Montréal, 7 février 2004  /  No 137
 
 
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Martin Masse est directeur du QL. La page du directeur.
 
 
ÉDITORIAL
 
BREF RETOUR SUR LA GUERRE
 
par Martin Masse
 
 
          Il est amusant de voir ces jours-ci comment les hommes de l’État américain tentent de se dépêtrer du bourbier politique et militaire que deviennent la guerre et l’occupation de l’Irak. 
 
          Après les attentats de septembre 2001, et lors de l’invasion l’année dernière, George W. Bush informait le monde de manière grandiloquente qu’il n’y avait que deux positions possibles: on était avec lui ou contre lui. Il n’y avait aucun doute possible, l’Irak constituait une menace imminente pour la sécurité des États-Unis. La «clarté morale» était à l’ordre du jour. C’était noir ou blanc, rien entre les deux.  
  
          Un an plus tard, on sait que le régime de Saddam Hussein ne possédait aucune arme de destruction massive et n’avait aucun lien avec al Qaeda. Son armée de soldats de plomb n’a opposé qu’une résistance médiocre à l’invasion et ne constituait aucune menace pour personne. Le «Hitler» du Moyen-Orient a lui-même été retrouvé caché dans un trou.  
  
          Mais maintenant que les mensonges concoctés pour justifier la guerre ont été exposés pour ce qu’il sont, le gris redevient à la mode. «On n’a jamais complètement tort ou raison», affirmait il y a quelques jours le directeur de la CIA George Tenet, et c’est ce que nous verrons «quand tous les faits sur l’Irak seront connus».  
    The question being asked about Iraq in the starkest terms is, were we right or were we wrong? In the intelligence business, you are almost never completely wrong or completely right. That applies in full to the question of Saddam's weapons of mass destruction. And like many of the toughest intelligence challenges, when the facts of Iraq are all in, we will neither be completely right nor completely wrong.
          Quand on doit se défendre de la sorte, c’est qu’on n’a plus rien à dire de sérieux mais qu’on refuse toujours d’admettre qu’on s’est trompé.  
  
Le dernier argument 
  
          Le seul argument qui reste en fait aux partisans de l’agression américaine est que «le monde est un meilleur endroit sans le tyran Saddam, les Irakiens sont plus libres». C’est peut-être le cas (on pourra mieux en juger dans quelques années, lorsque la situation en Irak aura été stabilisée, ou bien aura dégénéré dans le chaos et la guerre civile). Mais ce n’est pas pour cette raison que les Américains ont soutenu en masse l’action de leur gouvernement, c’est parce qu’on leur a fait croire qu’ils étaient menacés et qu’il fallait se défendre.  
  
     «Profitant de l’hystérie qui a suivi 9-11, L’État américain s’est donné, sans véritable débat, des pouvoirs de contrôle sans précédent sur sa propre population, et se transforme rapidement en État policier
  
          Ce n’est pas non plus une justification pertinente pour envahir un pays. En fait, la question qu’il faut poser est plutôt: le monde est-il un meilleur endroit maintenant que le gouvernement constitué de menteurs mégalomanes d’une superpuissance impérialiste peut s’arroger le droit d’envahir n’importe quel pays dans le but de protéger ses intérêts et de propager ses idéaux?  
  
          Le monde serait sûrement un meilleur endroit si les millions de gens qui vivent encore au bord de la famine recevaient de quoi se nourrir, se vêtir et se loger convenablement. Mais si cela ne peut se faire que par l’établissement d’un État mondial tyrannique qui imposera la stagnation à l’échelle mondiale en contrepartie de cette redistribution forcée de la richesse, alors non, le remède est pire que le mal. Il y a d’autres façons de régler ce problème, qui respectent la liberté et la propriété de tous. L’intervention d’un État n’est jamais la bonne solution.  
  
          Les effets pervers de cette guerre et de la prétendue «guerre au terrorisme» sont maintenant clairement perceptibles. Profitant de l’hystérie qui a suivi 9-11, L’État américain s’est donné, sans véritable débat, des pouvoirs de contrôle sans précédent sur sa propre population, et se transforme rapidement en État policier.  
  
          Non seulement l’occupation de l’Irak coûte-t-elle très cher, mais George Bush, l’étatiste de droite, en a également profité pour faire grossir l’État fédéral américain à une cadence insurpassée depuis la «Great Society» du président Johnson dans les années 1960. Les dépenses explosent partout, le déficit budgétaire aussi. Les programmes étatistes (et anticonstitutionnels) se multiplient dans la santé, l’éducation. Washington dépensera plus d’un milliard pour préserver l’institution du mariage, alors que c’est le gouvernement qui l’a affaibli avec ses politiques sociales; d’autres milliards seront dépensés pour envoyer des hommes sur Mars, autre entreprise relevant de la mégalomanie étatiste. 
  
          La guerre nourrit l’État. Ce sont les grandes guerres du 20e siècles qui ont permis aux États totalitaires, mais aussi aux États socio-démocrates paternalistes dans lesquels nous vivons, d’émerger et de se développer. Tout se déroule en fait comme l’avaient prévu ceux qui comprennent ce phénomène crucial. Le prix à payer pour «libérer» les Irakiens (sauf les milliers d’innocents qui ont perdu la vie dans le processus) est déjà élevé et continuera de grimper. 
  
 
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