Montréal, 20 mars 2004  /  No 140  
 
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Yvon Dionne est retraité. Économiste de formation (Université de Montréal), il a travaillé à la Banque du Canada (11 ans) puis pour « notre » État du Québec (beaucoup trop longtemps: 20 ans). On peut lire ses textes sur sa page personnelle.
 
CE QUE J'EN PENSE
  
COMMENTAIRES SUR LE FILM
BOWLING FOR COLUMBINE
 
par Yvon Dionne
  
  
          Le film Bowling pour Columbine a été largement diffusé en France et a été encensé un peu partout, y compris par les médias québécois. Il a reçu un Oscar du meilleur documentaire, la Palme d'Or au festival de Cannes et le prix César du meilleur film étranger... 
  
          Qu'en est-il au juste? J'ai visionné à quelques reprises la version française du film (le titre est traduit par Bowling à Columbine alors qu'il me semble qu'il aurait fallu dire Bowling pour Columbine, mais bon...) de Michael Moore.
 
          Pour mieux nous situer, rappelons brièvement les événements survenus le 20 avril 1999 au Columbine High School, à Littleton au Colorado. Deux étudiants âgés respectivement de 17 et 18 ans planifiaient depuis un an la tuerie du 20 avril. Peut-être une coïncidence, le 20 avril 1999 était le 110e anniversaire de la naissance d'Adolf Hitler, à qui ils vouaient une admiration. Mais il y avait d'autres coïncidences, pour ce qui est de la date. La veille par exemple était le 4e anniversaire de l'explosion des bureaux du FBI à Oklahoma City et le 6e de la fusillade de la secte à Waco, au Texas. 
  
          Les deux compères se disaient membres de la Trench Coat Mafia. Ils avaient quatre armes à feu (acquises illégalement via des intermédiaires plus âgés), dont un pistolet 9 mm, et environ 80 explosifs. La tragédie s'est déroulée pendant une vingtaine de minutes, au moment où plus de 600 étudiants se trouvaient dans la cafétéria et quelque 60 à la bibliothèque. Il y eut 13 victimes (dont un professeur) mais le nombre aurait été sûrement plus élevé (jusqu'à 600) si les explosifs placés dans la cafétéria avaient fonctionné. 
  
          Pour la fabrication des explosifs ils se seraient inspirés d'un livre intitulé The Anarchist Cookbook mais ce livre contiendrait plusieurs erreurs. Ils avaient rempli le matin même (au lieu d'aller jouer au bowling, contrairement à ce que dit Michael Moore) deux bonbonnes de propane, auxquelles ils ont rattaché un contenant de carburant et une bombe artisanale (pipe bomb). Les détonateurs n'ont pas fonctionné car ils avaient une piètre connaissance, ont dit les enquêteurs, des circuits électriques. 
  
          Les deux assaillants se sont suicidés vers l'heure du midi. Leur motif apparent, selon les médias: le nihilisme d'une certaine jeunesse, mue par la haine et prête à tout détruire. Le Columbine High School est une de ces boîtes à sardines publique où s'entassaient et se bousculaient 1945 étudiants.  
  
          Évidemment, si les bombes avaient fonctionné, avec plus ou moins 600 morts, est-ce que Michael Moore aurait fait son film contre les armes à feu? Il y a plus de morts avec des armes blanches ou automobiles, mais Bowling à Columbine n'en parle pas. Un tel oubli ne peut être que celui d'un propagandiste. Pourquoi Michael Moore ne parle-t-il pas du danger des avions, quand il montre les attaques terroristes du World Trade Centre? 

          Il y a moins de morts avec les armes à feu, si on exclut les criminels, que par tout autre moyen. 
  
Un documentaire? 
  
          Loin d'être un documentaire, le film de Michael Moore n'est qu'un navet de propagande contre les armes à feu et contre les États-Unis. Son objectif est de faire croire que tous les propriétaires d'armes à feu sont des imbéciles et des criminels (du moins en puissance); évidemment, dans ce processus de désinformation tous les groupes armés créés par l'État (armée, police) sont sans fautes et agissent comme des protecteurs infaillibles des individus et des défenseurs de la liberté (ou de ce qui en reste). Michael Moore met en cause la politique étrangère américaine, en la tronquant bien sûr. Comme par exemple quand il dit qu'Allende a été assassiné, alors qu'il s'est suicidé. 
  

     «Loin d'être un documentaire, le film de Michael Moore n'est qu'un navet de propagande contre les armes à feu et contre les États-Unis.»
 
          Je présente, sur mon site personnel, le premier d'une série de trois articles de M. Olivier Achard (de l'ANTAC, en France) sur le film de Michael Moore. Olivier Achard a relevé plusieurs faussetés (voir la liste à la page L'ANTAC (France) démolit Bowling for Columbine), mais en voici une autre: quand Michael Moore se rend chez un Wal-Mart en Ontario pour acheter des munitions il dit que c'est facile au Canada malgré la Loi sur les armes à feu. La jeune vendeuse a toutefois oublié que selon cette loi elle aurait dû demander à Michael Moore de montrer un permis d'armes à feu canadien puisque sans permis il est illégal d'acheter des munitions et il faut un permis spécial pour transiter des munitions à la frontière. 
  
La bonne question; mais la réponse? 
  
          Michael Moore pose toutefois dans tout le film une question pleine de bon sens, mais il n'y répond pas. Comment expliquer, demande-t-il, qu'il y ait 11 000 homicides par armes à feu aux États-Unis alors qu'il n'y en a que 149 (en 2002) au Canada? 
  
          La question est au départ mal posée car on ne compare pas des chiffres absolus quand la population aux États-Unis est dix fois supérieure à celle du Canada. Il faut comparer des taux d'homicide par armes à feu. Mieux encore: il faut comparer les taux d'homicide tous moyens confondus, car si au Canada on se tue moins par armes à feu on se tue par contre relativement plus par d'autres moyens, les couteaux par exemple! Sans parler des suicides, très élevés au Canada. 
  
          La réponse ne peut être la législation sur les armes à feu. D'ailleurs, Moore lui-même n'y voit rien. La criminalité baisse aux États-Unis malgré des achats massifs d'armes de toutes sortes. Au Canada, il y avait moins d'homicides dans les années 50 et 60 alors que la législation sur les armes à feu était quasiment inexistante! Je discute de ce sujet dans d'autres textes sur ce site et le mien. 
  
          Supposons un instant que Michael Moore ait essayé honnêtement de comprendre. Il dit par exemple qu'au Canada nous sommes aussi des amateurs et collectionneurs d'armes à feu, que nous avons accès aux mêmes films violents, aux mêmes jeux vidéos. Il demande donc: «What is so different about us?» Sa réponse est plutôt caricaturale. Il fait une énumération de divers facteurs exploités pour générer la peur, dont la soi-disant peur des Blancs pour les Noirs. Les Blancs se seraient armés pour se protéger des Noirs! Mais ceci n'explique pas pourquoi le taux d'homicide est plus élevé chez les Noirs; chez les Blancs, le taux se rapproche de celui du Canada, même en incluant la criminalité des bandes jamaïcaines à Toronto... La criminalité ne serait-elle pas étroitement liée aux gangs, à la drogue, etc.? C'est aussi un phénomène urbain. Moore fait état de facteurs sociologiques, comme la pauvreté, mais escamote les facteurs culturels. 
  
          La réponse simpliste de Moore vient à la fin du film. Après avoir énuméré toutes les peurs, il obtient une entrevue avec Charlton Heston, qui était président de la National Rifle Association. Il demande à Heston de s'excuser pour le meurtre de la petite Kayla, à Flint au Michigan, par un jeune du même âge, de race noire et déjà délinquant, qui avait obtenu un pistolet de calibre 32. Ce sont donc la NRA et George Bush les grands coupables! Voir dans ce film un documentaire, c'est connaître peu de choses à la fois des armes à feu, des homicides, des suicides, et de la situation au Canada et aux États-Unis. J'ai même l'impression que Moore a dû être surpris de recevoir le prix du meilleur documentaire. Heston aurait pu s'écrier, comme à la fin du film The Planet of the Apes: «You maniacs!» 
 
 
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