Montréal, 15 mai 2005 • No 154

 

PERSPECTIVE

 

Jean-Louis Caccomo est économiste à l'Université de Perpignan.

 
 

LE CHAOS MORAL (OU LE PRÉLUDE D'UNE CATASTROPHE ÉCONOMIQUE)

 

par Jean-Louis Caccomo

 

          De 1981 à 1995, la France fut présidée par un homme de droite qui a brillamment dupé toute la gauche. Puis, elle est maintenant gouvernée par un homme de gauche, devenu le pourfendeur de la globalisation ultra-libérale, qui a prodigieusement leurré toute la droite. Il y a de quoi mettre en déroute morale tout un pays. Mais un tel pays se ment volontiers à lui-même en acceptant ces mensonges d'État qui arrangent beaucoup de monde.

 

Le retour du printemps hexagonal

          Le mensonge commence à l'éducation nationale pour être relayé par les médias. Grâce à la couverture médiatique, tout le monde sait maintenant qu'un lycéen maîtrise parfaitement les rudiments de l'action syndicale : déclencher et nourrir une grève, bloquer l'entrée d'un lycée, réciter le refrain syndical agréé par les partenaires sociaux, faire plier un ministre! Il y a de quoi intimider plus d'un employeur.

          Par contre, on aura beaucoup moins de garantie sur la quantité et la qualité des connaissances acquises au lycée. En devenant quasiment un droit, le diplôme du baccalauréat a perdu beaucoup de sa valeur. Et un diplôme, c'est comme une monnaie: sa valeur nominale peut être sans rapport avec sa valeur réelle.

          Il serait cependant injuste de considérer tous les lycéens à la même enseigne. La plupart d'entre eux sont travailleurs et inquiets pour leur avenir. Ils pressentent qu'ils vont hériter des dettes laissées par les générations actuelles. Elles seront autant de prélèvements additionnels qu'il leur faudra bien assumer au nom d'une conception à rebours de la solidarité.

          Comme les grévistes ne sont pas majoritaires dans le pays, ils sont d'autant plus bruyants. Sur les campus, les étudiants les plus activistes sautent sur cette occasion pour tenter de propager le mouvement dans les universités. Les tracts bourgeonnent, les banderoles s'épanouissent sur les façades dénonçant la « camisole libérale » (sic!) du traité de Giscard, ou encore le projet « ultra-libéral » de Fillon, les slogans les plus populistes fleurissent. Que voulez-vous, c'est le retour du printemps…

          Les plus jeunes sont si malléables devant l'autorité de leur professeur, surtout si ce dernier professe la « révolution permanente » et le refus de la dictature des marchés. Avec l'arrivée des beaux jours, il est plus sympathique de défiler dans les rues que de rester enfermé dans les classes à préparer le baccalauréat. Les plus activistes sont trop heureux de susciter l'intérêt des caméras. À cet âge, c'est de bon aloi. Mais que certains enseignants se servent des jeunes au lieu de les préparer à affronter les examens... D'autant que cette génération-là en particulier est habituée à entendre l'appel pathétique de la rue depuis l'école primaire!

          Les appareils syndicaux ont toujours utilisé l'éducation nationale pour régler leurs comptes avec tout gouvernement aspirant à être élu par les électeurs de droite. Selon le refrain quasiment officiel de l'éducation nationale, le gouvernement Raffarin, après avoir jeté l'Europe dans les affres d'un traité ultra-libéral (approuvé par les socialistes!), est en train de casser notre modèle social que le monde entier nous envie. Raffarin serait donc le Reagan français, le Thatcher hexagonal… Cela laisse songeur!

          Il est connu que le gouvernement actuel a hérité d'un pays en parfaite santé et, afin de gagner la sympathie des masses, il aurait décidé d'empêcher de fonctionner aujourd'hui ce qui fonctionnait bien hier… Il aurait sciemment « tout cassé », pour reprendre le propos des lycéens en colère. Il aurait démoli ce que la gauche avait mis tant de mal à construire.
 

« Je suis toujours ému par ces hommes et femmes, qu'ils soient politiques ou enseignants, qui proclament se soucier, sans la moindre pudeur, de l'intérêt général alors qu'ils défendent tout simplement un intérêt privé. »


          Qui peut croire à de telles sornettes? La réalité est plus prosaïque: le gouvernement actuel a le devoir de payer les factures laissées par la générosité irresponsable de la gauche. Mais l'idéologie consiste précisément à nier la réalité. Ayant perdu dans les urnes, la gauche s'approprie les classes des lycées et les amphis pour nourrir un interminable, mais illégitime, « troisième tour social » en attendant de reprendre les rênes du pouvoir. Et les professeurs s'abritent derrière cette « grève des lycéens » pour ne pas voir leur salaire amputé par leur ministre de tutelle.

          Je suis toujours ému par ces hommes et femmes, qu'ils soient politiques ou enseignants, qui proclament se soucier, sans la moindre pudeur, de l'intérêt général alors qu'ils défendent tout simplement un intérêt privé. Ce n'est pas l'intérêt privé en soi qui est condamnable, car c'est bien ce qui nous anime tous, mais c'est le fait de dire le contraire de ce que l'on fait qui est une mystification dangereuse.

Le libéralisme a bon dos!

          Il est d'ailleurs cocasse de voir les partisans et les opposants à la Constitution réciter le même refrain. C'est à celui qui sera le plus anti-libéral! Il est vrai que les absents ont toujours tort. C'est bien commode: on n'a jamais autant invoqué le libéralisme, on ne l'a jamais autant fustigé alors qu'il n'a jamais été aussi éloigné des préoccupations des réformateurs actuels. À en croire certains, même le Pape n'avait pas de mots assez durs contre le libéralisme. Faisons le parler maintenant qu'il est mort… alors que les mêmes se moquaient de ses paroles de son vivant.

          À l'occasion d'un vibrant hommage, j'ai pu lire, dans les colonnes de la Tribune et de La Croix, que le pape Jean-Paul II, après avoir contribué à la chute du communisme, n'avait de cesse de combattre « le capitalisme sans règle qui emportait aujourd'hui la planète ». Ce soi-disant hommage n'était qu'un nouvel alibi pour entonner un tout autre refrain auquel la presse française nous a déjà bien habitué.

          Il faudrait juste préciser qu'un « capitalisme sans règles » ne saurait être un capitalisme. Le capitalisme, au contraire, est un système économique qui ne fonctionne qu'à la condition de respecter un certain nombre de règles fondamentales et contraignantes. Or, pour peu qu'ils se sentent encouragés en ce sens, les acteurs économiques consacrent une grande énergie à se tourner vers la protection étatique afin d'échapper à de telles règles.

          Ainsi, les producteurs, en s'organisant en corporations, n'auront de cesse de faire pression sur les gouvernements afin d'obtenir d'eux des réglementations protectionnistes leur permettant d'échapper à la règle de la concurrence.

          De son côté, le consommateur, qui cherche à échapper à la règle du prix, se tournera vers la puissance publique pour tenter d'obtenir un maximum de biens et services sans les payer (la consommation collective) et bénéficier de revenu sans travailler (le revenu social). Pour répondre à ces revendications, les dirigeants, toujours soucieux de flatter le plus grand nombre pour remporter le jackpot électoral, se feront à la fois les ultimes défenseurs de l'industrie nationale dans le premier cas, et les garants de la politique sociale de redistribution dans le second cas.

          Voilà comment on dérègle lentement et sûrement le fonctionnement de l'économie, feignant d'oublier, en les refoulant, les règles du capitalisme. Mais cela n'a plus rien à voir avec le capitalisme.
 

 

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