Montréal, 19 juillet 2003  /  No 126  
 
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Jean-Luc Migué est Senior Fellow de l'Institut Fraser et auteur de Le monopole de la santé au banc des accusés, Montréal, Éditions Varia, 2001.
Réjean Breton enseigne à la Faculté de droit de l'Université Laval à Québec.
Michel Boucher enseigne à l'ÉNAP (École nationale d'administration publique).
 
ÉCONOMIE POLITIQUE
 
LES GARDERIES À 5$ AU SERVICE
DE L'APPAREIL ET DES PRIVILÉGIÉS
  
par Jean-Luc Migué,
Réjean Breton et Michel Boucher
  
  
          Le réflexe des défenseurs du modèle québécois est devenu familier: se camoufler derrière les pauvres, monter aux barricades ou descendre dans la rue, quand les manières de faire différentes sont proposées aux Québécois.   
  
          La remise en question du financement des garderies met, prétendent-ils, en péril des valeurs – on ne précise pas lesquelles – que les Québécois tiendraient pour acquises, comme l'accès universel aux services de l'État. L'affaire des garderies nous est présentée comme un complot des forces du mal, le secteur privé, contre les forces du bien qui s'exercent évidemment du côté de ceux qui veulent toujours plus d'État, le plus haut niveau de fiscalité possible et le maximum d'employés du secteur public. La fiscalité alourdie comme frein à la prospérité générale n'apparaît nulle part dans le schéma des étatistes irraisonnés. Dans une perspective de croissance et de progrès pourtant, la prospérité générale reste la seule garantie à long terme de l'accès aux services et de la liberté de choix. 
 
          Le monopole d'État et syndical dans les services publics, et particulièrement dans les garderies à 5$, serait la seule façon d'aider les pauvres; d'où l'absolue nécessité de maintenir l'accès universel et le rejet inconditionnel des garderies privées, avec ou sans but lucratif. Selon les apôtres du bien commun, qualité des services et recherche du profit seraient incompatibles. 
 
L'universalité, pièce indispensable du national-syndicalisme 
 
          Serait-il encore permis de se livrer à un peu d'analyse et d'exprimer notre opposition à l'universalité, même si la démarche devait nous faire basculer dans le camp du mal?
 
          L'universalité est la solution facile; dommage qu'elle soit la pire. D'abord, elle coûte et coûtera inutilement cher. La grosse machine étatique va progressivement se mettre en place, insidieusement, avec sa panoplie d'administrateurs plus soucieux du respect des procédures que d'efficacité, avec ses cohortes d'éducatrices certifiées conformes, avec sa kyrielle de cols bleus et blancs, et pourquoi pas rouges pour syndiqués, avec sa convention collective « nationale », toute en permanence, en ancienneté et en rigidités, bref une grosse machine génératrice de coûts fixes monstrueux qui deviendront d'autres droits acquis intouchables, inscrits au cœur du fameux modèle québécois. 
 
          Cette exigence d'universalité et d'étatisme posée par les âmes généreuses n'est donc pas innocente; elle cache des intentions politiques précises. Il faut garder à l'esprit qu'à l'opposé de la main-d'oeuvre privée, les employés de l'État sont automatiquement syndiqués. L'universalité et l'étatisme, c'est d'abord chez nous une formule syndicale, une pièce indispensable du modèle québécois de national-syndicalisme, un rouage de la machine à taxer et à redistribuer, qui suscite au passage une classe politique de bureaucrates syndiqués, d'autant plus puissante qu'elle sera plus nombreuse à taxer et à redistribuer. 
 
Les garderies à 5$ au profit des privilégiés 
 
          Les adeptes de la garderie socialisée aiment se définir comme inspirés par le souci des pauvres. Le fait est que l'une des meilleures façons d'aider les pauvres est de concentrer l'aide, toute l'aide sur les seuls pauvres. 
 
          La réalité observable est que les garderies actuelles se font au service des classes privilégiées, et donc au détriment des moins favorisés. Observons d'abord que ce sont les parents les plus à l'aise et les plus scolarisés qui sont les plus susceptibles de placer leurs enfants en garderie. À titre d'illustration, notons que les mères qui détiennent un diplôme universitaire sont quatre fois plus susceptibles de faire appel aux garderies que les mères qui ont décroché à l'école. Prétendre assister les pauvres en les englobant dans un régime universel, c'est les ramener à leur condition de pauvres. C'est, les places étant limitées, vouloir les faire passer après tout le monde, parce qu'ils ont moins accès à l'information, et surtout moins de relations et d'initiative. Prétendra-t-on que les universitaires, les professionnels, ne passeront pas dans les faits avant ces exclus de l'égalitarisme et de l'universalité? 
  
     « L'universalité et l'étatisme, c'est d'abord chez nous une formule syndicale, une pièce indispensable du modèle québécois de national-syndicalisme, un rouage de la machine à taxer et à redistribuer. »
  
          Une étude de Claude Laferrière, de l'UQAM, fournit la preuve du contraire. Les parents qui gagnent 100 000 $ ou plus réalisent un gain net de 1 500 $ par année, tandis que les familles ou les parents seuls qui font moins de 40 000 y perdent plusieurs centaines de dollars. Comment est-ce possible? Si une famille de ce dernier groupe déboursait la valeur réelle d'une garderie pour chacun de ses enfants, elle en obtiendrait des gouvernements un crédit d'impôt pour la garde des enfants, crédit qui lui rembourserait de 1 300 à 1 800 $ par année, sans compter le crédit pour la TPS. On aura noté une coïncidence suspecte: les signataires de la lettre alarmiste au Soleil appartiennent tous au premier groupe de revenus. En plus des familles à l'aise, un autre gagnant de l'aménagement en place n'est nul autre que le trésor fédéral qui réalise un gonflement de ses rentrées fiscales de quelque 225 millions par année, du fait que l'assujettissement fiscal des parents s'alourdit. 
 
Les garderies à 5$, instrument de discrimination 
 
          Au plan moral, la mécanique qui refile aux ménages sans enfants le coût des enfants des autres ne manque pas de susciter l'inconfort. Ce n'est pas l'unique détour par lequel les fervents de la charité avec l'argent des autres s'arrogent des vertus d'altruisme. Le régime en place postule que la gratuité au consommateur et le transfert du fardeau à la fiscalité générale sont l'expression de la volonté populaire, le symbole de la justice sociale, l'expression du sens de la compassion, qui animent l'âme québécoise, en opposition à l'individualisme cruel des Américains. 
 
          Le fait est que les fonds publics qui servent à financer les garderies dans leur forme actuelle ont supplanté les autres programmes publics en faveur des familles (allocations familiales, assistance aux mères célibataires, etc.). Cette évolution s'est donc faite au détriment de certains groupes, dont les parents d'enfants de plus de 5 ans, les familles monoparentales, les parents qui choisissent de rester à la maison ou d'opter pour le travail temporaire pour assurer la garde de l'enfant, sans oublier, bien entendu, les ménages sans enfants. Il s'agit donc d'une forme manifeste de discrimination contre le choix de certains parents au profit d'autres. Les sondages révèlent que les trois-quarts des familles canadiennes préféreraient qu'un parent reste à la maison pour prendre soin des enfants. Cette préférence n'est pas que sentimentale.  
  
          Une méta analyse (intégration des résultats obtenus par toutes les études existantes, publiée par la National Foundation for Family Research and Education) portant sur 32 000 enfants qui fréquentent des garderies, indiquerait que, relativement à la garde parentale, la garderie exerce un impact négatif, faible mais réel, sur le développement intellectuel, émotif et social de l'enfant qui y passe 25 heures ou plus par semaine. Nous n'en faisons pas une condamnation de la garderie; nous soulignons seulement que le choix des parents en faveur d'une autre formule repose moins sur le préjugé que l'option des fanatiques de la garderie universelle et sans restrictions. 
 
          Et déjà, le régime fiscal favorise l'option en faveur du travail des deux parents par le mécanisme de l'income splitting. Le privilège associé aux garderies gratuites s'ajoute donc à la pénalité fiscale des maris qui choisissent d'augmenter leurs heures de travail pour laisser à leur épouse la latitude de s'occuper de leurs enfants à la maison.   
 
          Dans la perspective collectiviste de la société, qui inspire les concepteurs des grands projets de société, l'État incarne une volonté sociale abstraite, supérieure au jugement des individus qui la compose. Puisque c'est la société, non les individus, qui possède une finalité, l'État devient le gardien, le garant, l'incarnation de la culture et du bien-être. Le redistributionnisme au service de l'ordre juste dicté par l'élite politico bureaucratique s'impose, puisque les individus ignorent ce qui est bon et mauvais pour eux. En sciences sociales, on range cette approche dans la catégorie des pseudosciences au même titre que l'astrologie, la parapsychologie et les autres sciences occultes. 
 
Un aménagement respectueux du choix des parents 
 
          Les fanatiques du lobby étatiste ne conçoivent qu'une solution au problème des parents modernes: la garderie publique universelle. Pour ces idéologues, l'option de favoriser la croissance du revenu familial pour permettre à un parent de travailler de moins longues heures à l'extérieur ou de payer sur demande un voisin, un ami ou un parent pour assurer la garde, est un sacrilège contre la religion collectiviste. Il existe pourtant une alternative évidente au régime actuel pour favoriser la croissance du revenu et la liberté des parents de choisir l'aménagement qui convienne à leurs valeurs et à leur disponibilité: l'octroi d'allocations aux parents moins à l'aise, qui leur laissent, comme aux plus fortunés, toute latitude de retenir l'aménagement adapté à leurs besoins. La formule servirait à abaisser le fardeau des moins bien nantis qui opteraient pour la garderie, publique ou privée, ou à remplacer le revenu sacrifié de ceux qui choisiraient de rester à la maison. Les enfants des parents défavorisés seraient les plus susceptibles d'y gagner. La formule sacrifie même à l'idole collectiviste en reportant sur les ménages sans enfants une partie du fardeau des parents. 
 
 
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