Montréal, 15 novembre 2005 • No 160

 

ÉTHIQUE LIBERTARIENNE

 

André Dorais a étudié en philosophie et en finance et vit à Montréal.

 
 

HAUSSE DU PRIX DE L'ESSENCE: LES PÉTROLIÈRES NE SONT PAS RESPONSABLES

 

par André Dorais

 

          Les pétrolières sont rarement appréciées pour le service qu’elles rendent aux consommateurs. Au contraire, pour le public en général, elles sont plutôt vues comme des vilaines. Lorsqu’on considère que la majorité des économistes leur attribuent la hausse récente de l’inflation, que nombre de professeurs et de commentateurs les dénoncent parce qu'« elles s’en mettent plein les poches » et que les politiciens leur font constamment des procès d’intention, il ne faut pas s’en surprendre. Pour démontrer que les pétrolières ne sont pas responsables de la hausse du prix de l'essence des trois dernières années, on doit recourir à la théorie autrichienne (libérale) de la monnaie et analyser les conséquences des diverses interventions gouvernementales sur celle-ci.

 

          Dans un monde libéré des interventions monétaires et, par conséquent, où la quantité de monnaie augmente peu, puisqu’elle provient de minerai coûteux à extraire et à transformer, une hausse du taux d’intérêt ne peut être le résultat que d’une demande accrue de crédit (de monnaie empruntée). À l’inverse, une réduction de ladite demande entraîne une baisse du taux d’intérêt. Celui-ci, comme tout autre prix, varie selon l’offre et la demande. On parle de plusieurs taux d’intérêt dans la mesure où l'on réfère à une variété d’échéance.

          Malheureusement, les grands manitous des banques centrales, à l’instar des autres gestionnaires de l’État, interviennent constamment sur le taux d’intérêt sous le prétexte qu’ils savent mieux que les consommateurs quand il est temps d’épargner et quand il est temps d’emprunter. Ils ont tendance à maintenir bas le taux d’intérêt, car cela encourage les gens à emprunter, à consommer et à investir plus qu’ils ne le feraient sans cette intervention. Les argentiers de l’État agissent ainsi, car ils croient que la richesse a pour force motrice la consommation.

          En principe, ce manège ne saurait durer que le temps qu’on s’aperçoive que les ressources diminuent. Toutefois, en contrôlant la monnaie fiduciaire et en la créant à volonté, l’État entretient une illusion de richesse et encourage les gens à la surconsommation, c’est-à-dire une consommation qui n’aurait probablement jamais eu lieu sans cette fourberie. Malgré cela, on continue à blâmer le capitalisme plutôt que l'étatisme. Considérant que ces interventions portent le sceau de la science économique, on peut comprendre la confusion. Toutefois, il faut réaliser que celle-ci ne parle pas d’une seule voix.
 

Erreur de diagnostic, problèmes non répertoriés et accusations non fondées

          L’inflation est un problème monétaire causé par l’utilisation d’une monnaie fiduciaire imposée par les gouvernements. On prétend que la monnaie fiduciaire mise en circulation ne cause aucune difficulté tant que les « grands argentiers » réussissent à convaincre les consommateurs que les prix des biens et des services sont stables. Les consommateurs sont peut-être convaincus, mais ils n’en sont pas moins trompés.

          Trompés, car ils ne sont pas incités à consommer par l’entremise d’une publicité qui fait appel à leurs sens, mais par une monnaie mise en circulation à profusion et qui n’a aucune valeur, si ce n’est qu'une valeur attribuable à la confiance en l’autorité qui l’émet. Sa mise en circulation enrichit ceux qui la reçoivent en premier, au détriment des autres, car elle n'a pas de contrepartie désirée pour elle-même. Elle est également à la source des cycles économiques, qui causent récession et chômage (voir « Les privilèges du secteur financier et la monnaie de crédit », le QL, no 155, et « Réserves fractionnaires et cycles économiques », le QL, no 135).
 

« En contrôlant la monnaie fiduciaire et en la créant à volonté, l’État entretient une illusion de richesse et encourage les gens à la surconsommation, c’est-à-dire une consommation qui n’aurait probablement jamais eu lieu sans cette fourberie. »


          Puisque ce nouvel argent se retrouve d’abord dans les mains d’une poignée d’individus, ensuite dans les marchés boursiers, obligataires, dérivés et immobiliers, il n’est pas comptabilisé à titre d’inflation au sens utilisé par les médias et défini par les économistes des écoles de pensée populaires, soit une hausse des prix telle que déterminée par les indices erronés qu’ils ont concoctés. Ils concluent que la mise en circulation de monnaie fiduciaire ne cause pas de problème. Pour la même raison, lorsque les pétrolières haussent leurs prix, ils les accusent, à tort, d'être les principales responsables de l’inflation.
 

Sciences à revoir

          Endoctrinés à l’idée que la science économique doit passer par des mesures et l’interprétation de chiffres, les économistes des écoles de pensée populaires additionnent des biens qui ne peuvent l’être (voir « Donner un sens aux indices économiques », le QL, no 107).
 

          En praxéologie et en économie, aucun sens ne peut être attribué à la notion de mesure. Dans l’état hypothétique où rien ne bouge, il n’y a pas de changement à mesurer. Dans le monde actuel en constante transformation, il n’y a ni points fixes, ni dimensions, ni relations qui pourraient servir de norme. Le pouvoir d’achat de l’unité monétaire ne change jamais uniformément pour tous les biens qui s’achètent et se vendent. Les notions de stabilité et de stabilisation sont vides si elles ne réfèrent pas à un état fixe qui le demeure. – Ludwig von Mises, Human Action (1)

          Puisqu’on ne peut mesurer qu'à partir d'un point fixe et que l’action humaine ne l’est pas, les économistes, qui prétendent la mesurer, cautionnent donc les interventions monétaires qui cherchent, en vain, la stabilité des prix. S’il y a stabilité apparente des prix, c’est uniquement dû aux produits et services qu’on répertorie et à la façon dont on s’y prend pour aboutir à un pourcentage. D’une part, cela ne signifie pas qu’il y ait stabilité réelle des prix. D’autre part, quand bien même on atteindrait cet objectif, encore faudrait-il s’y prendre de manière légitime. Or enrichir des gens au détriment des autres, créer des cycles économiques, de l’endettement, de la surconsommation et de fausses accusations, ne font pas le compte.

          Ces accusations sont fausses, car la hausse du prix du pétrole ne contribue pas à l’inflation. Celle-ci est un phénomène monétaire. Et au-delà des catastrophes naturelles et de la disponibilité de la ressource, qu’on ne doit pas négliger comme facteurs affectant son prix, ce sont les interventions monétaires, réglementaires et militaires qui expliquent mieux la hausse récente du prix du pétrole.

          Lorsqu’une monnaie est mise en circulation sans restriction, elle donne lieu à tous les excès. Aveuglés par cette fausse richesse, plusieurs entrepreneurs se mettent à construire et à fabriquer des produits, exerçant ainsi une demande accrue de pétrole. L’expansion récente de la Chine illustre ce propos. Certes la croissance chinoise repose également sur la base solide qu’est la libéralisation de ses marchés, mais son inflation monétaire la propulse de façon insoutenable, avec les dangers que cela comporte. Ne pouvant prédire cette hausse soudaine de la demande, les pétrolières ont tendance à augmenter leurs prix, car on ne sort pas le pétrole de la terre comme on sort les billets de la banque centrale.

          Ainsi, non seulement la hausse du prix du pétrole ne contribue-t-elle pas à l’inflation, mais c’est le contraire qui est vrai. C’est-à-dire que l’augmentation de la quantité de monnaie fiduciaire conduit d’abord à une hausse des prix de certains biens, dont le pétrole, et des biens, tels que les maisons, qui ne sont pas comptabilisés par les indices erronés d’inflation. Elle affecte ensuite l’ensemble des biens et des services. En cherchant présumément la stabilité des prix, on finit par déstabiliser l'ordre du marché et la coopération sociale. Ceux-ci sont remplacés par le chaos bureaucratique, c’est-à-dire par la prétention de quelques hommes à planifier et à contrôler les actions de millions d’autres.
 

D’une intervention à l’autre

          Avant d’extraire le pétrole de la terre, on évalue si la demande est là pour rester, s’il y a lieu de produire davantage, de construire des raffineries, voire d’explorer des gisements. Il faut aussi obtenir des permis, qui entraînent souvent des études et des consultations gouvernementales interminables. Les dépenses liées à l’ensemble de ces activités sont importantes. Le pétrole qu’on extrait doit être transporté, transformé et raffiné, et il doit encore se conformer aux politiques environnementales qui varient d’une juridiction à l’autre, ce qui engendre des coûts supplémentaires. Encore ici, les gouvernements ont une responsabilité quant au coût engendré.

          À l’intervention réglementaire, aux taxes, qui constituent quelque 40% du prix à la pompe, on doit ajouter les impôts sur les sociétés, qui réduisent d’autant la capacité de produire et d’explorer; et les interventions militaires, notamment là où il y a production de pétrole comme en Irak, qui ne font rien pour réduire le prix du brut. L’ensemble de ces interventions maintient élevé le prix du pétrole tout en le haussant sporadiquement selon le type d’intervention. Si une intervention militaire a tendance à avoir un effet spontané sur les prix, l’inflation (monétaire) a tendance à se répercuter sur eux avec un décalage.

          Le comble de l’arrogance, c’est que suite à ces multiples interventions, les politiciens exigent que les présidents de ces entreprises leur expliquent pourquoi les prix sont élevés, dans une atmosphère de procès stalinien. Les journalistes ne sont pas en reste quand vient le temps d’exciter les passions. Lorsqu’ils ne le font pas en leurs propres noms, ils invitent des « spécialistes », en titre seulement, qui expriment leur colère en criant à l’injustice du profit « excessif » – comme s’ils étaient capables de préciser ce qu’était un profit adéquat. Il ne manque jamais de politiciens prêts à répondre à cette paranoïa à coups de lois et d’impôts. Ainsi, plutôt que de sortir du trou, on s’y engouffre.

          En somme, ce n’est pas parce que les pétrolières sont dénoncées par des professeurs, des politiciens, des journalistes ou les gens en général qu’elles sont nécessairement coupables. Les multiples interventions gouvernementales constituent la principale cause de la hausse du prix du pétrole des dernières années, comme elles sont la cause de nombreux autres maux.

 

1. Il s’agit d’une traduction libre de l’extrait suivant: « In the field of praxeology and economics no sense can be given to the notion of measurement. In the hypothetical state of rigid conditions there are no changes to be measured. In the actual world of change there are no fixed points, dimensions, or relations which could serve as a standard. The monetary unit’s purchasing power never changes evenly with regard to all things vendible and purchasable. The notions of stability and stabilization are empty if they do not refer to a state of rigidity and its preservation. »

 

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