Montréal, 19 juillet 2003  /  No 126  
 
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André Dorais a étudié en philosophie et en finance et vit à Montréal
 
ÉTHIQUE LIBERTARIENNE
 
POURQUOI L'ÉTAT EST ILLÉGITIME
 
par André Dorais
  
  
          Lors de la présentation du budget du gouvernement québécois, le 12 juin dernier, le ministre des Finances nous a enjoint à nous demander non pas ce que l'État peut faire pour nous, mais, ô sacrilège! ce que nous pouvons faire sans lui. J'ai décidé de le prendre au mot. La réponse courte est tout, absolument tout! 
 
L'État est illégitime 
  
          La justification principale de l'État, celle proposée par les philosophes depuis des siècles, relève du besoin de sécurité physique de l'homme. Or l'homme ne se sert pas de l'État pour se nourrir et pourtant ce besoin est tout aussi vital que son besoin de sécurité. Alors qu'est-ce qui distingue à ce point ces besoins qui nous conduisent à y répondre par l'entremise de l'État d'un côté et de l'autre par la liberté d'échanger? 
  
          Partout dans le monde on constate que de nombreux individus et organisations, autant privées que publiques, s'offrent des services de police privée. À titre d'exemple, pensez aux détaillants de grande surface et à certaines municipalités. Une police publique est-elle nécessaire à cause de la dimension d'un pays? Les services policiers au Canada sont divisés selon les provinces et juridictions et subdivisés selon les villes. Rien, à première vue, n'empêche une privatisation complète de ce service au Canada, qui est l'un des plus grands pays par sa superficie.  
  
          Rien n'indique davantage que la force armée d'un pays par rapport à un autre soit un facteur déterminant en faveur d'une police publique. Ce n'est quand même pas la force armée canadienne qui empêche les dirigeants américains d'envahir le Canada. Il faut bien reconnaître que la seule raison qui explique pourquoi le service de police est public, c'est-à-dire financé par nos taxes par l'entremise de la force coercitive de l'État, est la peur de l'inconnu. Mais demain est inconnu, de sorte que si vous n'avez que cela comme argument pour justifier l'État, c'est peu.  
  
          Certains diront qu'il n'y a pas lieu de justifier l'État car il est déjà en place depuis longtemps. Ce qui équivaut à justifier la force lorsqu'elle est établie depuis longtemps. C'est là notre réalité, elle est légale mais illégitime. Ceux qui soutiennent cette thèse n'ont pas raison, mais seulement le dernier mot, car faute d'esprit, ils ont la matraque. 
  
          L'État n'a aucune légitimité, car il est basé sur la coercition. Vous êtes dans l'obligation d'être rattaché à un gouvernement. Si vous tentez d'y échapper, les hommes de l'État vous pourchassent. Par contre, si vous êtes dociles et n'essayez pas de vous esquiver, ils vous taxent. Personne n'adhère à l'État de façon volontaire. C'est la loi du plus fort qui règne. Il en va de même de l'État mondial en construction, soit l'Organisation des Nations unies qui a pour fondation le Conseil de sécurité composé des cinq « gagnants » de la dernière guerre mondiale.  
  
          Le secteur privé offre déjà la nourriture et le logement et ce n'est que la coercition de l'État qui l'empêche d'offrir également la sécurité à l'échelle d'un pays. À l'instar des autres services, déjà moins essentiels, que s'arrogent l'État, le recours à la démocratie ne lui donne pas plus de légitimité. 
  
La démocratie politique est illégitime 
  
          Précisons tout de suite que la démocratie est légitime en autant que la propriété d'autrui, sauf exception, n'est pas soumise à un vote, que les participants sont consentants et que les enjeux sont clairs. Ces critères de gestion démocratique sont respectés au sein des diverses associations dont l'adhésion est libre, mais ne le sont pas là où ils nous affectent le plus, soit en société.  
  
          La démocratie politique est illégitime, car elle soumet au vote la propriété d'autrui sans son consentement. Puisqu'il est pratiquement impossible, dans une société démocratique, que chaque individu soumette volontairement au vote une partie déterminée de sa propriété, celui-ci ne saurait être légitime. Il est certain que ceux qui vivent de l'argent des autres auront plutôt tendance à la considérer légitime, mais encore faut-il que les autres en question soient consentants pour ce faire. 
  
          Lorsque les sociaux-démocrates parlent de solidarité sociale ou de justice sociale leur but est le même: se procurer par la force la propriété d'autrui. Lorsqu'on leur demande de justifier ce vol, ils commencent par nier que ce soit du vol, alors il faut leur expliquer que forcer les gens à payer de l'impôt n'a rien de volontaire et en ce sens cela constitue du vol. Lorsqu'ils admettent cela, ils tentent alors de le justifier en prétextant que s'ils n'agissaient pas ainsi, il n'y aurait pas de solidarité entre les hommes. C'est vous dire la confiance qu'ils accordent aux autres! Or malgré cette possibilité, imposer la solidarité est illégitime. De plus, c'est la dénaturer. 
  
          Selon eux, la solidarité doit être sociale, c'est-à-dire forcée, pour que le monde soit juste. Leur concept de justice se résume à un écart de richesse « raisonnable » entre les hommes. Leur vol est donc variable selon qui est au pouvoir. Ils se fichent éperdument de savoir si vous avez gagné votre argent honnêtement ou non, l'important pour eux est d'implanter leur idée du bien, soit essentiellement des programmes sociaux et de la police, par l'entremise de l'argent des autres. Pour y arriver, ils pervertissent la morale en plaçant la démocratie au-dessus. Ainsi, ils soumettent au vote la propriété d'autrui, chose qui aurait été impensable il y a deux cents ans. 
  
          Les droits individuels étaient censés être protégés par l'État, non bafoués par lui. Dès le départ de l'État moderne nous avons perdu le sens de ces droits qui n'étaient qu'une tentative d'élaboration du concept de propriété. Ce concept était étroitement lié au concept de la loi naturelle, c'est-à-dire la raison. Avec le temps, la portée de ces concepts s'est vue réduite. La loi naturelle s'est d'abord transformée en droits naturels qui, à leur tour, n'évoquent plus la propriété depuis leur légalisation. Or, le concept de propriété couvre une réalité plus grande que celle décrite par les droits naturels. 
  
Le droit à la liberté 
  
          L'essence de la propriété est de ne pas agresser et voler autrui. Exprimée en termes de droits naturels, la propriété signifie essentiellement le droit à la liberté en général. Cependant, et aussi paradoxal que cela puisse paraître, les tentatives d'élaboration du concept nous ont mené à la brimer davantage. Les libertés de pensée, d'opinion et d'association, qui se retrouvent dans la plupart des textes de loi, ne sont qu'une infime partie de la liberté. Par conséquent, tenter de la présenter en pièces détachées ne peut résulter qu'en sa violation.  
  
          De même, le flou du concept de sécurité dans certains textes a vite été saisi par les forces soi-disant progressistes pour lui donner une définition plus large. Ainsi, de l'idée de préserver la liberté de chacun, donc la vie ou plus généralement la sécurité physique, nous en sommes venus au droit à une sécurité financière. Toutefois, pour ce faire il faut voler autrui, par conséquent empiéter la propriété de chacun. À cela les progressistes répondent qu'il s'agit d'un vol raisonnable. 
  
          L'homme est propriétaire de lui-même de sorte qu'il est lui-même une propriété. Cet inversement possible des concepts peut expliquer que la majorité de nos ancêtres s'en soient tenus à définir la propriété de façon stricte, c'est-à-dire ce qui nous appartient à l'exclusion de notre propre corps. Il n'en demeure pas moins injustifiable de soutirer la propriété ou le bien de quelqu'un sans son consentement. Cela n'a rien de « raisonnable » ou de « généreux » 
  
          Bref, d'une incompréhension des concepts de propriété, de loi naturelle et de liberté nous avons constamment réduit leur portée à mesure que nous cherchions à en tracer les limites. Ayant ainsi évacué le concept de propriété des droits naturels, ce n'était qu'une question de temps avant que nous évoquions des droits collectifs (économiques, sociaux, etc.). Or il ne faut pas se leurrer, là où on parle de droits collectifs l'individu est menacé. 
  
     « À s'en remettre toujours davantage au vote majoritaire pour décider des actions à prendre, les démocraties sont conduites à une expansion du rôle de l'État et à la création de droits collectifs ou biens communs qui sont considérés au même titre que les autres droits. »
 
          Au début de l'État moderne, la démocratie était considérée utile mais il n'était pas question de s'en servir pour diriger la société dans son ensemble. Elle ne s'y prête pas, la société est beaucoup trop vaste et complexe pour être contrôlée par elle. On n'a qu'à constater l'état de crise permanent dans tous les pays démocratiques pour s'en rendre compte. Cela ira s'accentuant tant qu'on ne reconnaîtra pas le concept de propriété comme étant à la base de la coopération humaine. C'est-à-dire tant et aussi longtemps qu'on volera autrui pour implanter sa conception de la justice, l'homme régressera autant d'un point de vue moral qu'économique. 
  
          Les démocraties en forte croissance économique sont celles qui se libéralisent le plus, soit celles qui soumettent le moins la propriété d'autrui à un vote. Toutefois, si celles-ci suivent les traces des autres démocraties elles soumettront à leur tour de plus en plus la propriété d'autrui au vote pour établir la conception sociale-démocrate de la justice, soit une plus grande redistribution des richesses. Atteint ce niveau d'un point de vue économique, les démocraties plafonnent pour ensuite s'appauvrir.  
  
          À s'en remettre toujours davantage au vote majoritaire pour décider des actions à prendre, les démocraties sont conduites à une expansion du rôle de l'État et à la création de droits collectifs ou biens communs qui sont considérés au même titre que les autres droits. Ainsi, on ne fait pratiquement plus de différence entre le secteur privé qui crée la richesse et le secteur public qui en vit.  
  
          Il est bon de rappeler que les gens qui travaillent pour le secteur public vivent de l'impôt payé par le secteur privé. Il est tout à fait faux de dire qu'ils paient de l'impôt, car ils en sont des récepteurs net. L'impôt qu'ils paient est brut, mais ce qu'il leur reste n'en demeure pas moins de l'impôt. Dire qu'ils paient des impôts au même titre que les gens du secteur privé n'est qu'une façon d'endormir la population. 
  
          Autre exemple: une journaliste de la télévision d'État qualifie de « tour de force » le dernier budget gouvernemental, car il a réussi à s'attirer les foudres autant des dirigeants que des syndiqués des commissions scolaires. La grille d'analyse marxiste endort beaucoup de monde. Dans ce cas, employeurs et employés vivent à même nos impôts, de sorte que lorsqu'ils en ont moins ou pas autant que prévu on peut comprendre que tous deux ne soient pas contents. 
  
          Plus le gouvernement dépense, c'est-à-dire redistribue, plus il entame la richesse. Ainsi pour créer de la richesse il ne suffit pas de présenter des budgets équilibrés, mais de réduire et les dépenses et les revenus de l'État. Il en est ainsi car ses revenus sont nos dépenses d'impôts et ses dépenses sont ses choix de consommation, soit ceux des hommes de l'État influencés par les groupes de pression. 
  
          On me dira qu'il y a bien des institutions gouvernementales, telle la Caisse de dépôt et placement du Québec, qui ont pour mandat d'investir et non de consommer, ce qui est exact, mais c'est oublier que nous n'avons pas le choix d'y contribuer. C'est comme un voleur qui vous soutire votre argent tout en vous disant de ne pas vous en faire car il vous le remettra plus tard. Que vous ayez prévu dépenser cet argent ou l'investir ailleurs, il s'en fout, seule sa façon de faire compte. Les sociaux-démocrates qualifient ce vol indifféremment de « solidarité » ou de « justice sociale ». 
  
Le contrôle des prix n'est pas une justification 
  
          Que vous utilisiez ou non les services dispensés par les gouvernements, vous êtes forcés de les payer. Il vous reste donc moins d'argent, par conséquent moins de choix pour obtenir les biens et services que vous désirez vraiment. Ils vous diront qu'ils doivent agir ainsi, car le marché ne saurait offrir ces services à un coût raisonnable pour tout le monde. D'abord, ils nous volent, ensuite ils tentent de se justifier. Or, même en mettant le vol de côté, qui suffit pour qualifier leurs actions d'illégitimes, pour se concentrer sur le prix raisonnable qu'ils évoquent, leur argument ne tient pas. 
  
          Il est vrai que la redistribution fait en sorte que certaines gens, pour un temps, paient moins cher les biens et services subventionnés, mais c'est oublier que l'argent soutiré aux uns pour payer les subventions, fonctionnaires et politiciens ne sert plus à créer de la richesse, mais seulement à ce que d'autres la consomment.   
  
          Puisque l'État n'est pas un créateur de richesse, il doit financer ses dépenses, dont les subventions, par l'entremise du secteur privé. S'il en était autrement il n'aurait pas besoin de nous taxer. Il se finance par l'entremise des taxes, impôts, inflation (planche à billets) et emprunts. Vous me direz que l'individu qui prête son argent au gouvernement le fait volontairement, ce qui est vrai, mais c'est oublier que l'État n'est pas un créateur de richesse, mais un consommateur. Ainsi, pour remettre l'argent au prêteur, le gouvernement empruntera à d'autres prêteurs, voire au même individu, ou encore taxera davantage. Pis encore, à l'aide de l'inflation, dont ils sont les seuls responsables, les gouvernements vous remettront votre argent, mais celui-ci aura perdu son pouvoir d'achat. C'est pour cette raison qu'ils ne sont pas pressés de rembourser la dette. 
  
          L'ensemble de ces ponctions a pour conséquence de réduire les investissements dans le secteur privé où seul se crée la richesse. Les gens s'appauvrissent et par conséquent revendiquent davantage l'aide de l'État pour obtenir le prix contrôlé (raisonnable). L'État doit emprunter et taxer de nouveau pour répondre à la demande. Il s'agit d'un cercle vicieux qui, s'il n'est pas arrêté, peut conduire à l'effondrement complet de l'économie. Le contrôle des prix dans un secteur de l'économie se fait donc nécessairement au détriment des autres secteurs. Puisque ces interventions sont destructrices de richesse, elles conduisent inévitablement à d'autres interventions, par conséquent à l'expansion de l'État. Malgré que l'ex URSS se soit effondrée sur elle-même faute de n'avoir plus rien à taxer, nos dirigeants en suivent l'exemple. Le communisme a fait des petits! 
  
          Voler est grave en soi, mais lorsque le vol est justifié par des arguments fallacieux, des manipulations et des mensonges, ce l'est encore plus car il s'agit alors de fraude. Que celle-ci soit légale ne change pas sa nature. Cela a également pour effet de détruire les liens qui unissent les hommes, développe une mentalité d'ayant droit sans rien avoir à échanger, encourage l'irresponsabilité, le désordre et éveil en lui l'égoïsme pourtant dénoncé par ceux-là mêmes qui portent le doigt accusateur. Lorsque je regarde ce qui se passe autour de moi, je vois des gens, surtout du secteur public et leurs bénéficiaires, qui crient et menacent pour obtenir ce qu'ils veulent. Comment pourrait-il en être autrement? Ne dit-on pas que l'homme apprend de l'homme? Dans ce cas, ce sont les fonctionnaires, groupes de pression et certains individus de leur propre chef qui suivent l'exemple des politiciens.  
  
          Comment ne pas s'indigner contre les sociaux-démocrates qui demandent au gouvernement de s'endetter et de taxer davantage les autres afin qu'eux-mêmes puissent consommer davantage aujourd'hui? Certains d'entre eux prétendent que sans redistribution des richesses il y aurait de la casse. Bel argument! Or il y a déjà de la casse et elle se fait par des gens qui pensent comme eux. Les menaces et les invectives sont d'ailleurs leurs seuls « arguments ». Il y a un nom pour ce comportement: des sauvages.  
  
          Sous le couvert de la vertu, les sociaux-démocrates de gauche comme de droite, c'est-à-dire qui attendent de l'État ou bien l'argent des autres ou bien une fierté et une force nationales, ne sont que des irresponsables toujours prêts à crier, casser, manipuler et frauder pour obtenir ce qu'ils veulent. Ils sont incapables d'apporter des arguments qui justifient leurs actes, mais faute de pouvoir les justifier par la raison, ils les imposent par la force. Sous prétexte de vouloir implanter leur idée de la justice ils sont en train littéralement de la détruire. Il n'y a pas quoi être fier de faire partie de ce type de société.  
  
 
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