Montréal, 15 mai 2005 • No 154

 

OPINION

 

Francis St-Pierre est étudiant et habite à Rivière-du-Loup.

 
 

DÉCRIMINALISATION DE LA MARIJUANA: ILLOGIQUE ET STUPIDE!

 

par Francis St-Pierre

 

          La nouvelle politique du gouvernement canadien en matière de lutte contre la drogue se résume grosso modo en deux points: 1) décriminaliser la possession simple de marijuana, officiellement pour éviter de pénaliser les petits consommateurs qu'il juge être des victimes des producteurs mafieux; 2) renforcer la répression envers les producteurs et vendeurs de marijuana(1). Cette politique est à la fois illogique et stupide pour plusieurs raisons.

 

Une contradiction flagrante

          Le modèle américain de la « War on drugs », bien qu'inefficace et liberticide, possède à tout le moins le mérite d'être cohérent. Sa proposition de base est que toute drogue (non approuvée par l'État) est mal et qu'elle constitue une menace à l'ordre moral de la société et au fameux bien commun. Il est donc logique d'y mener une lutte sans merci, et ce sur tous les fronts, bien que l'affirmation de départ, qui présume que l'État sait mieux que les citoyens ce qui est bon pour eux, est erronée.

          La position du Parti libéral du Canada n'a même pas ce mérite. Elle renferme une contradiction qui cache sa véritable nature. L'argumentation du gouvernement est qu'il est injuste d'envoyer d'« honnêtes » citoyens derrière les barreaux pour avoir consommé une substance qui n'est pas si nocive, après tout. Cette consommation constitue une offense minime, désapprouvée, mais tolérée. Toutefois, la production (d'un produit jugé quasi-inoffensif) est faite par des membres du crime organisé qui profitent de la naïveté des pauvres consommateurs non responsables de leurs actes. Il faut donc la réprimer sévèrement.

          Cette argumentation est illogique. Transposons-la à titre d'exemple au domaine des religions. L'État, qui aurait jugé qu'une religion est légitime et que chacun a le droit de l'exercer librement, sans l'approuver moralement, réprimerait pourtant la construction de lieux de culte et l'impression de livres religieux renfermant prières et normes de conduite des adeptes de cette religion.

          De plus, la lutte actuelle aux producteurs de drogue constitue une autre intrusion de l'État dans la vie des citoyens. Le but réel de cette politique est vraisemblablement de sortir le gouvernement d'une position intenable, soit la tolérance de facto de la consommation de marijuana, qui demeure toutefois officiellement illégale.
 

Une action irréfléchie

          Cette mesure lancée en l'air constitue une autre preuve que l'isolement des politiciens par rapport aux lois du marché les rend incapables d'exercer le moindre jugement économique. Ils ont en tout cas oublié d'évaluer les conséquences inévitables de leurs décisions.
 

«La lutte actuelle aux producteurs de drogue constitue une autre intrusion de l'État dans la vie des citoyens. Le but réel de cette politique est vraisemblablement de sortir le gouvernement d'une position intenable, soit la tolérance de facto de la consommation de marijuana, qui demeure toutefois officiellement illégale.»


          En décriminalisant la possession de petites quantités de marijuana, il est clair que la demande de ce produit augmentera de façon importante. En effet, la majeure contrainte qui repousse actuellement les consommateurs est la peur des conséquences légales de leur consommation. Avec un accroissement de la demande, les lois économiques nous amènent à prévoir une hausse du prix de cette substance. Cette hausse du prix entraînera inévitablement une hausse de l'offre, puisque les profits éventuels des producteurs et vendeurs deviendront plus élevés que les conséquences négatives de se faire prendre(2).

          On assistera donc à une explosion de la quantité de marijuana en circulation, qui continuera à être vendue par des criminels toujours plus ingénieux et spécialisés. Les coûts de la guerre à la drogue version améliorée deviendront exorbitants et les policiers débordés se verront contraints de fermer les yeux sur de nombreux cas ou d'accepter des pots de vin du crime organisé. Voilà donc ce que j'appelle une proposition stupide!

          Deux solutions, après l'échec de cette mesure (plutôt rapide selon ma prédiction), seront possibles. La première, qui serait en fait un désaveu du principe de la mesure originale, consisterait à retourner à la case départ et à recriminaliser la possession simple. La seconde solution, et la seule véritablement efficace, serait la légalisation complète.
 

Redonner la liberté aux citoyens

          La seule alternative valable à la proposition gouvernementale actuelle serait de légaliser et de confier au marché libre toutes les drogues. En effet, le fait de ne décriminaliser que la marijuana ne règlerait qu'une partie du problème et laisserait la voie libre au crime organisé pour se rabattre sur les autres drogues, perpétuant ainsi le cycle de la violence. Une législation en faveur du libre choix ferait rapidement diminuer le nombre de crimes associés aux drogues et mettrait le commerce de celles-ci entre les mains d'entrepreneurs légitimes.

          De plus, cela enlèverait un poids énorme sur les corps policiers et leur permettrait de se concentrer sur leurs fonctions de base, à savoir protéger le peuple contre les vrais crimes. Cela signifierait enfin redonner la liberté aux citoyens de disposer de leur propre corps de la manière qu'ils jugent appropriée, sans avoir à rendre de comptes à l'État.

 

1. Notons que la consommation d'autres drogues n'est absolument pas traitée dans cette politique, comme s'il s'agissait d'un tout autre problème!
2. Quelqu'un pourrait amener l'argument que la hausse de la répression annulera ce dernier effet. On n'a qu'à observer nos voisins du Sud pour s'apercevoir que la répression policière n'est jamais aussi efficace qu'elle le prétend. De plus, les producteurs trouvent toujours le moyen de déjouer l'État si le gain est suffisamment élevé.

 

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