Montréal, 15 janvier 2005 • No 150

 

OPINION

 

Paul Beaudry est étudiant en droit à l'Université de Montréal.

 
 

PAYER MOINS D'IMPÔTS? JAMAIS DE LA VIE!

 

par Paul Beaudry

 

          Dernièrement, en lisant la section « Actuel » du journal La Presse, quelle ne fut pas ma surprise de voir que le quotidien montréalais offrait maintenant de répondre aux questions existentielles de ses lecteurs! En effet, si un lecteur fait face à un grave dilemme moral, il peut maintenant écrire à La Presse et, s'il est chanceux, il recevra des conseils publiés dans le journal du samedi.

 

          La question posée dans l'édition du 8 janvier dernier fera assurément sourire un libertarien:
 

          Je suis travailleuse autonome. Mon conseiller financier me suggère de m'incorporer et de devenir actionnaire unique de cette nouvelle entreprise, ce qui me permettrait de payer moins d'impôt. Y a-t-il quelque chose de répréhensible sur le plan éthique? Pour le même revenu, je contribuerai moins à la société, et je n'arrive pas à me convaincre que cela puisse être tout à fait correct. Mais si tout le monde cherche à payer moins d'impôts, ne suis-je pas désavantagée si je ne le fais pas?(1)

          Dans sa réponse, Nicolas Langelier de La Presse affirme que bien qu'il faille obéir aux lois de l'impôt et condamner les échappatoires fiscales, si le gouvernement permet certaines actions ayant comme conséquence de nous faire payer moins d'impôts, ces actions sont légitimes. En analysant la question d'un point de vue libertarien, on peut pousser l'analyse un peu plus loin…

          La lectrice croit que payer des impôts au gouvernement constitue une contribution à la société, alors qu'investir dans une entreprise privée ne fait que lui apporter (potentiellement) des bénéfices personnels. Pour elle, il serait égoïste d'investir pour son bien-être personnel, alors qu'elle pourrait donner plus d'argent à l'État qui en ferait bénéficier la société. Elle ignore que son apport financier dans une entreprise contribuera beaucoup plus au bien-être de la société que si elle le « rend » à l'État.

          En effet, son investissement dans une entreprise pourra créer des emplois ou contribuer à la création d'un nouveau produit qui deviendra indispensable à plusieurs consommateurs. Si l'entreprise où elle investit connaît du succès, elle profitera de son investissement, lequel investissement bénéficiera également à une multitude de consommateurs qui achètent des produits ou des services offerts par cette entreprise. Pour paraphraser Adam Smith, ce n'est pas par souci pour le bien-être de son prochain qu'elle aidera la société, mais par souci pour ses intérêts personnels.

          Si on compare l'investissement de fonds dans une entreprise et le paiement d'impôts à l'État, la différence est frappante. Si la lectrice décide qu'elle a une obligation morale à ne pas investir dans l'entreprise et à donner davantage à l'État, l'avantage « social » de ce choix sera moindre, malgré sa bonne conscience. L'État, en intervenant et en réglementant les marchés, crée du chômage et rend les conditions économiques moins attrayantes pour les investisseurs. De plus, l'argent que l'on rend à l'État est très souvent gaspillé dans des programmes qui n'ont aucune raison d'être et qui sont gérés par un nombre beaucoup trop élevé de bureaucrates surpayés.
 

« La subvention d'une entreprise et la "protection" de certaines industries grâce à des barrières protectionnistes pénalisent les consommateurs, mais assurent au gouvernement des appuis lors de la prochaine élection. »


          Peut-être sera-t-il utilisé pour subventionner les productions théâtrales visionnées par les amateurs de théâtre des grands centres urbains, peut-être sera-t-il utilisé pour financer une réforme inutile du système d'éducation, peut-être sera-t-il utilisé pour faire une campagne célébrant les vertus des politiques linguistiques autoritaires du gouvernement du Québec, nul ne le sait. Il se peut même que l'argent que la lectrice aurait pu investir dans une entreprise soit utilisé par l'État pour subventionner une autre entreprise qui n'a visiblement pas de chances de faire de profits et qui fera probablement faillite quelques mois ou années plus tard (ce qui poussera les syndicats à organiser des manifestations pour exiger que le gouvernement intervienne davantage pour « sauver » des emplois qui n'auraient jamais dû exister). Bref, la lectrice ignore sans doute que la plus grande partie des impôts qu'elle paie ne contribuera pas à la société en général, mais à certains groupes qui tentent de vivre aux dépens des autres.

          Trop souvent, on a tendance à opposer la bienveillance de l'État à l'égoïsme des entrepreneurs qui ne cherchent que le profit. Cette dichotomie ne tient pas lorsqu'on a compris la théorie des choix publics (Public Choice), élaborée par les professeurs James Buchanan et Gordon Tullock. Buchanan et Tullock ont démontré que les politiciens et les bureaucrates qui administrent les programmes gouvernementaux ne sont pas des êtres désintéressés et altruistes. Ce sont des êtres humains comme les autres: ils ont des intérêts personnels qu'ils n'hésiteront pas à privilégier au détriment du « bien collectif »(2).

          La subvention d'une entreprise et la « protection » de certaines industries grâce à des barrières protectionnistes pénalisent les consommateurs, mais assurent au gouvernement des appuis lors de la prochaine élection. Les consommateurs n'ont pas vraiment intérêt à faire valoir leur mécontentement, car un tarif ou une subvention de l'État ne leur impose pas de coûts énormes et se mobiliser pour s'y opposer est coûteux en temps et en efforts. Par contre, c'est en additionnant toutes les subventions et barrières protectionnistes étatiques qu'on réalise que ces mesures coûtent très cher à la grande majorité de citoyens qui n'en bénéficie pas(3).

          Il ne faut donc pas se leurrer en croyant que l'argent durement gagné par la lectrice (qui, en tant que travailleuse autonome, ne profite probablement pas de largesses étatiques) sera utilisé dans l'intérêt général de la société québécoise; il sera plutôt alloué, comme dans un encan, à celui qui a le plus donné ou qui est le plus ami avec le parti au pouvoir.

          Finalement, il est nécessaire de mettre en garde les contribuables québécois et canadiens contre le langage trompeur des politiciens. Lorsqu'un politicien invoque les termes « intérêt général », « justice sociale » ou « solidarité », c'est probablement parce qu'il veut mettre sa main dans nos portefeuilles. La véritable justice sociale ne se reflète pas par la saisie des avoirs de certains pour les remettre aux autres; elle se caractérise par le respect de la dignité et de l'individualité de chaque être humain, de sa capacité à faire des choix en tenant compte de ses propres ressources et à en assumer les conséquences. Malheureusement, rares sont les politiciens qui adopteront une telle vision des choses, car elle réduit considérablement leur rôle dans la société et affaiblit énormément l'État Léviathan qui leur fournit leur pain quotidien.

 

1. « Échappatoire morale? », La Presse, 8 janvier 2005, section « Actuel », p. 5.
2. On peut avec raison se demander ce que « bien collectif » peut vouloir dire. Cette expression est souvent utilisée par certains pour imposer leur vision de société à d'autres. Si vous êtes en faveur de baisses d'impôts, vous êtes égoïstes et ne pensez pas au bien collectif! Vous êtes contre les socialistes environnementaux et le protocole de Kyoto? Mais voyons! Cessez d'avoir une pensée purement économique et pensez au bien collectif!
3. Il est dommage de réaliser que certains organismes qui donnent plus à l'État qu'ils n'en reçoivent, au lieu de décrier les subventions et le protectionnisme étatiques, tentent à leur tour d'obtenir de l'État leur juste part de gâteau en faisant du lobbying et en contribuant à la caisse de partis politiques.

 

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