaliste de 3% de croissance. Elle n'atteindra pas 1,5%. C'est donc la faute à la croissance. Mais comme en cas de croissance, le ministre cherchera à se l'approprier, il faut trouver une cause à cette croissance misérable. Facile: c'est la faute de la situation internationale. D'où la règle n° 7: c'est toujours la faute des Américains quelque part. 
  
Le socialisme rampant du gouvernement actuel 
  
          D'abord, continuer sur la pente du socialisme: « La justice sociale, ce n'est pas la distribution à tous, c'est des efforts en direction des plus fragiles » (Raffarin). Selon Thomas Sowell, la justice sociale c'est « l'envie + la rhétorique ». Mais Raffarin n'est pas libéral, il est « libéral humaniste ». Un étatiste pour faire simple. D'ailleurs, si les déficits ne peuvent être contenus, en tout cas pas par Raffarin, autant leur donner une justification: il faut soutenir l'activité! Keynes à la rescousse: « Ce n'est pas lorsque la croissance est incertaine qu'il faut serrer plus que nécessaire les dépenses. Cela conduirait à déprimer davantage la conjoncture ». 
  
          Autant dire que c'est foutu pour les baisses d'impôts. Le déficit va continuer à s'alourdir étant donné que la croissance est quasi-nulle, qu'aucune action n'est entreprise pour alléger l'État. Il va peut-être même falloir recourir à une hausse de la Contribution sociale généralisée... Alors, quelle justification va trouver Raffarin? Aucune: il va nier tout en bloc: « Nous n'irons pas à rebours de nos engagements de baisse ». Ne vous inquiétez pas, personne n'ira le reprendre, et c'est pourquoi il peut utiliser la règle n° 8: mentez, personne ne s'en souviendra. 
  
          Finalement, on se demande comment les politiciens peuvent débiter ça impunément. La raison est que tout cela ne pourrait fonctionner sans deux ingrédients essentiels: la complicité médiatique d'une part, et l'analphabétisme économique d'autre part. 
  
          Complicité médiatique car les journalistes sont trop serviles pour attaquer leurs maîtres, quand ils ne sont pas acquis à leur cause. Analphabétisme économique car du collège à l'université les professeurs doivent enseigner le keynésiannisme, l'interventionnisme, l'étatisme comme solution ultime à tout problème. Car pour perpétuer son pouvoir, rien ne vaut la règle n° 9: c'est avant 18 ans que tout se joue... 
  
  
1. Ceux de droite n'osent pas dire qu'ils le sont aussi. Le Parti Socialiste a le mérite de la franchise!  >>
2. Non, je ne mettrai pas de majuscule à la fonction de chirac.  >>
3. Voir à ce sujet mon article « L'humanisme de Raffarin » sur La Page libérale, 06 Août 2002.  >>
4. « J'espère que non », a répondu Francis Mer, interrogé vendredi 21 février sur France 2. « Ça ne m'empêche pas de dormir parce que, de toute façon, il n'y a pas de différence fondamentale entre 2,9% et 3,1% » in Le Monde.  >>
  
 
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