Montréal, 27 septembre 2003  /  No 129  
 
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François-René Rideau est informaticien et vit à Paris. Il anime le site Bastiat.org, consacré à l'oeuvre de l'économiste libéral Frédéric Bastiat, ainsi que Le Libéralisme, le vrai.
 
OPINION
 
PINOCHET, LE MOINS MAUVAIS
DES DICTATEURS
 
par François-René Rideau
  
  
          Les socialistes ont profité du 11 septembre 2003 pour verser des larmes sur Salvador Allende, président chilien qui s'est suicidé 30 ans auparavant, et pour rebaptiser une place de Paris à son nom(1). Pour moi cependant, Allende est le meilleur des chefs d'État possibles: un chef d'État mort.
 
L'autre 11 septembre 
  
          Allende, qui dirigeait une coalition de partis marxistes, a été élu à la majorité relative (36% des voix) en 1970. Conformément à la constitution, qui ne prévoyait pas de second tour, c'est l'assemblée qui désigna le président et qui cautionna cette majorité relative après qu'Allende se fut engagé à respecter la constitution (ce qu'il n'a pas fait). 
  
          Sous sa présidence, le pays a été progressivement collectivisé, par la pression administrative gouvernementale et syndicale, la terreur communiste officieuse, la non-application inconstitutionnelle par le pouvoir exécutif des décisions judiciaires défendant la propriété privée, la prise en main de facto de l'industrie par les syndicats, etc. Sachant que le parlement et la société civile résistaient, Allende préparait activement la prise de pouvoir par les armes, avec l'aide de Cuba, de la Tchécoslovaquie, etc. 
 
          À la fin, le parlement démocratiquement élu lui-même requit l'usage de la force armée à son encontre (et avec une majorité absolue, cette fois!). Augusto Pinochet a donc sauvé le Chili d'un plongeon sanglant dans une dictature communiste. S'il a préféré garder le pouvoir le temps que les choses se tassent, il a restauré la démocratie dans son pays dès la chute de l'impérialisme communiste soviétique, après référendum. 
  
          On déplore 3 200 morts durant l'ensemble de la dictature de Pinochet – la plupart d'entre eux des terroristes, commissaires politiques et autres propagandistes du meurtre politique, qui s'est finalement retourné contre eux. Comment les collectivistes peuvent-ils, eux, reprocher à Pinochet ses méthodes? Nous seuls individualistes avons la légitimité de les reprocher à Pinochet, et nous n'y manquons pas. Combien de morts dans la moindre dictature communiste? Combien de morts Allende se préparait-il à faire, en plus des centaines de meurtres déjà perpétrés par les groupuscules communistes qui jouissaient de sa bienveillante passivité? 
  
          À vrai dire, comme les communistes se purgent les uns les autres dès qu'ils ont éliminé leurs adversaires, il y aurait sans doute eu plus de morts parmi les seuls communistes (sans parler des autres) si Allende avait confirmé son pouvoir par la force comme il en avait l'intention. Mais pas exactement les mêmes, c'est sûr: les pires auraient survécu et prospéré. Combien de dictateurs ont quitté volontairement le pouvoir de leur vivant? Combien de chefs d'État ont sorti leur pays de la ruine organisée par les communistes et l'ont mené à la prospérité, sans enrichissement personnel massif? 
 
     « Dans leur inversion de toutes les valeurs humaines, [les gauchistes] s'en prennent violemment à Pinochet, non pas parce qu'il est le pire, mais parce qu'il est le meilleur (ou du moins le moins mauvais) de tous les dictateurs de l'époque moderne. »
 
          En fait, si, parmi tous les dictateurs du monde, les gauchistes s'en prennent spécifiquement à Pinochet, avec une violence verbale inouïe, et à l'exclusion de tout autre dictateur, c'est parce que malgré ses erreurs et les crimes dont il a endossé la responsabilité, c'est un type plutôt bien. Il y a de nombreux dictateurs bien pires que Pinochet. Qui ont tué bien plus d'innocents. Qui ont été soutenus plus activement par les Américains. Qui ont affronté des rivaux et adversaires communistes. Mais aucun d'entre eux n'était un type bien. Tous étaient soit des raclures corrompues accrochées au pouvoir, soit des incapables se maintenant par la cruauté, soit des collectivistes au même titre que les communistes (alternatives non exclusives). Seul parmi eux Pinochet n'est pas digne d'un profond mépris. Dans leur inversion de toutes les valeurs humaines, ils s'en prennent violemment à Pinochet, non pas parce qu'il est le pire, mais parce qu'il est le meilleur (ou du moins le moins mauvais) de tous les dictateurs de l'époque moderne. 
 
          Pendant longtemps, je n'ai pas compris pourquoi ma mère respectait Pinochet, alors que l'école et les médias m'enseignaient à le haïr et à adorer le collectivisme. Il m'a fallu du temps, mais j'ai finalement compris. Il suffisait pourtant de se renseigner, tout simplement. 
 
          À propos de dictature et de démocratie, je rappelle que pour un libéral, tout pouvoir politique est illégitime et mauvais, et que ce qui compte n'est pas la méthode, démocratique ou non, par laquelle on détermine celui qui usera de ce pouvoir. Ce qui compte, c'est l'étendue ou la restriction du dit pouvoir. Est-ce que les droits individuels sont respectés, en pratique? Le sont-ils dans la tradition orale, dans le droit écrit? Voilà ce qui détermine si le pays est libre ou non (métonymie qui s'applique aux habitants et n'implique pas l'existence et la validité d'un concept autonome de pays). 
  
          À ce titre, la dictature de Pinochet, qui n'était certes pas un régime de liberté, était bien plus respectueuse des libertés que toutes les républiques « démocratiques » d'Europe de l'Est réunies, et peut-être même que la plupart des autres dictatures nationalistes, comme la Corée du Sud d'alors ou Singapour. Mais c'est Pinochet et pas un autre qui est dans le collimateur des terroristes intellectuels gauchistes – parce qu'ils savent que par delà les rivalités de pouvoir, Pinochet et pas un autre est leur ennemi par les valeurs positives qu'il représente et qu'ils honnissent. En fait, la liberté est tellement peu dans la démocratie qu'à force de se socialiser, toute « démocratique » qu'elle est et restera, la République française finira par tomber plus bas que le Chili d'alors – celui de Pinochet – voire pire encore, celui d'Allende. 
 
          Bon. J'endosse maintenant ma veste ignifugée. Par ici les flammes! 
 
 
1. À lire sur le même sujet: « Le 11 septembre... 1973 » d'Ase, et en anglais « Chile under Allende » de George Irbe et « The Allende Myth » de Val.  >>
  
 
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