Montréal, 11 février 2007 • No 212

 

COMMENT ÊTRE FRANÇAIS?

 

Patrick Bonney est polémiste et éditeur en Belgique.

 
 

CHIRAC, ROYAL, SARKOZY:
DE L'ANTI AU FAUX LIBÉRALISME

 

par Patrick Bonney

 

          À quelques encablures des élections présidentielles françaises, et au moment où se détachent, comme dans les courses de chevaux truquées, les deux principaux favoris, il ne me semble pas inutile de mettre en perspective pour mes amis du QL les actes et les prises de position des uns ou des autres au regard des idées libérales qui nous sont chères.

 

Le plus antilibéral de nos gouvernants

          Un mot tout d’abord sur le « sortant » (encore que rien ne soit définitif à l’heure où j’écris ces lignes!) en l’occurrence Jacques Chirac. Assimilé par ses contempteurs aux « rois fainéants » (rois de France de l’époque mérovingienne qui n’ont pas laissé grand trace dans l’histoire), Jacques Chirac aura appartenu au paysage politique français pendant quarante ans et aura, de près ou de loin, gouverné le pays pendant trois décennies.

          Du jeune secrétaire d’État, chargé par Georges Pompidou, premier ministre de l’époque, de négocier en mai 68 les accords de Grenelle avec la CGT (syndicat de stricte obédience communiste) au président pourfendeur de l’ultralibéralisme de 2007, Jacques Chirac aura été sans conteste le plus antilibéral de nos gouvernants.

          Ses prises de bec légendaires avec Margaret Thatcher qu’il traitait à l’occasion de « ménagère » et à laquelle, il proposa même un jour, lors de négociations agricoles particulièrement ardues, d’offrir ses testicules en gage d’allégeance (Chirac usa en vérité du mot « couilles », attributs dont il s’avéra que la « Dame de fer » n’était pas elle-même dépourvue!), illustreront le propos mieux qu’un long discours.

          Pour Chirac, l’Europe n’aura jamais été qu’une pompe à finances destinée à masquer l’incurie de la politique française en matière agricole. Les chiffres à cet égard sont cruels et cette attitude suicidaire nuit encore aujourd’hui au développement harmonieux du vieux continent. Tony Blair a d’ailleurs repris le flambeau et nos amis anglais, par tabloïds interposés, adorent détester ce « Jack » dont ils affublent le prénom anglicisé d’adjectifs des moins flatteurs.

          À titre personnel, Jacques Chirac aura vécu toute sa vie aux frais de l’État. On ne lui connaît aucun emploi dans le secteur privé, aucune activité lucrative qui ne soit pas lié à la sphère étatique. Et si l’on en juge à son patrimoine officiel, dont la publication en tant que président de la république est obligatoire, le moins que l’on puisse dire est qu’il ne s’est pas mal débrouillé.

          Sous ses différents règnes et sans qu’il ait été besoin pour les socialistes d’en rajouter tant que cela, les prélèvements obligatoires ont doublé. La France possède aujourd’hui le plus grand nombre de fonctionnaires par habitant des pays développés (plus peut-être que Cuba ou la Corée du nord). Et si Louis XIV a pu dire avec une certaine grandeur et une immodestie certaine « L’État, c’est moi », Jacques Chirac peut aujourd’hui en dire autant de l’étatisme. Et cet « isme » est tout ce qui sépare la grandeur de la bassesse, la force de la faiblesse, le courage de la lâcheté.

          Jacques Chirac aime d’autant moins le libéralisme qu’il ne pourrait imaginer se passer à titre personnel des largesses de l’État. Depuis son avènement à la présidence, les dépenses de l’Élysée (le palais présidentiel) ont été multipliées par vingt. Ce qui n’est pas un mince exploit compte tenu de la nature particulièrement prodigue de son prédécesseur, François Mitterrand, apôtre lui aussi du « Tout État m’est dû ». Pour ces gens-là, le libéralisme est un épouvantail puisque réduire le train de vie de l’État, c’est avant tout réduire leur propre train de vie.

          Rares sont les pays dignes de ce nom où l’on tolérerait pareils manquements à la simple morale publique. D’autant que s’agissant de Jacques Chirac, on est souvent à la limite – quand on ne la dépasse pas! – de la corruption, du détournement de fonds, de la concussion et de mille autres gracieusetés. Certains juges qui rêvaient de le mettre en prison se sont cassés les dents. En France, la justice est souvent injuste et la morale de l’histoire rarement morale.
 

Madame socialiste

          Passons à Ségolène Royal, prétendante socialiste à la fonction suprême, que les Québécois ont eu l’avantage de voir à la manoeuvre dans une récente pantalonnade les concernant. Il faut savoir à son propos qu’outre son immense inculture et sa méconnaissance des dossiers internationaux, le libéralisme est pour elle une insulte, un gros mot, une maladie, un chancre, une horreur, que dis-je un blasphème! Le mot « tabarnac » à côté passerait pour une sucrerie.
 

« La France possède aujourd’hui le plus grand nombre de fonctionnaires par habitant des pays développés (plus peut-être que Cuba ou la Corée du nord). Et si Louis XIV a pu dire avec une certaine grandeur et une immodestie certaine "L’État, c’est moi", Jacques Chirac peut aujourd’hui en dire autant de l’étatisme. »


          Tout comme Jacques Chirac, Ségolène Royal a vécu toute sa vie aux frais de l’État. Tout comme Jacques Chirac, on ne lui connaît aucun emploi salarié dans le secteur privé. Et tout comme Jacques Chirac, elle s’est constituée ainsi un joli petit patrimoine. Sa haine du libéralisme se prolonge et se double d’un goût exacerbé pour l’ordre moral dont les ressorts sont à rechercher du côté d’une enfance bercée par le catholicisme orthodoxe et d’un père militaire de carrière. La fréquentation assidue de François Mitterrand à un stade post-pubère prolongé fera le reste. C’est-à-dire le pire!

          Pour être née à Dakar au Sénégal, Madame Royal n’en donne pas moins l’impression d’avoir un horizon strictement hexagonal. Élue de la région du Poitou-Charentes, son haut fait d’armes reste à ce jour la défense du fromage de chèvres dont on disait jadis qu’il était responsable d’une maladie nerveuse irréversible: la danse de Saint-Guy. Voilà peut-être une explication!

          Sinon, Madame Royal aime à se faire photographier avec un agneau dans les bras, symbole de la pureté immaculée dont elle se targue à tout bout de champ et qui finit par fatiguer le plus patient des éditorialistes. Ce que je ne suis d’ailleurs pas.

          On peut penser que si l’on applique le programme de Madame Royal à la lettre, la France se trouvera dans un délai de cinq à sept ans dans la situation de l’Argentine. Et comme les Français sont assez peu doués pour les langues étrangères, il n’est pas certain qu’ils acceptent de parler l’espagnol.

Sous le masque, Sarkozy

          Le cas de Nicolas Sarkozy relève quant à lui de la pure schizophrénie. Les familiers de Mishima apprécieront la comparaison avec le fameux Confession d’un masque. Même si pour Sarkozy, taxé d’homophobie par des militants homosexuels, l’allusion est perfide. Pourtant, comme d’aucuns portent une perruque, un faux nez ou une fausse barbe, Sarkozy, lui, porte un masque. Le masque du libéralisme! Masque sous lequel il suffoque et qu’il arrachera à la première occasion venue.

          Adoubé par son mentor, l’ancien premier ministre Édouard Balladur surnommé le « mou du Bosphore » à cause de son phrasé monocorde et de ses origines ottomanes, Nicolas Sarkozy parie sur la lassitude d’une certaine partie de la population qui, le pense-t-il, est désormais prête à entendre un certain langage de vérité. Langage de vérité auquel les thèses libérales apportent évidemment du grain à moudre. Mais comme en politique il faut ratisser large, Sarkozy est obligé de faire le grand écart entre son penchant soi-disant libéral et son inclination assurément liberticide. Il prend si l’on ose dire des libertés avec la liberté.

          Sarkozy joue donc le libéral comme Molière jouait l’avare. Comme au théâtre, le personnage est de composition et le masque défait révélera la vraie nature du personnage: un étatiste de la pire espèce. Il n’est qu’à voir d’ailleurs avec quelle impudence il utilise les moyens dudit État pour mener sa campagne électorale. Et il n’est pas une de ses décisions passées qui ne suintent cette attirance morbide pour l’économie et la société dirigées.

          Ministre de l’Économie, il a tout lâché au syndicat CGT (communiste) de l’EDF (société nationale produisant et commercialisant en situation de quasi monopole l’électricité); ministre de l’Intérieur, il a multiplié les effectifs policiers sans que les résultats obtenus soient particulièrement probants; et pour finir, il a pris nettement position en faveur des étudiants de gauche qui, au mépris de la représentativité démocratique, ont occupé les facultés au printemps dernier, empêchant ceux qui voulaient le faire d’étudier et de travailler.

          Sarkozy ne veut qu’une seule chose: le pouvoir. Et à l’instar de Chirac, ce qu’il pourra bien en faire est de relative importance. Il joue sur la peur et chasse sur les terres haineuses labourées par Le Pen. Il n’y a rien à attendre de lui en matière de liberté individuelle et civique. Sarkozy est le chef de cette police dont Benjamin Constant disait déjà que le coupable en était le prétexte et l’innocent le but.
 

Bien pessimiste catalogue

          En guise de conclusion à ce catalogue bien pessimiste, que dire sinon qu’un pays a les dirigeants qu’il mérite. Les Français ont-ils jamais aimé la liberté? Ils honorent des Robespierre, des Napoléon, des Thiers, des Clémenceau mais ignorent Bastiat, Constant ou Tocqueville. Le même Benjamin Constant qui écrivait dans son délicieux cahier rouge: « Dans cet heureux temps, il n’y avait pas toutes les difficultés dont chaque démarche a été hérissée depuis que les Français, en essayant d’être libres, ont établi l’esclavage chez eux et chez les autres. »

          On le voit, l’histoire ne fait que repasser les plats et il n’y a – répétons-le – rien à attendre pour les idées qui nous sont chères des consultations françaises à venir. Comment d’ailleurs ces prophètes endimanchés dont les costumes sentent par trop la naphtaline pourraient-ils aimer la liberté? Quel homme ou quelle femme, aimant la liberté et possédant un tant soit peu de bon sens, irait, de son plein gré, se cloîtrer pendant cinq ans dans un palais qui doit sentir le renfermé? Pour ma part, je n’en connais pas.

          Laissons le mot de la fin à Tocqueville qui, revendiquant « son goût bien intempestif pour la liberté », ajoutait que « personne ne s’en souciait plus guère en France ». Et on dit que les temps changent...
 

 

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