Montréal, 20 mars 2004  /  No 140  
 
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André Dorais a étudié en philosophie et en finance et vit à Montréal.
 
 
ÉTHIQUE LIBERTARIENNE
 
ÉTHIQUE APPLIQUÉE AU PORT DU VOILE
ET À L’IMMIGRATION
 
par André Dorais
  
  
          L’éthique libérale se définit comme étant le respect de la propriété. La propriété, cependant, ne renvoie pas seulement aux objets qui appartiennent à l’homme, mais à l’homme lui-même en tant qu’il est son propre maître. Ces deux aspects de la propriété sont souvent confondus et constituent une importante source de conflit. On peut illustrer ceci à partir de deux exemples qui n’ont de commun qu’une certaine idée que l’on se fait de l’étranger. Plus précisément, j'utiliserai l’interdiction de porter le voile pour discuter de la propriété de soi et l'accueil des immigrants pour illustrer la notion de propriété en général. Ces exemples serviront à démontrer que la conception libérale de la propriété permet de résoudre ou, à tout le moins, d’atténuer des conflits qui n’ont, à première vue, rien à voir avec la propriété.
 
Port du voile et propriété de soi 
  
          L’État français projette d’adopter une loi interdisant les «signes religieux ostensibles» dans les écoles publiques, visant ainsi particulièrement les musulmanes qui portent le voile. Certains s’en réjouissent en invoquant le besoin d’une conformité aux moeurs françaises, tandis que d’autres s’en offusquent en invoquant les préceptes de leur religion.  
  
          Le port du voile dérange certaines gens, car celui-ci évoque chez eux la soumission de la femme à l’autorité masculine. Cependant, la femme qui porte le voile n’agit pas nécessairement dans l’idée d’obéir à l’autorité masculine, mais aux préceptes véhiculés par une stricte interprétation de sa religion. Plus important, le port du voile n’agresse personne physiquement.  
  
          Cette image de femme soumise fruste certaines gens qui aimeraient voir en l’autre la même autonomie et la même indépendance face aux autorités ou aux doctrines religieuses qu’ils s’attribuent à eux-mêmes. Une loi à cet égard transforme ce qui n’était qu’un sentiment agaçant en véritable agression. Il y a conflit de valeur lorsqu’on oublie les principes permettant la coopération humaine pour se concentrer sur des différences qui n’agressent personne. 
  
          L’interdiction de porter le voile constitue une violation de l’usage qu’un être humain peut faire de son corps. Elle est donc de même nature que les interdictions visant certaines drogues, pratiques sexuelles, le suicide, la prostitution, etc. Ces interdictions sont non seulement inutiles, mais nuisent à la coopération humaine. Elles traduisent à la fois une peur de la différence et un désir de conformité à ce qui n'a nul besoin d'être uniforme.  
  
          Tant qu’un comportement n'implique aucune agression envers qui que ce soit, il n’y a aucune crainte à avoir et par conséquent aucune interdiction n’est nécessaire à cet égard. Au lieu d’imposer aux musulmanes une tenue dépourvue de signes religieux ostensibles, il serait plus sage de simplement leur rappeler qu’elles sont libres de les porter. 
  
          Lorsque les morales religieuses et étatiques visent l’usage que l’homme peut faire de son corps elles tendent à en tracer les limites dans le but avoué de maintenir l’ordre public. Dans un monde où les cultures se côtoient l’ordre se maintient ou bien par la coercition ou bien en préservant un dénominateur commun. Pour l’éthique libérale, le dénominateur commun est le principe de non-agression. En ce qui a trait à la propriété de soi, le principe de non-agression signifie ne pas tuer ou plus généralement ne pas utiliser la coercition et la violence envers autrui, sauf pour se défendre d'une agression. En ce qui ce qui concerne plus particulièrement la propriété de l’individu, la non-agression signifie ne pas voler autrui, ne pas lui retirer la jouissance légitime de ses biens par la force. Illustrons maintenant à l’aide d’un exemple plus complexe.  
  
Propriété et immigration 
  
          Le projet de loi relatif aux signes religieux ostensibles vise particulièrement la conformité de certains immigrants aux moeurs locales. Certains s’en réjouissent, car ils considèrent qu’il s’agit de la moindre des choses à demander aux immigrants étant donné la «générosité» dont on fait preuve envers eux en les laissant entrer sur «notre» territoire. Les deux aspects du concept de propriété sont ici en jeu. 
  
          Lorsqu’un individu n’a pas d’autorisation d’entrer un pays ou d’y séjourner plus d’un certain temps pour une question de statut, cela entraîne son expulsion. Celle-ci constitue nécessairement une violation de la propriété de soi dans le sens qu’une menace est utilisée à l’égard d’un individu qui n’a probablement rien fait de mal.  
  
          Dans l’optique libérale, tant qu’il n’y a pas d’agression il ne devrait pas y avoir de quota d’immigration. En effet, il n’y a pas d’autorisation à donner à l’immigrant, car celui-ci n'est ni un invité, ni un intrus. L’immigrant se présente dans une ville où il cherche hébergement et nourriture. Dès lors, s’il satisfait ses besoins grâce aux fruits de son travail, il n’y a pas de raison de conflit car il n’y a pas d’agression.  
  
     «Dans l’optique libérale, tant qu’il n’y a pas d’agression il ne devrait pas y avoir de quota d’immigration. En effet, il n’y a pas d’autorisation à donner à l’immigrant, car celui-ci n'est ni un invité, ni un intrus.»
 
          L’immigrant n’a pas enfreint la propriété de quiconque. Et cela n'est pas parce que les rues et autres voies de passage sont publiques. Même si ces espaces étaient privés, leurs propriétaires n'auraient pas les mêmes intérêts que les propriétaires de maisons où l’on entre sur invitation seulement. Ainsi, même dans un monde où tout a été privatisé les propriétaires de rues commerciales, où se retrouvent la plupart des immigrants à leur arrivée, n’ont pas intérêt à limiter leur nombre, car les besoins des uns constituent les intérêts des autres. Ce n’est que la taxation concurrente à l’immigration qui crée l’animosité envers l’étranger. Toutefois, si le sentiment est justifié la cible l’est moins. 
  
          Dans le contexte actuel, certains diront, non sans raison, qu’une telle politique serait ruineuse pour les contribuables, qui doivent financer divers programmes pour accueillir les immigrants. Cependant, ce ne serait pas dû à la fausseté du principe de non-agression. En effet, si la venue d’immigrants entraîne une hausse des impôts, il ne faut pas en blâmer l’immigrant, mais l'imposition en tant qu'agression. Autrement dit, il y a glissement du concept de propriété d’un de ses aspects à l’autre. Dans le cas présent, on passe d’une restriction à l’immigration au-delà d’un certain nombre et selon le statut aux frais que cela engendre pour les contribuables, soit d’une violation de la propriété de soi à la violation de la propriété au sens strict. Ce glissement s’explique en bonne partie par le processus démocratique qui tente en vain de traduire des valeurs individuelles en valeurs collectives. 
  
Démocratie et immigration 
  
          Recevoir les immigrants est considéré par plusieurs comme un acte de générosité. Pourtant, la population qui les accueille est rarement consultée. Comment peut-on qualifier de généreux un acte sur lequel nous n’avons pratiquement aucun contrôle? Une décision prise sur la base d’un vote majoritaire ne lui confère aucune générosité, car celle-ci ne peut être qu’individuelle. Une action vertueuse ne se transmet pas par processus démocratique, car les décisions qui conduisent les gens à voter peuvent être aussi nombreuses qu’il y a d’individus.  
  
          On tente bien de s’en défendre, mais les arguments avancés ne tiennent pas la route. Par exemple, certains disent que l’unanimité est impossible en démocratie et qu’il faut donc être pragmatique. C’est souvent l’unique raison évoquée pour empiéter la propriété d’autrui. Or, ou bien on respecte la décision de chaque individu et alors on ne taxe que ceux qui le veulent, ou bien on agresse la propriété de tous et alors on ne peut pas parler de générosité et de solidarité. Dans ce contexte, prétendre être pragmatique n’est qu’un euphémisme pour ce qui s’avère n'être que l'imposition de ses choix avec l’argent des autres. Cela n’est pas de la générosité, mais de l’égoïsme.  
  
          Un libéral voit l’immigrant comme tout autre individu. Si celui-ci reçoit de l’aide sociale il ne lui en tiendra pas rigueur, il s’en prendra plutôt aux sociaux-démocrates qui le volent pour accueillir l’immigrant à ses frais. En d’autres mots, le libéral ouvre grande les portes à l’immigrant tout en l’excluant, lui comme tous les autres, de toute forme d’aide sociale, car seule celle-ci constitue une agression envers sa propriété.  
  
          Toutes les morales promettent la non-agression d’autrui, mais seule l’éthique libérale s’en tient à ce principe. En effet, le social-démocrate a tendance à mesurer sa morale en degré avec l’argent des autres. Ainsi, plus il accepte d’immigrants, hausse le salaire minimum et augmente le taux de taxation, plus il se dit généreux et progressiste. Cette morale est source de conflit, car elle pousse les gens à revendiquer davantage et à s'accuser mutuellement de maux qui proviennent essentiellement de la coercition de l’État. Toutefois, comme l’État n’est pas vu comme la source du mal, mais plutôt comme le pacificateur, il est appelé à contrôler davantage nos libertés sous le prétexte de les maintenir.  
  
          Pour le libéral, une action ne peut être qualifiée de généreuse que si le moyen utilisé n’est pas coercitif. En d’autres mots, aider des gens grâce à une agression préalable sur une tierce partie constitue peut être une aide, mais certes pas de la générosité. L’illégitimité de la social-démocratie tient au fait que sa pratique vise le collectif. Elle utilise la coercition au nom de la majorité et du bien prétendument commun. 
  
          Au contraire, l’éthique libérale se fonde en raison à partir d’un principe. Elle jette un oeil nouveau sur des problèmes, tel l’immigration, qui paraissent parfois insurmontables. Elle est conditionnelle à la morale qui s’exprime par l’entremise des vertus. Cette conditionnalité ne la rend pas amorale pour autant puisqu’elle exige de l’autre la non-agression, sans quoi la coopération humaine ne peut s’épanouir. Elle n’a nul besoin d’autorité autre que la sienne. Elle remet donc en question la démocratie comme processus décisionnel. Elle appelle l’homme à se dépasser et ne se réalise donc pas sans effort. L’éthique libérale est le propre de chaque individu et ne demande qu’à être comprise et appliquée pour le bien de tous. 
  
 
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