Montréal, 13 septembre 2003  /  No 128  
 
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François Morin est conseiller financier dans la région de Québec.
 
BILLET
 
FUSION MUNICIPALE ET DÉMOCRATIE
  
 par François Morin
  
  
          L’un des débats les plus vivants à Québec ces derniers mois est certainement celui des fusions municipales. Presque tous les jours, les médias de la vieille capitale traitent du sujet et la tension est toujours très forte entre pro-fusionnistes et anti-fusionnistes. Ce bras de fer entre banlieues et villes-centres va bien au-delà de la simple question des fusions. Le réel objectif est plutôt un contrôle plus efficace de la population.
 
Objectif: contrôle 
 
          Pour bien voir l’objectif caché des fusions, il faut comprendre la nature même des gouvernements. Loin d’être au service du peuple comme on nous le laisse croire, les gouvernements sont plutôt à leur propre service. En ce sens, ils ont le même but que n’importe quelle entreprise privée, croître. Contrairement à celle de l’entreprise privée qui ne peut grandir qu’en offrant des produits et services qui satisfont ses clients, l’expansion des gouvernements passe par le contrôle de nos vies. Cette intrusion dans nos vies est la justification ultime de leur existence, c’est pourquoi elle sera toujours crescendo. Leur jeu est d’écouter les interminables demandes des groupes de pression et de s’imposer en juge. Leur pouvoir s’étend ainsi toujours un peu plus. Vues ainsi, on comprend que les fusions forcées sont une simple étape de l’évolution naturelle des gouvernements. La machine tend vers une seule entité, toujours plus grosse et toujours plus contrôlante.  
  
          Le plus inquiétant dans le dossier des fusions forcées c’est que le gouvernement provincial a passé une nouvelle étape vers sa finalité. En faisant fi du refus des villes de banlieue de se fusionner, le gouvernement provincial nous annonce que le jeu démocratique n’est même plus une raison suffisante pour l’arrêter. Le frein démocratique s’est évaporé, les fusions sont imposées et les citoyens perdent leur dernier contrôle réel sur les élus. Tout comme au provincial ou au fédéral, le monde municipal deviendra rapidement inaccessible au peuple.  
  
          Pour passer en douce ce nouvel accroc à la liberté, les gouvernements utilisent une stratégie depuis longtemps éprouvée. On commence d’ailleurs à en voir des bribes apparaître dans les médias. On va simplement donner un peu de leste aux anciennes villes pour  leur tirer la couverture sous les pieds dans quelques années. Ce leste en question a pris la forme d’un « pouvoir accru aux arrondissements » et même d’un pouvoir limité de taxation pour les arrondissements. Comme exemple récent, je ne citerai que le dossier du gel des taxes municipales. Sans être surpris des hausses de taxes qui ont suivi les fusions, je m’étonne de la rapidité avec laquelle elles sont arrivées. Les politiciens ne tentent même plus de sauver les apparences tellement la population est docile. 
  
Achat d'élus et désinformation 
  
          Dans cette lutte contre la liberté dans laquelle nos gouvernements sont engagés, il y a de petites batailles de flanc qui ont cours. Je n’en nommerai que deux utilisées dans le contexte des fusions municipales. L’achat des élus des anciennes villes et la désinformation. À quelques exceptions près, les élus des anciennes villes ont cessé la bataille contre les fusions. La possibilité d'accéder au pouvoir d’une ville autrement plus importante que ce qu’ils ont connu ainsi que le traitement favorable de la nouvelle ville à leur égard les a presque tous fait entrer dans les rangs. Pourquoi retourner en arrière si le présent est si agréable et si l’avenir nous offre une possibilité de pouvoirs supplémentaires? On achète une poignée d’individus et on contrôle le peuple. Du Duplessisme réinventé, efficace et drôlement peu coûteux. Cette bataille est jour après jour un peu plus « dans la poche » pour les grandes villes et bien qu’intéressante, elle ne monopolise pas l’attention de la population. 
  
     « Loin d’être au service du peuple comme on nous le laisse croire, les gouvernements sont plutôt à leur propre service. En ce sens, ils ont le même but que n’importe quelle entreprise privée, croître. »
 
          La désinformation est certainement le mirage le plus payant pour les fusionnistes. Bien que le désir des citoyens de maintenir les anciennes villes fut presque unanime et que cela seul justifiait leur survie, la bataille est maintenant sur le terrain des chiffres. Dans la foulée des arguments ridicules, on parle d’économies d’échelle, d’équité et des interminables guerres de clocher pour justifier les fusions. Ces argumentations ne tiennent pas la route, mais la rhétorique des fusionnistes tente de nous les faire accepter. 
  
          Pour réaliser des économies d’échelle, nul besoin de fusion, seulement d’intérêts communs. Le partage de services intermunicipaux peut facilement se matérialiser du moment que les villes s’entendent sur les modalités. De telles ententes existent déjà et si elles ne sont pas plus nombreuses c’est qu’elles ne sont probablement pas toujours avantageuses pour tous. Pour des raisons de qualité ou autre, il est aussi possible qu’une municipalité choisisse volontairement de payer plus chers certains services et de balayer certains partenariats. 
  
          L’équité est un argument qui me fait sourire. Il découle directement de notre grande tradition socialiste. Les villes-centres se sont payé des infrastructures à la grandeur de leur ego mais pas de leur porte-monnaie. On demande donc aux villes qui ont une gestion responsable de ramasser la facture sous prétexte que les banlieusards profitent de ces services. Ce n’est certes rien pour inciter Québec et Montréal à ralentir la cadence. Le choix des individus de se retirer en banlieue, loin des services et des activités de la ville, sera puni par une augmentation des taxes qui profitera aux gens des centres-villes, qui de toute évidence ne savent pas compter. C’est ça l’équité des villes-centres! 
  
Guerres de clocher et monopoles 
  
          La question des guerres de clocher est aussi une aberration issue d’une logique floue si courante au Québec. En fait, « guerre de clocher » n’est pas la bonne expression; les fusionnistes devraient plutôt nous parler d’« élimination de la concurrence ». Un environnement  contrôlé par une seule institution, qu’elle soit privée ou publique, s’appelle un monopole; voilà ce que l’on cherche à créer avec les grandes villes.  
  
          Il est intéressant de constater qu’il existe au Québec un discours si paradoxal sur les monopoles. Dès qu’une entreprise en position de monopole ou d’oligopole réalise des profits intéressants – et c’est le cas ces temps-ci des banques –, une horde de journalistes et de citoyens montent aux barricades pour exiger que le gouvernement réglemente le secteur en question. Dans un même souffle, les gouvernements nous annoncent le plus sérieusement du monde qu’éliminer la concurrence entre les villes est une bonne chose! Les seuls monopoles acceptables sont ceux qui vivent grâce à l’équilibre créé entre l’entreprise et le client. L’oligopole bancaire n’existe au Canada que grâce à la réglementation en place qui empêche la concurrence étrangère.  
  
          De tous les monopoles ou oligopoles, les moins souhaitables sont ceux qui nous sont imposés, ceux mis en place par les gouvernements. Ceux-ci ne sont pas soumis à la concurrence et donc leur performance à tous les niveaux est médiocre. Mauvais prix, mauvais services, mauvaise qualité, rareté. Pensez aux hôpitaux, aux écoles, aux garderies. Maintenir la concurrence entre les villes n’exclut pas les partenariats ou même certaines fusions désirées. Cela signifie que l’équilibre et la vigueur des villes seront maintenus par leur désir de plaire à leurs citoyens et entreprises. 
  
          Le contrôle des masses va rarement en diminuant et la démocratie n’est pas le défenseur de la liberté, mais plutôt l’antichambre du totalitarisme. Cette réalité nous rattrape un peu plus chaque jour, au Québec un peu plus vite qu’ailleurs. Notre histoire est pavée d’une soumission constante à l’autorité du moment, que ce soit le clergé d’antan ou les gouvernements d’aujourd’hui. Le Québécois n’a que brièvement connu la liberté il y a bien longtemps. Il ne la cherche pas, il ne la demande pas, il est pratiquement heureux de se savoir sous l’aile protectrice d’une autorité suprême.  
  
          Les libertariens voient clair dans ce jeu en ne se concentrant non pas sur les débats stériles apparents mais plutôt sur la nature même des acteurs en cause. En défendant la liberté sociale et économique, les libertariens ne cherchent pas un monde parfait, mais plutôt un monde libre. Un monde dans lequel les individus ont le choix de leurs partenaires économiques et sociaux. Un monde où le vrai pouvoir réside en chacun de nous. Un monde responsable qui ne se cache pas derrière l’étendard de la démocratie pour voler et contrôler son prochain. La seule façon de changer tout ça nécessite un éveil de la population. Un désir réel de liberté doit nous forcer à entreprendre la démolition de la machine.  
  
          Fusion municipale ou pas, la machine avance toujours, son rythme peut momentanément être ralenti mais c’est tout. Malheureusement, il faudra probablement aller au bout du système pour qu’un monde libre naisse, et revenir du fond n’est jamais facile. Je nous souhaite bonne chance! 
 
 
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