Montréal, 15 septembre 2005 • No 158

 

COURRIER DES LECTEURS / READERS' CORNER

 

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L'AVORTEMENT EST-IL UN CRIME?

 

          L'article « L'avortement est-il un crime? » publié le mois dernier dans les pages du QL a suscité plusieurs réactions dont celle de notre collaborateur Erwan Quéinnec qui signe ce mois-ci un article intitulé « Et si l'avortement était une liberté? ». Voici un échantillon de ces réactions accompagnées des commentaires de l'auteur, Marc Grunert.

G. G.
 
 
 

          Je n'ai lu aucune critique, dans les répliques qui m'ont été faites, dont la réponse ne se trouve déjà dans mon article initial. Je vais donc essayer de me paraphraser en étant plus explicite.

M. G.

 

 
 

V O S   C O M M E N T A I R E S

          Je voudrais réagir à l'article de Marc Grunert qui, à mon sens, n'explore pas assez de voies dans son argumentation. Pire encore, faute de développement, j'ai eu le sentiment nauséeux que cet article pourrait être repris in extenso dans un journal de l'Opus Dei ou du Front National.

          Dans son article, M. Grunert ne semble pas tenir compte d'une liberté fondamentale: celle de diposer librement de son corps notamment lorsqu'une souffrance est, ou sera, insupportable. Si un être humain souffre atrocement, ne lui est-il pas permis de mettre fin à ses jours ou même de demander qu'on le fasse pour lui en cas d'incapacité physique, et ce en accord avec la logique libertarienne? Dans le même ordre d'idées, n'est-il pas permis à une femme de se débarrasser d'un membre ou d'une partie de son corps si celui-ci devient insupportable?

          Le foetus fait partie du corps de la femme à tous les stades de la grossesse et en est indissociable. Le cas de la matrice artificielle ne me paraît pas en accord avec les idées libertarienne puisque, si l'on rend l'avortement punissable, car relevant du meurtre volontaire, on contraint par la force une femme à opter pour une situation qu'elle ne souhaite peut-être pas – qui plus est avec un usage forcé de son propre corps!

          M. Grunert en appelle à la responsabilité de chaque femme dans le contrôle de son cycle menstruel et de sa fertilité, mais il ne dit mot sur la grossesse résultant du viol. Par ailleurs, si responsabilité il y a dans le fait de tomber enceinte, il y a également responsabilité dans la décision de ne pas mettre au monde un enfant qui, dès le départ, évoluera dans des conditions précaires et dans l'assistanat.

Cordialement,
Thibaut André

 

Réponse de Marc Grunert

Monsieur,

          La vie de l'enfant me semble prioritaire dans la mesure où, même si la mère est en danger de mort en raison de sa grossesse, elle est responsable de l'acte qui a conduit à cet état de choses. Si on ne peut pas sauver l'enfant, alors il faut sauver la mère. Sinon, du fait que l'enfant n'est responsable de rien dans la situation où il a été placé, c'est lui qui doit être sauvé. S'il s'agit d'un viol, évidemment, la vie de la mère est prioritaire car elle est aussi innocente que l'enfant et c'est elle qui a subi le crime primordial. S'il est possible de sauver les deux vies alors il faut le faire. Vous ne semblez pas capable de comprendre que l'enfant n'est pas un « membre » du corps de la mère. C'est un être humain, vivant, de nature complètement distincte de celle d'un bras ou d'une jambe.

          Pour ce qui est du viol, je vous invite à relire l'article. Concernant l'avortement dans l'« intérêt de l'enfant » (il sera handicapé, il souffrira…), c'est la porte ouverte à tous les abus et tous les crimes d'États nazis visant à empêcher de vivre des êtres handicapés. Ce n'est pas à M. André de définir la souffrance. Ce n'est pas à lui de dire qu'un être qui risque de souffrir doit être supprimé. Ce n'est même pas aux parents. Ces êtres ont le droit de vivre et on n'a pas le Droit a priori de les tuer pour leur éviter une souffrance future. De plus, nous ne savons rien du futur, ou pas grand-chose.

M. G.
 
 
 

          Je me permets une intervention, pour exprimer mon total désaccord avec l'article de Marc Grunert. J'avoue avoir été profondément surpris de lire pareils propos de la part d'un libertarien même si je suis conscient que ce sujet confronte bien souvent des points de vue diamétralement opposés et irréconciliables.

          Bien que je condamne les avortements payés à grands frais par l'État, je reconnais le droit fondamental d'une personne de disposer de son corps comme elle le souhaite. Un embryon n'est pas un être humain. Il a besoin du corps de la femme pour assurer son développement jusqu'à sa forme finale. Il est dans une situation de totale dépendance corporelle face à son hôte. Une femme qui souhaite se faire avorter refuse tout simplement la poursuite de ce processus. Elle prend cette décision en fonction des circonstances et surtout de sa liberté de conscience. Il n'appartient pas à l'État de décider dans quelle situation une interruption de grossesse est moralement juste. Laissons ce genre de dogme à la droite chrétienne.

          Depuis quelques années déjà, je siège sur le conseil d'administration d'une fondation qui vient en aide à des parents dont les enfants sont atteints de maladies génétiques orphelines comme le Tay Sachs, le Sandhoff, Shindler, Acidose lactique ou encore la Gangliosidose GM1. Ces maladies sont très rares et affligent seulement
10% de la population. Il n'existe pas le moindre traitement pour les guérir. La seule issue est la mort. En d'autres mots, on passe des nuits blanches impuissants à voir dépérir son enfant (gavage, cécité, perte de tonus musculaire, convulsion…), les coûts pour les proches étant considérables – autant sur les plans financier qu'humain. Ce sont des souffrances inutiles.

          Ainsi, une femme qui se sait porteuse d'un embryon qui risque de développer une maladie est parfaitement libre de refuser la maternité et les conséquences désastreuses qui l'accompagnent. Elle a le droit de gérer elle-même sa destinée et de prendre les moyens nécessaires pour donner la vie à un enfant en santé.

Mathieu Bréard

 

Réponse de Marc Grunert

Monsieur,

          Encore une fois l'être créé est nécessairement un être humain. Dès le départ. Si un « embryon n'est pas un être humain », alors de quelle nature est-il? Si on détruit un embryon, on détruit un être humain. C'est évident. D'ailleurs vous ne seriez même pas là pour parler si votre embryon avait été détruit. J'appelle donc ça une contradiction performative. C'est la conception résultant de l'action qui définit la création d'un être humain. Une fois créé, il l'est. La mère n'accueille pas un parasite, ou une chose indéterminée, mais un être humain. Qualifier cette « chose » de « parasite » est absolument en contradiction avec la nature de l'action qui a donné naissance à cet être. C'est un déni de sa propre responsabilité.

          Par ailleurs vous écrivez: « Ainsi, une femme qui se sait porteuse d'un embryon qui risque de développer une maladie est parfaitement libre de refuser la maternité et les conséquences désastreuses qui l'accompagnent. Elle a le droit de gérer elle-même sa destinée et de prendre les moyens nécessaires pour donner la vie à un enfant en santé. » Non! Encore une fois nous n'avons pas l'expérience du futur. Par ailleurs, dans une société de Droit, libre, sans État, ceux qui pensent comme moi devront, par simple cohérence logique, s'organiser, avec leurs moyens, pour prendre en charge cet enfant non désiré mais néanmoins sujet de Droit, si la mère et le père sont défaillants (avec les conséquences que cela doit impliquer sur le plan juridique). Je reconnais que les moyens sont décisifs. On peut ne pas avoir les moyens d'accomplir le Droit, mais cela ne peut pas se décider a priori. Si on déclare a priori le droit d'avorter dans ces cas limites alors on interdit aux autres de chercher des moyens pour trouver des solutions, d'accomplir certains devoirs impliqués par la reconnaissance du Droit des personnes dépendantes. C'est non seulement une destruction du Droit mais aussi du sens moral.

M. G.
 
 
 

          Dans l'édition d'août 2005 du Québécois Libre, M. Marc Grunert présente un article percutant intitulé « L'avortement est un crime ». Je tenais, à cet effet, à souligner la qualité exceptionnelle de sa démonstration logique et de sa très pertinente absence de l'émotivité usuellement associée au débat tant par les partisans du mouvement pro-vie que du mouvement pro-avortement.

          Si l'argument sur l'utérus synthétique est inusité et peut-être bizarre, il a au moins le mérite de soulever une solution originale au conflit entre le droit à la vie de l'enfant, d'une part, et d'autre part, la jouissance de la mère de la partie de son corps garantissant la vie de cet enfant. Solution, peut-être, qui invitera à faire sortir le débat de la sempiternelle et artificielle négation de l'humanité de l'enfant à naître. Comme le rappelle M. Grunert, il n'existe pas de frontière entre la pré-naissance et la naissance. Autant, donc, s'appliquer à trouver des solutions capables de réconcilier les droits et besoins des deux parties.

          L'argumentaire de M. Grunert soulève indirectement le parallèle avec la façon dont nous traitons les personnes adultes incapables de prendre soin d'elles-mêmes. Or, comme l'humain est porté à avoir pitié de ce qu'il peut voir, le même acte de destruction porté contre un autiste profond serait accusé d'humanité alors même que le Québec l'inflige à 25 000 enfants par an – un record imbattu dans le monde occidental, comme nous le rappelait en 2005 la revue L'actualité.

          Outre qu'il nous rappelle bien la complaisance hypocrite avec laquelle nous traitons la vie ceux qui ne font pas entendre leurs voix, cet article démontre, en outre, qu'il n'existe pas une pensée unique en matière de morale chez les libéraux. Ce rappel est rafraîchissant, car trop souvent les philosophes des diverses idéologies convergent vers une pensée unique.

          Félicitations, donc, à M. Grunert de briser le tabou en rappelant qu'une question n'est pas nécessairement « réglée » pour la seule raison qu'un même gouvernement l'applique depuis 15 ans. En démocratie, la liberté de parole laisse toujours la place au débat, surtout lorsque la question porte sur la nature de la vie humaine et le droit à la défense de celle-ci.

Erick N. Bouchard, M.A.P., B.A.
Québec, Canada

 
 
 

          Dans son article du 15 août, qui, tel que prévu, suscite la controverse, Marc Grunert condamne l'avortement en l'associant à une initiation de violence contre un être humain. Quoique je ne sois pas un fervent défenseur des droits naturels, je ne contesterai pas son argumentation.

          Cependant, je demanderai à M. Grunert s'il a bien évalué la portée de son opinion. Si, comme il l'indique, l'avortement est criminel, alors fumer ou boire lors de la grossesse (tout en connaissant les conséquences du tabagisme ou de la consommation d'alcool sur le foetus) doivent logiquement aussi être des actes criminels et punis. La pratique d'activités risquées (vélo, courir, sports, etc.) pouvant occasionner une chute et éventuellement le rejet du foetus doit aussi être interdite et punissable si rejection il y a.

          Le meurtre n'est pas le seul crime reconnu par la philosophie libertarienne des droits naturels. Tout acte d'agression est condamnable, toute action est soumise à la responsabilité personnelle. La présence d'un État serait donc nécessaire à l'application de restrictions quant au comportement des femmes enceintes. J'espère que M. Grunert saisit bien jusqu'où l'interprétation de ses dires peut mener.

Francis St-Pierre

 

Réponse de Marc Grunert

Monsieur,

          Je vous répondrai que le crime se reconnaît par un critère: la constatation a posteriori d'une atteinte volontaire aux Droits d'une autre personne ou être humain. Cependant si l'évidence, en fonction de nos connaissances, permet de reconnaître qu'il y aura nécessairement meurtre ou crime selon la manière dont une personne se comporte, chacun a le droit et même le devoir de l'empêcher de se comporter ainsi. Ce qui n'implique absolument pas que ce soit à l'État de le faire. L'État est illégitime par nature et n'est pas la solution nécessaire.

M. G.
 
 
 

          Je suis personnellement pour le droit à l'avortement, mais pas pour le droit à l'avortement subventionné par l'État. Je n'ai aussi aucun problème à entendre l'opinion de ceux qui sont contre l'avortement et je trouve que l'article de M. Grunert a sa place dans le QL. Sauf pour un paragraphe, qui est à mes yeux inacceptable. Il s'agit de la note à la toute fin de l'article où M. Grunert affirme que même dans le cas d'un viol, une femme devra poursuivre sa grossesse (c'est-à-dire hypothéquer son corps pendant neuf mois à cause d'un criminel).

          Mener une grossesse à terme n'est pas une mince affaire. Si l'avortement peut engendrer, comme le note M. Grunert, des « traumatismes graves chez la mère, un sentiment de tristesse confuse chez les proches et un scandale moral pour d'autres », que dire d'une femme qui doit consacrer neuf mois de sa vie à parachever l'oeuvre du viol dont elle a été victime! Et je n'ose pas penser aux conséquences pour une jeune fille de 12 ans.

          Laissons de côté le cas spécial du viol, et supposons que l'avortement est réellement un crime. Cela veut dire qu'une femme qui consomme de l'alcool ou fume durant sa grossesse commet aussi un crime, car elle s'attaque à la santé de son embryon. Après tout, si on peut être accusée d'avoir assassiné un foetus, on peut également être accusée de l'avoir blessé. De même, une femme qui fait une fausse couche suite à un exercice physique non recommandé durant une grossesse (comme le saut en bungee, par exemple) pourrait être poursuivie pour « négligence criminelle ayant causé la mort ».

          Il en découlerait que chaque femme enceinte devrait être rigoureusement surveillée afin qu'elle ne puisse commettre aucun « crime » contre son foetus. Un organisme de protection des embryons pourrait se charger de ce travail: prises de sang, examens médicaux à répétition, etc., le tout évidemment obligatoire. Afin de jouer efficacement son rôle, l'organisme devra posséder une liste précise de toutes les femmes enceintes. Le seul moyen de maintenir cette liste serait de faire passer des tests de grossesse obligatoires à toutes les femmes en état de procréer (au moins 4 à 8 fois par années, pour être certain qu'aucune ne s'en échappe!). De plus, pour s'assurer qu'aucune femme enceinte ne s'adonne à une activité potentiellement nocive pour son foetus, l'organisme de protection des embryons aurait le droit de mener des perquisitions sans préavis au domicile de chaque femme enceinte. J'imagine déjà le rapport d'un agent: « Le 14 août 2005, à 21h45, nous avons procédé à une visite surprise à la résidence de Madame Grenier, enceinte de 32 semaines. Nous l'avons surprise en train de consommer du sushi, aliment qui peut être nocif pour un foetus. Nous avons immédiatement procédé à son arrestation. Elle sera hébergée dans un centre médical jusqu'à la naissance de son enfant. De plus, le propriétaire de l'épicerie qui lui a vendu le sushi (en sachant très bien que Mme Grenier était enceinte et qu'elle allait consommer ce produit), a été arrêté pour complicité dans le but de s'attaquer à un embryon. »

          Si vous vous demandez ce que feront les fonctionnaires dans une société libertarienne, telle que rêvée par M. Grunert, vous en avez une bonne idée ici! Si un État libertarien (via une agence gouvernementale, des organismes ou des compagnies privées) a l'obligation d'assurer la survie de chaque embryon, il est logique que cet État devra aussi assurer la survie de chaque humain adulte. Ce qui revient à dire que toute personne a le droit à des soins médicaux gratuits, à de la nourriture et à tout ce qui est nécessaire à sa survie – indépendamment du fait qu'il ait souscrit à une assurance ou qu'il ait payé ou non ses taxes. On revient alors à la case départ: un État socialiste qui prend en charge la vie de chaque citoyen.

Martin Baril-Deschamps

 

Réponse de Marc Grunert

Monsieur,

          Votre réaction est pleine de confusions. Il n'y a pas d'État libertarien. C'est un oxymore. Par ailleurs, l'intrusion dans la propriété privée d'un individu ne peut se justifier que si la certitude a été établie qu'il existe bien une intention de crime (mise en état de guerre avec un autre individu, chacun ayant le droit de défendre la personne menacée). Il n'est donc pas question de surveillance mais de « confiance » a priori.

M. G.
 
 
 

          L'avortement est-il un crime? Il y a deux possibilités sur lesquelles on peut se baser pour répondre. Premièrement, le bébé fait partie du corps de la mère; les deux ne font qu'un. Dans ce cas, la mère peut se débarrasser de n'importe quelle partie de son corps, y compris le foetus. Dans un second cas, le bébé est une entité séparée et un être humain à part entière, avec les mêmes droits naturels que n'importe qui. Dans ce cas, il peut faire tout ce qui est dans son pouvoir pour vivre, rechercher le bonheur, trouver l'âme soeur... Le droit de vivre ne signifie pas qu'on peut vivre aux dépends des autres, cela signifie uniquement que les autres ne doivent pas interférer.

          À l'image d'un parasite, le foetus vit et grandit aux dépends de la mère. C'est donc à elle de décider si elle continue ou non de le nourrir, si elle continue ou non de le loger. Tout comme ne pas aider un mendiant dans la rue ou ne pas donner d'argent à Vision Mondiale, on peut trouver que l'avortement est cruel. Pourtant, une chose est sûre: l'avortement n'est pas un crime et il ne doit pas être illégal!

Christian Fortin
Sherbrooke

 

Réponse de Marc Grunert

Monsieur,

          Vous dites: « À l'image d'un parasite, le foetus vit et grandit aux dépens de la mère. C'est donc à elle de décider si elle continue ou non de le nourrir, si elle continue ou non de le loger. » Non mais là ça ne va plus du tout. Cette idée de « parasite » est d'une stupidité insondable (sans méchanceté dans mes propos). Si la conséquence volontaire et/ou prévisible d'un acte dont on est responsable est la création d'un être humain, que l'on met volontairement en situation de dépendre de nous, alors ce n'est pas un « parasite ». Réfléchissez avant de dire des monstruosités!

          Ensuite, la mère est-elle propriétaire de l'être qui a été conçu suite à ses propres actes? Non. Si c'était le cas, pourquoi perdrait-elle, sans son consentement, ses droits de propriété à la naissance, ou à tout autre instant? En réalité, il n'est pas possible de raisonner en termes de droits de propriété exclusifs de la mère sans sombrer dans l'arbitraire c'est-à-dire sans fixer une limite à partir de laquelle la mère perdrait tout à coup ses droits de propriété. Il est donc clair que ce n'est pas un problème qui se résout simplement à partir de la notion de droits de propriété acquis. C'est un problème qui se résout, à mon avis, par ce qu'implique l'action humaine, par les normes de Droit qu'elle pose implicitement et qui s'étendent à tout être humain. Non pas pour des raisons théologiques mais pour des raisons de cohérence. Je me réjouis néanmoins que la cohérence rejoigne le sentiment humaniste, le sens moral élémentaire.

M. G.
 
 
 

          Marc Grunert maintient que l'avortement est un crime. Sa thèse repose sur la supposition qu'un embryon ou un foetus est un être humain et par conséquent que l'avortement, qui éteint la vie de cet « être », est un meurtre. Ayant établi que l'idée d'une « création continue » est absurde, il conclut qu'un être humain est ainsi dès le moment de la conception. Mais pourquoi a-t-il choisi ce moment? Il ne le dit pas. Il n'essaie même pas d'offrir une justification fondée sur les sciences physiques. Qu'est-ce qui lui reste, sinon le mysticisme?

          On aurait également pu dire qu'un ovule ou un spermatozoïde sont des êtres humains. Dans ce cas, l'usage des préservatifs, ou même la masturbation, sont-ils également des crimes? Certes, M. Grunert ne prend pas cette position. Cependant, il n'y a rien dans son argumentation pour s'y opposer.

          M. Grunert nous demande s'il y a une différence entre l'avortement et l'infanticide. En réalité, quand on parle de l'avortement, il s'agit dans la plupart des cas d'embryons qui sont loin d'être des nouveaux-nés, dans tous les sens. Quand même, la question est juste: si l'on soutient un droit à l'avortement et pas à l'infanticide, il faut repérer une étape de ce que M. Grunert appelle la « création », mais qui est plus précisément l'individualisation en tant qu'entité biologique. Bien que M. Grunert qualifie d'« impossible » cette tâche, on peut et doit le faire. Malgré ce qu'il dit, il faut avoir recours aux « faits de la science expérimentale ». Pour cela, le choix logique, voire conservateur, est lorsque la configuration des onde cérébrale du foetus ressemblent à celle d'un adulte humain, soit vers la 30e semaine de la grossesse (voir Carl Sagan et Ann Druyan, « The Question of Abortion: A Search for Answers »).

          En déclarant criminel tout avortement, M. Grunert ouvre la porte à l'élargissement du rôle de l'État dans la vie privée. En prônant l'idée qu'un embryon est un être humain, doté de droits, envers qui une femme enceinte a un devoir absolu, M. Grunert bat en brèche le principe qu'une personne possède son propre corps. La même idée n'est-elle pas à la base de la désastreuse « guerre contre la drogue » du gouvernement américain? Et si l'État peut violer le corps d'une personne pour empêcher ou punir un avortement, pourquoi ne pourrait-il pas le faire pour forcer les greffes d'organe? (voir Andrew Bernstein, The Philosophical Basis of A Woman's Right to Abortion, New Milford, CT: Second Renaissance Books, 1998, 15-16.)

          M. Grunert est évidemment mal à l'aise avec l'avortement. Cependant, on peut partager ce sentiment sans pour autant faire appel à l'État pour régler les comptes. Ça, c'est de la logique, pas du « lavage de cerveau féministe ».

Thomas Welch
Atlanta

 

Réponse de Marc Grunert

Monsieur,

          Vous dites: « il conclut qu'un être humain est ainsi dès le moment de la conception. Mais pourquoi a-t-il choisi ce moment? Il ne le dit pas. Il n'essaie même pas d'offrir une justification fondée sur les sciences physiques. Qu'est-ce qui lui reste, sinon le mysticisme? » Pourquoi ai-je choisi ce moment? Ce n'est pas moi qui l'ai choisi. C'est une nécessité objective. Avant d'être conçu, un être n'existe pas, après, il existe. C'est tout. Pourquoi l'être conçu est-il un être humain dès la conception? Tout cela repose sur la notion d'« être » et donc de nature humaine. L'idée que l'être conçu ne serait pas de nature humaine est non seulement anti-scientifique, elle est aussi en contradiction avec tout ce que chacun sait au moment de l'action qui risque de conduire à la création d'un être humain.

          Vous ajoutez: « On aurait également pu dire qu'un ovule ou un spermatozoïde sont des êtres humains. Dans ce cas, l'usage des préservatifs, ou même la masturbation, sont-ils également des crimes? Certes, M. Grunert ne prend pas cette position. Cependant, il n'y a rien dans son argumentation pour s'y opposer. » Bien sûr que si. Un spermatozoïde n'est pas un être humain. Pas de fécondation, pas de création. Je pense que sur ce point j'ai été assez clair. C'est la conception, la création d'un être, qui est le point de départ de la vie d'un être humain. Vous pouvez continuer à vous masturber, je ne vous accuserai pas de crime :-)

          Quant à l'histoire des « ondes cérébrales » cela ne fait que confirmer que les sciences expérimentales sont très en retard sur ce que l'on peut dire en se passant d'elles.

M. G.
 

 

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