Montréal, 7 février 2004  /  No 137  
 
<< page précédente 
  
  
 
 
Marc Grunert enseigne les sciences physiques dans un lycée de Strasbourg et anime le Cercle Hayek, consacré à la réflexion et à la diffusion du libéralisme. Il est également éditeur adjoint du QL pour la section européenne.
 
LIVRE
 
PLAIDOYER POUR LA
MONDIALISATION CAPITALISTE
 
par Marc Grunert
  
  
          Le livre de Johan Norberg vient de paraître en France, quelques mois après sa sortie au Québec. Sans aucun doute il sera, il est déjà, une référence pour l’analyse de la mondialisation économique (le libre-échange mondial). L’enseignement de ce petit chef-d’oeuvre est simple: la liberté économique et la liberté politique, qui ne se divisent pas, accroissent le bien-être et la dignité des individus, progressivement mais inéluctablement. Cela est vérifiable dans les faits, à l’inverse de ce que racontent les antimondialistes et les médias français qui les relaient.
 
          Il y a une autre leçon à tirer de la mondialisation des échanges libres: les progrès, autant sociaux qu’économiques, ne sont pas dus à l’action des politiciens, sauf si celle-ci consiste à laisser faire le marché libre et à garantir les contrats. Bref, moins les politiciens interviennent dans les règles des échanges, mieux ça va. C’est un mouvement historique positif que Norberg met en évidence et que les idéologues anticapitalistes pourront difficilement masquer.  
  
Chaque jour les choses s’améliorent 
 
          Eh oui! Chaque jour les choses s’améliorent, mais pas grâce au pouvoir politique, sauf s’il ne fait rien. On a souvent tendance à croire que le pouvoir politique, pouvoir de réglementation, protectionniste, taxateur..., est un mal nécessaire pour que la société ne devienne pas un champ de bataille. Ceux qui prétendent le contraire sont paradoxalement qualifiés d’«utopistes» alors que l’utopie est précisément l’objet d’une vision, d’une vision politique, construite par la contrainte, la loi et la force des baïonnettes. 
  
          Et pourtant, grâce au capitalisme, c’est-à-dire au libre-échange et à l’extension des droits individuels de propriété, les choses s’améliorent. Norberg en apporte la preuve empirique et théorique. Les faits qu’il rapporte sont incontestables, nous les vérifierions d’ailleurs tous les jours si nous n’avions les yeux bandés par les médias et la propagande.
 
          «La population mondiale s’est accrue d’un milliard et demi de personnes pendant ces deux décennies, et pourtant le nombre de gens qui vivent dans la pauvreté absolue a baissé d’environ 200 millions.» Ce bilan est étayé par des analyses très détaillées qui réfutent catégoriquement l’idée malthusienne que la planète n’a pas de quoi nourrir et faire vivre décemment une population accrue. Mais, mieux encore, l’extension du libre-échange permet de faire vivre plus longtemps, dans de meilleures conditions matérielles et morales, davantage d’individus. 
  
          Ainsi, «environ la moitié des pauvres de la planète vivent dans les deux pays les plus peuplés: la Chine et l’Inde. [...] Ils ont tous les deux considérablement libéralisé leur économie depuis une vingtaine d’années.» En Chine, «la possibilité offerte à tous de se retirer de la ferme collective et de louer un lopin de terre de l'État fut mise à profit par tellement de paysans que pratiquement toute la terre est depuis passée dans des mains privées, dans ce qui a peut-être été la plus grosse privatisation de l’histoire. [...] La manoeuvre a porté ses fruits, les rendements des récoltes ayant connu une hausse annuelle spectaculaire de 7,7% de 1978 à 1984. Ce pays, qui avait été affecté 20 ans auparavant par les pires famines de l’histoire de l’humanité, jouit maintenant d’un surplus de nourriture.» Bien entendu, les dictateurs chinois ne libéralisent pas l’économie sans raison politique mais cette liberté gagnée ne pourra pas s’arrêter au domaine économique. Une fois la prospérité et la dignité en marche, les Chinois seront inévitablement préoccupés par leurs droits politiques légitimes. 
  
          Mais Johan Norberg ne se contente pas d’empiler des chiffres et des statistiques. Il donne aussi les explications. Il décrit en détail le mécanisme «capitaliste», c’est-à-dire celui de l’individualisme et de la liberté économique. En résumé, on peut retenir cette généralité: «Le capitalisme, écrit Norberg, exige que les gens puissent conserver les ressources qu’ils ont gagnées et créées. Si vous vous donnez du mal à travailler et à investir à long terme mais que quelqu’un d’autre s’empare de la majeure partie de vos profits, il y a de bonnes chances pour que vous abandonniez. La protection de la propriété est au coeur d’une économie capitaliste, non seulement parce qu’elle donne l’assurance aux gens qu’ils garderont le fruit de leur labeur, mais aussi parce qu’elle leur permet d’utiliser leurs ressources comme bon leur semble sans avoir à demander d’abord l’accord des autorités.» 
  
Le progrès existe, les «pauvres» l’ont rencontré 
  
          «La croissance profite aux pauvres.» Voilà encore un fait «contre-intuitif» (à force de nous rabâcher que les riches s’enrichissent sur le dos des pauvres). Et pourtant rien de plus faux que cette propagande selon laquelle les riches s’enrichissent parce que les pauvres s’appauvrissent.  
  
          Les faits contredisent cette légende marxiste. «Lorsque la croissance économique est de 1%, le revenu des pauvres augmente en moyenne de 1%, et lorsqu‘elle atteint 10%, ils s’enrichissent aussi au rythme moyen de 10%. [...] Plus la croissance d’un pays a été forte au cours des 20 dernières années, plus la pauvreté, la mortalité infantile et l’analphabétisme ont diminué.» Ces chiffres sont fondés sur des statistiques émanant de l’ONU ou de la Banque mondiale, autant dire par des institutions qui ne sont pas à l’avant-garde du capitalisme, tout au moins en ce qui concerne l’ONU. Mais les faits sont durs. 
  
          Il n’y a pas que les faits. Norberg accompagne les faits d’une explication «théorique» que les libéraux connaissent depuis longtemps et qui se vérifie aujourd’hui. Très sobrement, Norberg commente ces faits ainsi: «L’économie d’un pays s’améliore d’abord parce que les habitants travaillent, épargnent et investissent. Des impôts élevés sur le travail, l’épargne et le capital ont donc pour effet, dans les mots de John Stuart Mill, de "pénaliser les gens pour avoir travaillé plus fort et mis plus d’argent de côté que leurs voisins". Cela décourage les gens de faire les activités qui sont les plus bénéfiques pour la société. [...] Où s’imagine-t-on que taxer l’esprit d’entreprise, le travail et l’épargne va nous mener? Le résultat est que beaucoup de travailleurs et d’entrepreneurs ne font pas leur maximum au travail ou d’efforts supplémentaires pour investir ou pour trouver de nouvelles idées parce qu’ils savent que les gains obtenus iront dans les coffres du gouvernement.» 
  
     «Nos gauchistes, trotskistes et autres socialistes, ou encore les idiots utiles qui les entendent et qui se battent contre la mondialisation ne font, objectivement, que prôner l’appauvrissement et son partage mondial.»
 
          Quant aux inégalités, là encore, bien loin du prêt-à-penser, les faits montrent que la liberté économique les réduit: «C’est dans les pays pauvres qui ont vite réformé leur économie que les inégalités ont diminué le plus rapidement. [...] Deux facteurs sont responsables de la baisse des inégalités: la libéralisation du commerce international et la libéralisation des mouvements de capitaux avec l’étranger, soit deux réformes qui cadrent le plus avec le mouvement vers la mondialisation.» 
  
          Ainsi, nos gauchistes, trotskistes et autres socialistes, ou encore les idiots utiles qui les entendent et qui se battent contre la mondialisation ne font, objectivement, que prôner l’appauvrissement et son partage mondial. 
  
          Ces faits et ces explications sont bien davantage en phase avec la réalité que les discours des riches Occidentaux antimondialistes. «Les citoyens des pays dont les économies sont les plus libres, écrit Norberg, sont dix fois plus riches que ceux des pays dont les économies le sont le moins, et ils vivent en moyenne une vingtaine d’années de plus.» La réalité a donné raison aux philosophes politiques libéraux en 1989 (chute du mur de Berlin), elle offre aujourd’hui un démenti équivalent aux nostalgiques du socialisme qui n’ont pas tiré les leçons de 1989 en matière d’économie. 
  
          Bien entendu, les «riches» citoyens des sociétés occidentales, dont les intellectuels et les médias croient pouvoir se faire les porte-parole, glosent sur cette notion de progrès. Mais ce que montre bien Norberg est que ce progrès économique dû à la mondialisation s’accompagne d’un gain en dignité, d’une indépendance personnelle et d’une vie plus «vivable» pour ceux qui y participent. Nous sommes mal placés, nous Occidentaux, pour négliger ce progrès, nous qui nous battons pour nos «avantages acquis» alors que les habitants des pays pauvres veulent juste pouvoir participer au grand commerce international et à la mondialisation capitaliste. 
  
Vers un capitalisme international débridé 
  
          La bourse est un instrument très critiqué. Mais dans un contexte d’incertitude elle demeure le seul et unique moyen d’affecter des ressources pour des projets de développements, et donc des chances de profits, à long terme. Or la multitude d’individus qui met une partie de ses économies sur le marché boursier, lorsque le marché financier est libre, «permet ainsi la mise sur pied de petites entreprises qui feront concurrence aux grosses compagnies déjà bien établies. Plus le marché est flexible et moins il existe de barrière à l’entrée, plus il sera facile pour les entrepreneurs les plus dynamiques et compétents d’avoir accès au capital.» 
  
          Cela se vérifie aussi dans les rapports économiques Nord-Sud. «Les pays en développement reçoivent plus du quart des investissements mondiaux dans les entreprises, les projets de développements et les propriétés foncières. Cela constitue un énorme transfert de capitaux privés des pays industrialisés aux pays en développement. Ce flux de capitaux s’élève maintenant à environ 200 milliards de dollars nets par année. C’est plus que quatre fois les montants d’il y a vingt ans, grâce à la libéralisation des marchés financiers et aux technologies de l’information plus efficaces. Voilà une chance fantastique pour les pays dont le développement a toujours été retardé à cause d’un manque de capital.» 
  
          Ainsi, loin d’être des déshérités de la mondialisation, les pays pauvres peuvent profiter largement de celle-ci, à condition que le socialisme soit banni. Fait qui ne leur a pas échappé puisque ce sont eux qui veulent ouvrir leurs marchés au contraire des Occidentaux qui pratiquent souvent le protectionnisme, n’en déplaise aux alter-comprenants placés sous la houlette de José Bové. 
  
          «Il faut libéraliser et non standardiser», nous dit encore Norberg. Et, en effet, au-delà des aspects purement marchands, économiques au sens strict, Norberg montre que la mondialisation ne conduit pas à la standardisation que nos gauchistes repus font semblant de dénoncer. «On peut dire, écrit Norberg, que le monde avance vers un objectif commun, mais que celui-ci n’est pas la prédominance d’une seule culture. C’est plutôt la valeur du pluralisme, la liberté de choisir entre un certain nombre de chemins et de destinations différentes. Les choix spécifiques vont continuer à varier d’un individu à l’autre». 
  
          En effet, au lieu de nous garder enfermés dans une culture, en toute ignorance de cause, la mondialisation nous permet de connaître davantage et d’avoir accès à des produits culturels qui n’ont plus de frontière. Est-ce un mal? Peut-être, d’un point de vue tribal et nationaliste. Mais qui doit décider en fin de compte? Chacun pour soi, non? Or la diversité et l’échange ne conduisent pas à imposer à tous le même standard de vie mais à laisser la liberté du choix aux individus. C’est effectivement ce qui se passe sous nos yeux, sous l’effet de la mondialisation capitaliste. Faut-il le regretter?  
  
          Quant aux cultures, aux traditions que les chefs de tribus à la Bové voudraient conserver dans des musées, Norberg renvoie le lecteur à Vargas Llosa, le grand romancier péruvien, pour qui «les cultures n’ont pas besoin d’être protégées par des bureaucrates et les forces de police, ou placées derrière des barreaux, ou isolées du reste du monde par des barrières douanières pour survivre et rester vigoureuses. Elles doivent vivre à l’air libre, être exposées aux comparaisons constantes avec d’autres cultures qui les renouvellent et les enrichissent [...].» 
  
La mondialisation n’est pas une utopie 
  
          La mondialisation est un phénomène naturel car la liberté est naturelle, car c’est son empêchement qui repose sur des politiques utopiques (protectionnisme, nationalisme...). Mais tout phénomène reposant sur une multitude d’acteurs libres s’auto-organise par des ajustements qui peuvent menacer l’ordre qui a été établi par la force et entretenu par les groupes qui en profitent.  
  
          Ces groupes de pression anti-mondialisation peuvent, c’est leur but, profiter des coûts à court terme qu’il faut parfois payer pour participer à cette marche vers la liberté qu’est la mondialisation. On peut compter sur eux pour se faire les complices des politiciens qui visent, quant à eux, à utiliser les lambeaux de pouvoir et le reste misérable de crédit que la mondialisation leur laisse pour la politiser et la transmuter en un phénomène volontariste et politique, c’est-à-dire à faire croire à leur utilité, voire à la rendre nécessaire en déréglant la machine.  
  
          Ainsi, s’élèvent, contre la mondialisation, diverses utopies, écologiques, socialistes qui toutes convergent vers l’utopie politique ultime: l’État mondial. Ce mondialisme politique est le poison de la mondialisation. Les réglementations et le protectionnisme organisés à l’échelle mondiale «entraîneraient la stagnation dans les pays riches et une pauvreté encore plus grande dans les pays en développement», et surtout mettraient un frein à cette machine à fabriquer de la liberté et de la prospérité qu’est la mondialisation.  
  
          La mondialisation ne promet pas le grand soir ni le bonheur des peuples, ce n’est pas une utopie. Elle ne promet rien, elle se réalise, se constate, et ses fruits sont la liberté et la prospérité. Nul doute que des marchands de bonheur et de pseudo-justice viendront toujours nous raconter qu’ils ont une recette pour être heureux ou pour un monde plus juste bâti dans leur imagination. Non, la mondialisation ne donne pas de recette du bonheur, mais elle permet à davantage d’individus de devenir les maîtres de leur vie et d’améliorer leurs conditions de vie. Libre à chacun de construire son propre bonheur sans que de grands prêtres politiques viennent le lui imposer. Ça aussi c’est la mondialisation capitaliste.  
  
          Comme le dit le traducteur de ce livre majeur: «Nous sommes dans une ère où l’industrialisation et la technologie moderne, qui étaient limitées il y a à peine quelques décennies à un petit nombre de pays riches, se répandent partout dans le monde – grâce au capitalisme et à la mondialisation. Les drames du passé (famine, misère) vont tendre à disparaître. Même le monde arabe et l’Afrique vont finir par accéder à la civilisation moderne, ce n’est qu’une question de temps.» (Martin Masse, traducteur et directeur du QL). 
 
  
Articles précédents de Marc Grunert
 
 
<< retour au sommaire
 PRÉSENT NUMÉRO