Montréal, 17 décembre 2006 • No 206

 

OPINION

 

Christian Saucier détient un MBA de l'Université de la Géorgie et est conseiller en affaires auprès d'entreprises multinationales.

 
 

POUR UN QUÉBEC INNOVANT
ET PROSPÈRE... SANS SUBVENTION

 

par Christian Saucier

 

          L'innovation joue un rôle central dans le processus de création de la richesse. Elle permet à de nouveaux entrepreneurs de surprendre ceux qui sont déjà bien installés dans un marché; elle permet d'augmenter la productivité des travailleurs et des capitaux, et par cela même, elle génère de la prospérité pour tous. L'innovation permet d'entrevoir le jour où l’on aura résolu des problèmes qui semblent aujourd'hui insurmontables: maladies, pollution, famines, etc.

 

          Les entrepreneurs québécois d'aujourd'hui se doivent d'être de plus en plus engagés à innover dans leurs domaines respectifs afin de pouvoir faire face à la concurrence mondiale qui émerge dans pratiquement toutes les sphères d'activité. Le niveau de vie et la prospérité des Québécois est indéniablement liée à la capacité des entrepreneurs, des ingénieurs, et des chercheurs d'ici à développer de nouvelles technologies et de nouveaux procédés.

          Comment pourrait-on alors s'opposer de bonne foi à la Stratégie québécoise en matière de recherche et d'innovation intitulée « Un Québec innovant et prospère » qui prévoit l'injection de près d'un milliard de dollars (888$M) au cours des trois prochaines années? Annoncée récemment par le ministre du Développement économique, de l'Innovation et de l'Exportation du Québec, M. Raymond Bachand, cette stratégie servira à financer diverses initiatives destinées à soutenir et encourager l'innovation au Québec. De nombreux entrepreneurs, universitaires, organismes de support, sociétés de recherches, etc., se sont réjouis à l'annonce de cette initiative.

          Mais on trouvera toujours quelqu'un pour s'opposer à quelque bonne nouvelle que l'on puisse entendre. Et dans ce cas-ci, c'est moi qui trouve le moyen de venir noircir ce qui devrait autrement être une cause pour célébrer. Après tout, « c'est l'avenir du Québec qui est en jeu », de rappeler M. Bachand, récemment interviewé par le journal Les Affaires (9 décembre, pp. 8 et 9). Sur ce point, je suis en accord avec le ministre. Mais là s’arrête notre connivence.

          Parlons donc de l'avenir du Québec et de l'impact prévisible qu'aura la dite stratégie sur la capacité des entrepreneurs d'ici à innover.

          Un des principaux problèmes avec de tels « investissements » gouvernementaux est qu'ils créent une dépendance envers le gouvernement. Comment nos entreprises peuvent-elles devenir compétitives, innovatrices, et autonomes si on conditionne leurs dirigeants à se tourner vers le gouvernement pour qu'il subventionne la recherche et le développement de nouveaux produits? Avec cette stratégie, le gouvernement encourage nos entrepreneurs à développer des contacts, des aptitudes, et à se spécialiser dans le domaine de l'obtention de subventions plutôt que de développer des sources de financement durables et d'apprendre à interpréter les signaux du marché pour déterminer la part de capitaux qu'ils devraient, eux, consacrer à la recherche. Ces signaux qu'envoient les différents marchés sont là pour quelque chose!
 

« Comment nos entreprises peuvent-elles devenir compétitives, innovatrices, et autonomes si on conditionne leurs dirigeants à se tourner vers le gouvernement pour qu'il subventionne la recherche et le développement de nouveaux produits? »


          De quelle façon les auteurs de la « stratégie » du gouvernement en sont-ils arrivés au chiffre magique de 888$M? Pourquoi pas un peu plus? Ou même, un peu moins? Le gouvernement a beaucoup d'autres priorités: travaux publics, santé, éducation, etc. Lesquelles de ces priorités devrait justement avoir priorité?

          Le libre marché est la seule institution efficace que l'on connaisse qui puisse nous aider à répondre à ces questions. Malheureusement, les « stratégies » et autres édits gouvernementaux oeuvrent en faisant fi des marchés. En déterminant un montant arbitraire, distribué à des organismes et individus bien connectés, le gouvernement dicte en grande partie non seulement la mesure, mais également la direction que prendra l'innovation au Québec au cours des prochaines années.

          Du point de vue de l'entrepreneur maintenant accroché aux subventions de l'État, le 888$M que l'on célèbre aujourd'hui, sera bien peu demain; il sera le sujet du phénomène d'accoutumance. L'entrepreneur-devenu-junkie appliquera alors ses nouvelles aptitudes en politique à essayer d'influencer les ministres et les fonctionnaires afin de pouvoir devenir le bénéficiaire d'une plus grande part du budget de l'État.

          Et de fait, on peut lire dans le journal Les Affaires que la présidente de l'Association francophone pour le savoir, Mme Mireille Mathieu, affirme qu'il « ne faudra pas s'arrêter là ». M. Bachand lui-même fait valoir « qu'une bonne partie des sommes dépensées par Québec auront un effet de levier et permettront d'aller chercher des fonds fédéraux ».

          En fin de compte, on se retrouve dans une situation où nos entreprises deviennent dépendantes des faveurs et des humeurs de l'État. L'autonomie de ces entreprises s'atrophie au fil des années jusqu'à ce qu'elles ne puissent plus opérer sans l'injection régulière d'une savante dose de subventions et de protectionnisme. Voilà une bien drôle de façon de faire face aux défis qui nous attendent.

          Si M. Bachand croit vraiment que l'avenir du Québec est en jeu, ses énergies seraient mieux investies s'il tentait plutôt de convaincre ses semblables de réduire le fardeau fiscal, la réglementation, ainsi que toutes autres formes d'ingérence que le gouvernement impose à nos entrepreneurs et investisseurs québécois.

          Nous sommes tous conscients du niveau d'inefficacité qui prévaut dans les bureaux du gouvernement du Québec. Il serait quelque peu naïf de croire que cette même organisation puisse être à la source d'une vision ou d'une stratégie qui transformera de façon positive les perspectives des entrepreneurs québécois dans ce domaine. Une stratégie gouvernementale en matière d'innovation, c'est un peu un oxymoron.
 

 

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