Montréal, 15 février 2005 • No 151

 

CHRONIQUE DE RÉSISTANCE

 

Marc Grunert enseigne les sciences physiques dans un lycée de Strasbourg et anime le Cercle Hayek de Strasbourg, consacré à la réflexion et à la diffusion du libéralisme. Il est également éditeur adjoint du QL pour la section européenne.

 
 

LA CONSTITUTION EUROPÉENNE, C'EST NON!

 

par Marc Grunert

 

          Si l'on réduit le débat sur le projet de constitution européenne(1) à une seule question fondamentale: Cette constitution est-elle un progrès vers un état de droit et de liberté?, la réponse est non! Le Droit définit ce qui est juste, l'usage légitime de la violence. Or la tradition libérale a établi que la seule norme de justice rationnelle et a priori universalisable est le respect des droits de propriété individuels, la liberté des contrats. Les normes de droit qui règlent la société sont évolutives et relèvent du droit privé et non pas d'une politique au jour le jour de plus en plus envahissante, promise par la constitution.

 

          Or qu'est-ce que cette constitution institue? D'abord un mécanisme de décision entre les hommes des États membres qui permettrait d'imposer des normes communes aux nations. Le « constructivisme » inhérent à cette harmonisation des « normes » est patent. Le constructivisme est l'ennemi de la liberté comme Hayek l'a si bien démontré(2). Il consiste à imposer des règles d'organisation selon un plan préétabli. Et même si ce plan change, la méthode consiste toujours à réduire les individus à de simples rouages sans conscience libre obéissant à une mécanique prévisible. Les pseudo-normes imposées par un gouvernement central européen détruisent la concurrence, la capacité de chacun d'apprendre à partir de ses expériences, et finalement l'ordre de la liberté qui permet de créer de la valeur et qui utilise plus de connaissances éparses que ne peut en contenir le cerveau d'un technocrate.

          L'instrument de ce constructivisme est la création constitutionnelle d'un vrai gouvernement européen qui fonctionnera avec un budget alimenté par des taxes sur lesquelles les nations n'auront plus qu'un contrôle très limité. En somme, c'est un super-État européen qui se dessine inexorablement.
 

Le oui/non libéral

          Le « non » libéral n'est évidemment pas le « non » communiste. Les communistes français – la CGT – disent non à la constitution parce qu'elle n'est pas fondée sur leurs valeurs, et que, probablement, cette constitution leur fera perdre beaucoup d'influence. Le Parti communiste est une spécificité française. Noyé dans une Europe élargie, son extinction sera accélérée (c'est au moins le mérite de cette constitution).

          Le « non » libéral a été plaidé avec lucidité et dans une veine hayékienne par Guy Millière(3):
 

          Le traité constitutionnel qui nous est proposé n'améliore rien par rapport à la situation actuelle:

• Y figurent des mots bouffis de dirigisme et de collectivisme, qu'il n'est pas souhaitable de voir graver dans le marbre institutionnel: solidarité, justice sociale, développement durable.
• La déclaration des droits qui figure dans le texte a été, à l'évidence, rédigée par des marxistes. Les pays d'Europe centrale n'ont pas quitté la sphère soviétique pour se retrouver soumis à un texte à relents soviétoïdes et je ne vois rien à gagner pour les pays d'Europe occidentale à s'injecter eux-mêmes en ce début de XXIe siècle une nouvelle dose de marxisme.

          Le grave déficit démocratique dont souffre déjà la France se trouverait accentué par des abandons de souveraineté et la création effective d'instances exécutives supranationales non soumises au contrôle des peuples européens: les votes à la majorité qualifiée valant pour 25 pays et effectués ou par des parlementaires ou par des ministres réunis en conseil ne se dérouleront pas sous le regard et le contrôle de citoyens, mais dans une opacité suffisante pour que la technocratie l'emporte sur toute forme de décision populaire.
 

« Le facteur de paix est le moins de pouvoir politique possible et le plus de liberté économique possible, le libre-échange. L'Europe unie a commencé par là et il fallait poursuivre dans cette voie. »


          Quant au « oui » libéral, il a été défendu par Jacques de Guenin(4). Il écrit:
 

          La construction de l'Europe unie aura été la grande oeuvre de ma génération, née avant la guerre de 39-40. Nous avons subi le nazisme, le communisme et leurs cortèges d'horreurs. Nous avons vu tomber des millions de personnes dans des conflits absurdes. Et auparavant, c'est à chaque génération que les citoyens européens s'entretuaient…

          Or, depuis 60 ans, il n'y a plus eu de guerre entre nous. Tel est le principal résultat de la construction européenne. Devant ce résultat, tous les autres arguments, pour ou contre cette construction, sont totalement dérisoires.

          Il y a malheureusement un non sequitur dans cette argumentation motivée par une inquiétude parfaitement respectable. Après la guerre, plus aucune nation n'avait envie que se reproduisent les horreurs de celle-ci. Avait-on besoin de le leur faire comprendre en les unifiant politiquement? Certainement pas. Le facteur de paix est le fait d'avoir le moins de pouvoir politique possible et le plus de liberté économique possible, le libre-échange. L'Europe unie a commencé par là et il fallait poursuivre dans cette voie. Mais comme Hayek l'a bien dit, la logique du pouvoir a transformé ce qui devait être un plan de paix en une construction parasite: celle d'un pouvoir politique européen, centralisé et tyrannique:
 

...l'énormité de l'appareil politique, son éloignement des citoyens dont il envahit cependant toute l'existence, ne sont pas choses que les hommes ont choisies de leur plein gré, mais la conséquence d'un mécanisme animé d'une dynamique distincte qu'ils ont instauré sans en prévoir les effets. (Hayek, « La politique détrônée »)

          Et on voit mal comment la constitution, qui se situe dans cette logique, évitera des conflits dont les conséquences sont incalculables.
 

Constitution et Turquie

          Si la constitution est ratifiée, se posera alors le problème du pouvoir d'influence des États membres. Car les règles constitutionnelles sont principalement des règles de décision et d'organisation et non pas de vraies règles constitutionnelles, à savoir des prohibitions garantissant les libertés individuelles et le Droit. Or le pouvoir d'influence est directement lié à la démographie, puisque l'Union européenne se targue d'être une démocratie.

          Lorsque les manoeuvres politiciennes mettront les populations européennes devant le fait accompli de l'entrée de la Turquie dans l'UE, que peut-on attendre? La réponse a été donnée par Alain Dumait(5):
 

          Si la Constitution est adoptée, la Turquie disposera d'un poids considérable: elle sera le plus important pays de l'Union et l'on a calculé qu'elle aurait ainsi un droit de veto sur les deux tiers des décisions communautaires.

          Non seulement « charbonnier ne sera plus maître chez lui », mais il faudra encore se soumettre aux « lois » des étrangers devenus par la magie politique des membres à part entière de la « communauté européenne ».

          Le libre-échange, l'ordre spontané évolutif du droit privé, les droits de propriété, la liberté de circulation dans le cadre d'un état de droit auraient pu faire de l'Europe un espace de coopération entre des entités politiques concurrentielles (voir l'article de Pascal Salin dans le présent numéro). La constitution en fera un espace de conflits politiques et de marchandage, lourd de menaces pour l'avenir.

 

1. « Une constitution pour l'Europe: plus d'efficacité, plus de démocratie, plus de transparence » et « Ressources: la constitution européenne sur la toile publique » www.europe.gouv.fr/actualites.
2. Friedrich A. Hayek, « La politique détrônée », le QL, no 150.
3. Guy Millière, « Non à la constitution européenne! », Les4vérites.com, 30 janvier 2005.
4. Jacques de Guenin, « Il faut voter oui à la constitution européenne! », Les4vérites.com, 16 janvier 2005.
5. Alain Dumait, « Référendum: les chances du non », Les4vérites.com, 13 février 2005.

* Je renvoie aussi à l'article « La constitution européenne - Les progrès du socialisme d'État, la peste sociale » de Georges Lane sur La Page Libérale.

 

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