Montréal, 15 janvier 2005 • No 150

 

ÉTHIQUE LIBERTARIENNE

 

André Dorais a étudié en philosophie et en finance et vit à Montréal.

 
 

LE DOLLAR EN CRISE ET LA CHINE
AU BANC DES ACCUSÉS

 

par André Dorais

 

          Le gouvernement américain accuse la Chine de concurrence déloyale. Il prétend que les exportations chinoises sont avantagées par un taux de change maintenu artificiellement bas. Ces exportations viennent gonfler le déficit commercial américain, déjà énorme. Un déficit commercial signifie que la valeur des importations d'un pays dépasse celle de ses exportations. Les États-Unis ont un déficit commercial avec le reste du monde presque sans interruption depuis 1971. C'est également en 1971 que le dollar a été coupé de tout lien avec l'or. Ce déficit est financé en grande partie par les investisseurs étrangers.

 

          La Chine sert de bouc émissaire pour ce déficit, car plusieurs autres pays, dont le Canada, vendent davantage de produits et services aux Américains qu'ils n'en achètent. Cette accusation laisse poindre un malaise de la part du gouvernement américain non seulement avec ce déficit, mais également avec sa dette publique.
 


          Tous ces éléments – dette publique, déficit commercial et taux de change – sont liés et portent à confusion. Le principal problème à la source de ce déficit, de la dette publique américaine et de la dette publique des autres pays est l'inflation. À son tour, l'inflation est facilitée par l'existence d'une monnaie fiduciaire et un monopole d'État sur l'émission de cette monnaie. Tant que l'objectif n'est pas de maîtriser l'inflation monétaire, les modifications au taux de change et les réductions du déficit commercial et des dettes publiques seront toujours à recommencer.
 
 

Monnaie flottante

          La Chine fixe sa monnaie – le renminbi, également connu sous le nom de « yuan » – au dollar américain depuis une dizaine d'années, à un taux de 8,3 yuan pour un dollar. Il est donc curieux que cette accusation ne se soit pas fait entendre dès la mise en vigueur de cette politique. Est-ce parce que l'économie chinoise semble mieux se porter que l'économie américaine? Toujours est-il que le gouvernement américain demande maintenant aux autorités chinoises de faire flotter leur monnaie, c'est-à-dire de la détacher du dollar pour que son taux puisse varier d'après la loi de l'offre et de la demande.

          Il est intéressant de constater les différentes raisons évoquées pour cette recommandation. Certains prétendent qu'il s'agit de résoudre le déficit commercial, d'autres parlent de « rééquilibrer les forces ». De son côté, le président des États-Unis disait, il y a un peu plus d'un an, lors d'une interview à la chaîne CNBC: « We expect our trading partners to treat our people fairly – our producers and workers and farmers and manufacturers – and we don't think we're being treated fairly when a currency is controlled by the government… We believe the currency ought to be controlled by the market. »

          La croyance voulant qu'une monnaie à taux variable relève davantage du marché qu'une monnaie à taux fixe est également partagée par de nombreux « experts ». Or, que le taux d'une monnaie fiduciaire varie ou non par rapport aux autres monnaies, elle n'en demeure pas moins contrôlée par le gouvernement.

          Si la Chine laissait flotter sa monnaie demain matin et que j'avais à gager sur le cours de celle-ci, je miserais sur une baisse relative du yuan étant donné l'importance de son inflation. Il va sans dire qu'une baisse du yuan par rapport au dollar serait mal vue dans les officines du gouvernement américain. On pense qu'un yuan plus « fort » aiderait l'emploi domestique et permettrait de résorber le déficit commercial avec la Chine, d'où les pressions à le réévaluer.

          Dans un sens comme dans l'autre, il n'y a pas de situation idéale. En effet, suite à une baisse relative du yuan, les Chinois devront payer davantage les importations nécessaires à leur quotidien et à leur développement. Au contraire, s'il s'en suivait une hausse relative du yuan, ce sont ses exportations et par conséquent l'influx de capitaux étrangers qui seraient à la baisse. Aux États-Unis, une hausse du yuan avantagerait les exportateurs, mais au détriment des consommateurs qui auront à débourser davantage pour les nombreux produits importés.

          Pourquoi les gouvernements veulent-ils favoriser les exportateurs au détriment de l'ensemble de leur population? Le prix à payer est pourtant énorme. Les consommateurs ont à débourser davantage pour les mêmes produits étrangers, et ils ont alors moins d'argent pour acheter autre chose. Redistribuer un problème ne signifie pas le résoudre. Vouloir régler le déficit commercial américain en demandant à la Chine de réévaluer son taux de change ne fait que déplacer le véritable problème, qui est l'inflation.

          Il est important de noter qu'un taux de change fixe est insoutenable à moyen terme, car la monnaie la moins dévaluée finit par disparaître de la circulation pour être thésaurisée. La plupart du temps, les gouvernements se servent d'un taux de change fixe pour créer de l'inflation à la tonne, jusqu'au jour où ils doivent la laisser flotter à cause de la pression spéculative. La monnaie est alors sauvée in extremis grâce à la forte récession qui s'ensuit.

          Regardez ce qui s'est passé avec le peso mexicain en 1994-5, le bath thaïlandais en 1997-8 ou le peso argentin en 2002, pour ne prendre que des exemples récents. Les trois monnaies étaient fixées au dollar et chacune d'elle, dès qu'il fût possible de la transiger, a subi une forte dévaluation, de l'ordre de 40%, en l'espace de quelques jours. Le gouvernement chinois crée bien davantage d'inflation que le gouvernement américain depuis plusieurs années, alors pourquoi le même sort n'attendrait-il pas le yuan? Si on devait accuser la Chine de quelque chose, c'est bien de cela. Or, on l'accuse de bien des maux, mais pas de celui-là.
 

Déficit et inflation

          Le gouvernement américain pointe d'un doigt accusateur la Chine pour son déficit commercial et demande qu'elle adopte un taux variable, voire un taux prétendument « juste ». Toutefois, comme on vient de le démontrer, ce taux, qu'il soit variable ou fixe mais haussé, réglera peut-être ce déficit, mais au détriment de la majorité. S'il y a lieu de s'inquiéter de ce déficit, c'est parce qu'il cache l'inflation monétaire.
 

« Tant que l'objectif n'est pas de maîtriser l'inflation monétaire, les modifications au taux de change et les réductions du déficit commercial et des dettes publiques seront toujours à recommencer. »


          Lorsqu'on considère que les étrangers financent également une part sans cesse croissante des services américains, on peut se demander comment cela est possible. Les dettes américaines, voire les dettes gouvernementales en général, sont à distinguer des dettes privées. Un individu qui accumule trop de dette doit changer ses habitudes ou faire faillite. Une entreprise, en principe, n'a pas plus de choix, sauf que les contribuables, malgré eux, viennent souvent à sa rescousse grâce à la « générosité » du gouvernement. Celui-ci, par contre, ne fait jamais faillite, d'abord parce qu'il impose toujours plus, ensuite parce qu'il dévalue sa monnaie.

          Une dévaluation monétaire n'est rien d'autre que l'inflation, c'est-à-dire une augmentation du stock de monnaie en circulation. Réduire ses dettes permet une plus grande marge de manoeuvre, mais réduire les dettes publiques à l'aide de l'inflation monétaire ne donne une marge de manoeuvre qu'à court terme seulement et au risque de la perdre complètement. Ainsi, s'il faut se soucier des dettes publiques, c'est dans la mesure où on utilise l'inflation pour les accumuler, soit tout le temps. Une simple réduction de dette, à l'instar d'une réduction du déficit commercial ou de l'utilisation d'un taux de change variable, passe à côté du véritable problème à maîtriser, soit l'inflation.

          L'inflation permet aux gouvernements de créer plus de dettes qu'ils n'ont d'actifs. Par un processus subtil mais réel, les richesses sont ainsi détournées de leurs propriétaires légitimes en faveur des gouvernements, tout en enrichissant certains banquiers au passage (voir l'article « La stabilité de certains prix cache l'inflation monétaire », le QL, no 132).

          Les gouvernements promettent ainsi plus de services qu'ils sont capables de fournir, car ils ont le loisir de réduire leur dette, sur le dos de la population qui la finance, en la dévaluant par l'inflation qu'ils contrôlent. Celle-ci est facilitée par l'utilisation de monnaie fiduciaire et un monopole d'État.

          L'inflation est toujours plus importante lorsque la monnaie est monopolisée et qu'il n'en coûte rien pour la produire. Avant que les gouvernements ne décrètent un monopole sur la monnaie, l'inflation était pratiquement inexistante, car il coûte cher d'explorer des métaux précieux et d'en produire de la monnaie. Cette monnaie est justement précieuse, entre autres caractéristiques, parce qu'elle est produite à partir de ressources qui se trouvent rarement.

          L'inflation est sournoise, elle procède en douceur sans que les gens s'en aperçoivent. Il s'agit d'une des plus grandes injustices de ce monde. Si elle a pris autant d'ampleur depuis cent ans, il faut en remercier votre gouvernement, car c'est lui qui contrôle la monnaie.

          Au cours des siècles, lorsqu'une monnaie était établie librement, elle était soit métallique, soit tirait sa valeur du métal. Elle se définissait par une quantité d'or, son prix était donc fixe. Dans la mesure où l'argent métallique accompagnait l'or comme monnaie, il y avait un taux variable entre les deux. Voilà bien la seule façon dont on devrait parler de taux de change fixe ou variable.

          On reconnaît l'inflation davantage aux dettes qu'elle entraîne qu'aux augmentations de prix dont les causes sont multiples. Les dettes et certaines variations de prix, autant à la hausse qu'à la baisse, sont les symptômes de la maladie et non la maladie elle-même. La maladie existe grâce à la monnaie fiduciaire monopolisée par l'État.

Château de cartes

          Les banques centrales européennes et notamment asiatiques détiennent une part de plus en plus grande de la dette américaine. Elles ont non seulement investi dans un dollar qui se déprécie, mais elles dévaluent autant, voire davantage, leur propre monnaie non seulement dans le but de maintenir leurs exportations, mais, dans une folle témérité, également pour soutenir un dollar qui tient lieu de « système » monétaire mondial. Or, cela n'a rien d'un système, mais tout d'un château de cartes!

          L'endettement ne peut soutenir une monnaie fiduciaire qu'à la condition qu'on en voit la fin. Or les dettes de certains gouvernements n'ont pas de fin, elles sont destinées à n'être remboursées qu'à une fraction de leur valeur initiale à cause de l'inflation qui les ronge. Si les investisseurs, au compte duquel on retrouve les gouvernements, réalisent qu'il vaut mieux vendre ces « promesses » que de les voir se déprécier à un rythme accéléré, ils pourraient procéder, sans crier gare, à une vente de feu sans précédent.

          Cette tension se fait de plus en plus sentir. Trop d'inflation, trop de dettes et trop de déclarations intempestives finissent par vous rendre nerveux. Peut-être qu'à force de le pousser dans les câbles le gouvernement pourrait déclarer: « D'accord, nous réévaluons le yuan à la hausse, comme vous le désirez. Dorénavant, un yuan équivaut à 1/2000 d'once d'or, soit 5 yuan pour un dollar au prix du jour. Nous faisons d'énormes sacrifices en haussant ainsi notre monnaie par rapport au dollar, mais nous reconnaissons la sagesse de vos recommandations et nous nous y plions sur-le-champ. »

          Est-ce trop attendre d'un gouvernement? Zhou Xiaochuan, gouverneur de la banque centrale de Chine, disait devant la London Bullion Market Association, le 6 septembre dernier: « Allowing people to hold assets in gold can improve social welfare, benefiting both the country and its people. Also, the dual character of being an ordinary commodity and a currency allow gold to well hedge against risks. So it is practical to develop individual gold trading business. »

          Permettre aux gens d'acheter et vendre de l'or n'en fait pas une monnaie. Il s'agit néanmoins d'un pas dans la bonne direction. Devant des gouvernements qui n'en finissent plus de dévaluer leur monnaie, accumuler de l'or pour préserver son pouvoir d'achat est une bonne idée; et certainement préférable à chercher des boucs émissaires.

          Faut-il y lire l'annonce prochaine d'un yuan ancré à l'or? Si tel est le cas, tant mieux pour les Chinois. Ils en auront besoin pour passer au travers la récession probable qui les attend lorsque leur monnaie se transigera. Néanmoins, une telle décision permettrait d'envisager une Chine plus libre et une assise plus solide pour continuer son expansion économique.

 

 

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