Montréal, 15 janvier 2005 • No 150

 

OPINION

 

Jean-Hugho Lapointe est avocat à Montréal et détient un certificat en administration des affaires de l'Université Laval.

 
 

GRÈVE DU BON SENS À LA SAQ

 

par Jean-Hugho Lapointe

 

          Il faut remonter à 1921 pour assister à la naissance de la Commission des liqueurs du Québec, ancêtre de la Société des alcools du Québec (SAQ), dans une ère où la prohibition, partout en Amérique du Nord, était appliquée dans le but, notamment, de réduire le crime et la corruption.

 

          Sans juger de l'efficacité qu'a pu avoir la prohibition à atteindre ses objectifs à l'époque, les fondements permettant de soutenir aujourd'hui la nécessité d'un monopole étatique dans la vente de boissons alcoolisées sont au bas mot inexistants. Malheureusement, comme l'a déjà dit Ronald Reagan en des termes semblables, la bureaucratie gouvernementale est ce qui s'approche le plus du concept d'éternité.

          Il n'y a, en fait, pas plus de justification à maintenir un monopole étatique dans la vente de boissons alcoolisées qu'il n'y en a pour établir un monopole similaire dans la restauration rapide, par exemple. L'incohérence du monopole étatique de la vente de boissons alcoolisées au Québec est d'autant plus prononcée du fait que les boissons de moins bonne qualité sont vendues en dépanneur ou en épicerie : le commerce étatique ne sert donc ni à protéger le public contre de possibles cas d'alcools frelatés, ni à restreindre la consommation en tant que tel. Et si le but du monopole est de combattre la contrebande, pourquoi le gouvernement n'a-t-il pas encore créé une Société du tabac?
 

Pas de concurrence

          Un monopole, qu'il soit public ou privé, existe toujours au détriment de l'utilisateur du bien monopolisé. Entre autres, le prix du produit ou du service n'est pas sujet à concurrence, et le citoyen et/ou le consommateur se voit privé de toute possibilité d'alternative en cas d'insatisfaction.

          Sur l'aspect de l'emploi, une situation de monopole implique l'absence d'un marché de comparaison pour l'établissement des conditions de travail des employés de l'entreprise (ou à tout le moins implique une disparité) ainsi que, dans un contexte syndical, le pouvoir pour le syndicat de priver le marché des biens ou services produits par le monopole afin de promouvoir ses propres intérêts contre l'employeur.

          Ce pouvoir se transforme en véritable droit à la prise en otage de la population dans les cas où le service monopolisé est un service d'usage général. Lorsque l'employeur est l'État, ceci implique qu'un intervenant non-élu se voit conférer un pouvoir politique, utilisable contre la population. L'effet est d'ailleurs des plus efficaces, comme en témoignent les conditions de travail des employés de magasin de la SAQ ou des chauffeurs d'autobus des sociétés de transport des communautés urbaines du Québec.

          Les syndicats, contrairement à l'image qu'ils travaillent à entretenir, étant des organisations corporatistes, ils ont profité et continuent de profiter à plein de ce pouvoir unique qui leur est donné, peu importe les conséquences qu'emportent sur la société en général l'usage excessif de leur droit de grève et les coûts exagérés de leurs conditions de travail.
 

« Il n'y a, en fait, pas plus de justification à maintenir un monopole étatique dans la vente de boissons alcoolisées qu'il n'y en a pour établir un monopole similaire dans la restauration rapide. »


          Les complaintes syndicales à l'encontre de la SAQ ne justifient aucunement qu'une grève dans un tel service public soit menée, voire tolérée. D'une part, sur le plan salarial, la prétention syndicale à l'effet que l'évolution de la rémunération ne soit pas suffisamment généreuse semble basée sur l'autre prétention voulant que l'écart entre le salaire à l'entrée et le salaire maximum serait trop maigre.

          Eh bien, la population n'est pas dupe et n'a pas franchi les lignes de piquetage par manque de compassion durant le temps des Fêtes. Il est normal que la progression salariale à la SAQ soit lente et qu'elle plafonne à proximité du salaire à l'entrée puisque ce salaire à l'entrée est déjà supérieur à pratiquement tout ce qui existe dans le commerce de détail non-gouvernemental. Cela, sans compter la générosité des vacances, de la sécurité d'emploi et des rabais accordés sur les produits de la SAQ. Trop de Québécois ont de bonnes raisons d'envier les conditions de travail de ces employés.

          D'autre part, la prétention syndicale voulant que les conditions de travail des employés à temps partiel doivent être améliorées et leur accès à la permanence facilité n'ont pas beaucoup plus de mérite. Les conditions de travail des employés permanents de la SAQ étant tellement onéreuses, le citoyen ne peut que demander au gouvernement de limiter l'accès à la permanence. Par ailleurs, que des salariés à temps partiel puissent être assignés à des succursales différentes et être sujets à des horaires variables ne représente certainement pas un cas d'espèce unique en son genre. De toute façon, il ne semble pas y avoir un roulement de la main d'œuvre plus important à la SAQ qu'en d'autres cieux, ce qui laisse croire que les conditions ne doivent pas y être si désastreuses lorsqu'on les compare à ce qui est applicable ailleurs.
 

Modernisation

          La législation en la matière doit être modernisée. Il fut une époque où la syndicalisation de la fonction publique s'est avérée nécessaire, mais le balancier a penché trop loin de l'autre côté. Le système mis en place a mené à la création de groupes de privilégiés qui, conscients de leur pouvoir, ont pris l'habitude de toujours en demander plus à la société. Pire, tellement habitués d'avoir gain de cause, ils n'acceptent pas la divergence d'opinion et n'ont que faire de la démocratie.

          On oublie trop souvent que des conditions de travail dépassant toute commune mesure avec le marché, assumées par les contribuables, privent autant le citoyen de réductions de taxes ou d'impôts méritées qu'elles privent le gouvernement de ressources qui pourraient être utilisées à d'autres priorités, comme l'éducation ou la pauvreté. Ironiquement, les syndicats sont habituellement les premiers à blâmer les gouvernements pour ne pas consentir suffisamment de ressources à de telles préoccupations.

          Considérant l'incohérence de l'existence même d'un monopole étatique dans la vente d'alcools, la grève déclenchée par les employés de magasin de la SAQ ne fait qu'amplifier le besoin d'ouvrir le marché et de repenser aux pouvoirs de grève syndicaux en situation de monopole public. Que ces salariés, caissiers ou étalagistes, ou chauffeurs d'autobus et employés de garage en d'autres circonstances, souhaitent continuellement améliorer leurs conditions de travail, soit. Mais que la population, qui souvent n'en a pas autant, serve à la fois d'otage et de payeur en chaque occasion, il y a une marge.

 

 

SOMMAIRE NO 150QU'EST-CE QUE LE LIBERTARIANISME?ARCHIVESRECHERCHE

ABONNEZ-VOUS AU QLQUI SOMMES-NOUS? SOUMISSION D'ARTICLES POLITIQUE DE REPRODUCTIONÉCRIVEZ-NOUS