Montréal, 9 avril 2006 • No 174

 

OPINION

 

Mathieu Laine est avocat spécialisé en droit des affaires et enseigne à Sciences-Po. Il est l'auteur de La Grande nurserie: en finir avec l'infantilisation des Français (J.-C. Lattès, 2006).

 
 

LE DÉSARROI DES ANTI-CPE,
FILS/FILLES DE LA DÉMAGOGIE

 

par Mathieu Laine

 

          Le contrat première embauche (CPE) oppose des jeunes qui ont tort de manifester, mais dont on peut comprendre les angoisses, et un gouvernement qui a raison de vouloir flexibiliser le droit du travail, mais qui a commis de graves erreurs stratégiques.

 

          Les premiers ne sont pas des révolutionnaires: ils ne veulent pas changer la société, mais la conserver. Désenchantés, ils perpétuent les illusions déçues de leurs parents, sans prendre conscience qu’ils en sont les premières victimes. Rivés aux jupes de l’État nounou, les enfants de la Grande Nurserie française sont tétanisés par le risque, la prise de responsabilité, le monde du travail (si ce n’est, pour certains, par le travail lui-même). Ils croient faire la révolution mais ne sont, par atavisme, que les chantres d’un conservatisme suicidaire.

          Nourris depuis leur plus tendre enfance au biberon du « modèle social français », ce sont les mêmes qui répondent, à 75%, vouloir devenir fonctionnaires et que l’on a vus, en pleine campagne référendaire, face à un Jacques Chirac médusé, avoir peur de l’Europe et du monde et réclamer l’équivalence d’un diplôme ou la création d’un salaire étudiant. Misère d’un État se substituant à la Providence, pris aujourd’hui au piège de ses propres promesses, qu’il savait pourtant intenables.

          Les fils et les filles de la démagogie interventionniste ont peur, mais comment leur en vouloir? Alors qu’on leur assène depuis toujours que « flexibilité = précarité », voici qu’on leur dit, à la toute fin d’un quinquennat inutile, qu’un contrat de travail « plus flexible » a été créé, dans l’urgence, « spécialement pour eux ». Dépourvus de repères, ils n’y voient pas l’opportunité de trouver un travail et de donner le maximum pour qu’on les garde au bout de deux ans, et s’enferment dans des mythes qu’ils ont appris par coeur: le travail est un droit et l’allocation un acquis. La minorité bruyante se roule par terre et, refusant le changement, prend ceux qui veulent étudier en otage et hurle contre l’État-maman, espérant qu’elle cèdera rapidement à ses mauvais caprices.

          La flexibilité est pourtant une chance à saisir, non un danger à éviter. La rigidité actuelle du droit du travail empêchant un employeur de se séparer facilement de son salarié quand il ne donne plus satisfaction ou quand l’activité de l’entreprise décline, l’embauche est devenue un risque considérable, et le patron préfère ne pas embaucher pour éviter ce risque. Il faut donc, pour faire reculer le chômage, faire disparaître les obstacles à l’emploi.
 

« Oui, la flexibilité est la voie à suivre. Oui, la France est réformable. Mais plutôt qu’adopter des demi-mesures pour tenter vainement d’éviter l’hostilité de la rue, quand comprendra-t-on qu’il faut engager, en une fois et avec pédagogie, une vaste entreprise de libéralisation du pays? »


          Et le seul moyen de passer rapidement à un taux de chômage autour de 5% consiste non pas à échafauder une politique de l’emploi, en créant arbitrairement des modèles rigides applicables à tous (35 heures) ou en inventant des contrats-types réservés à des catégories de salariés (jeunes, femmes ou vieux), mais à engager une vaste et audacieuse politique de la croissance, alliant trois éléments inséparables: une baisse rapide et significative de la pression fiscale; l’accroissement de la libre concurrence; l’assouplissement réel du droit du travail pour l’ensemble de la population.

          Il faut également du temps (environ quatre ans) pour voir apparaître les effets positifs de la réforme. Tous les pays qui ont fait ce pari ont, sans exception, réussi. Mais étrangement, aucun dirigeant français n’a proposé de leur emboîter le pas, préférant perpétuer l’excès d’État qui étouffe, depuis tant d’années, le travail et la prise de risque, et laisser fuir un million de jeunes vers des cieux plus cléments (où, étrangement, on ne manifeste jamais contre la « précarité du travail »).

          Avec le CPE, le gouvernement démontre – non sans courage – avoir compris qu’il vaut mieux un système dans lequel on peut certes plus facilement perdre son emploi mais où l’on peut, tout aussi facilement, en retrouver un autre. Mais en réservant cette souplesse aux moins de 26 ans, il a stigmatisé les angoisses pour, au final, non pas créer de nombreux emplois mais les déplacer: on va préférer embaucher un jeune plutôt qu’un moins jeune (ce dernier devenant victime du CPE). Alors qu’il n’avait plus le temps de récolter les fruits de son action, le gouvernement a donc commis une double erreur, économique et tactique.

          Si, par respect pour la démocratie, on peut être tenté de maintenir le CPE, il ne faut pas en attendre grand-chose. Il faut en revanche tirer les bonnes leçons de ce blocage. Oui, la flexibilité est la voie à suivre. Oui, la France est réformable. Mais plutôt qu’adopter des demi-mesures pour tenter vainement d’éviter l’hostilité de la rue, quand comprendra-t-on qu’il faut engager, en une fois et avec pédagogie, une vaste entreprise de libéralisation du pays? Si on explique clairement ses avantages, une majorité de Français soutiendra cette « révolution positive », qui donne, à coup sûr, d’excellents résultats et permet ainsi d’affronter sereinement les barricades du statu quo. 2007 approche… Ne manquons pas cette fenêtre de tir.

 

* Cet article a été publié dans Le Figaro du 1er avril 2006.

 

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