Montréal, 6 mai 2007 • No 224

 

COMMENT ÊTRE FRANÇAIS?

 

Patrick Bonney est polémiste et éditeur en Belgique.

 
 

IL N'Y A PLUS D'APRÈS...

 

par Patrick Bonney

 

          Voici ma réponse à quelques jeunes et sympathiques lecteurs qui, tout en me complimentant sur mon style, regrettaient qu’il soutînt des propos aussi amers et désenchantés. Potion indigeste, j’en conviens, pour ceux qui croient encore en un monde meilleur et à l’avènement d’une société de liberté. Ils n’en sont que plus méritants.

 

          Il me faut donc les remercier – me voilà comme Socrate en position de corrompre la jeunesse – pour aussitôt réfréner leur enthousiasme. Si mes mots sont déprimants, c’est que je suis déprimé. Et s’ils sont défaitistes, c’est que je suis défait. Malgré les apparences et un physique avantageux (qui le dira sinon moi!), je viens de fêter mes cinquante ans. Âge où l’on est revenu de tout même si l’on est allé nulle part.

          Et ce n’est pas parce que l’on sait écrire que l’on a quelque chose à dire. Je suis bien placé pour le savoir. En outre, pour mentir aux autres, il faut commencer par se mentir à soi-même. Et ce courage-là me manque aussi. Qui sait cependant si avec des mots choisis, je ne serais pas capable de susciter l’enthousiasme et d’initier un mouvement qui bousculerait la léthargie dominante? Jouer au prophète comme on joue au père, au mari ou à l’amant! Mais là comme ailleurs, j’ai peur que la qualité de mes interprétations ne laisse à désirer.

          Bien sûr que, tel un politique roué, je pourrais sans doute abuser de la faiblesse et de la confiance de tous ceux qui ne demandent qu’à croire. Croire que l’amour existe; que l’amitié existe; que la liberté existe... Croire en Dieu aussi pendant qu’on y est! Mais si je veux bien être cloué au pilori, cela m’ennuierait de finir sur une croix...

          Jeune, il m’est arrivé bien souvent de pester quand, au sortir d’une réunion ou d’un repas de famille, je m’étais révélé incapable de convaincre mes commensaux du bien-fondé et de l’intelligence de mes propos. Car il fut un temps où je croyais vraiment à ce que je disais. Aussi ne comprenais-je pas que d’autres pussent ainsi être englués dans des schémas mentaux qui, pareils à de monstrueux labyrinthes, n’offraient aucune porte de sortie à ceux qui s’y laissaient enfermer.

          Mon opinion n’a guère varié depuis, à ceci près, qu’il me semble que ce que je prenais pour du mépris à l’encontre d’interlocuteurs dont je stigmatisais le manque d’imagination était plutôt une forme de respect.

          Car en réalité, je ne les méprisais pas assez. Et l’eussé-je fait que ma vie en eût été chamboulée. J’aurais pu devenir un de ces manipulateurs patentés qui, ne pensant goutte de ce qu’ils disent et n’en ayant cure, n’éprouvent pas plus de remords que de difficultés à gruger ceux qui ne demandent qu’à l’être. C’est le fameux « Je vous ai compris » que l’on peut conjuguer à tous les temps et touiller à toutes les sauces.

          On dit aussi démagogie qui rime avec... Sarkozy. Rime pauvre et transition hasardeuse me direz-vous! Pas tant que cela si l’on en croit le portrait que lui consacre Michel Onfray dans Le Nouvel Observateur. Portrait que je conseille à tout un chacun de lire et de relire. Onfray n’a pas suivi pour rien les cours de Lucien Jerphagnon qui, avec Paul Veynes, reste le plus distingué de nos professeurs si tant est que ce mot ait encore un sens.

          Ce même Onfray qui conclut son article par une phrase que j’aimerais pouvoir reprendre à mon compte tant elle me paraît donner un sens aux mots dignité et liberté: « Je n’échangerai pas une seconde de sa vie contre une seconde de la mienne ». Quelle belle formule et quelle certitude! Je donnerais cher pour pouvoir en dire autant. Car si l’on a une petite chance de s’élever dans la vie, c’est bien par le savoir et non par le pouvoir. Et tant pis si Onfray est libertaire, mais pas libéral!

          Le respect des autres ne peut être sans le respect de soi. Et j’aurais vraiment le sentiment d’en manquer si je me mettais à haranguer la foule comme une poissonnière qui sait pertinemment que son produit est avarié. Mon panache ayant beau commencer à blanchir, ce n’est pas une raison suffisante pour appeler à le rallier. D’autant que Henry IV a déjà son spécialiste en la personne de François Bayrou à qui je laisse volontiers tous les Ravaillacs qui fourbissent déjà leurs armes en coulisse.

          À l’image de mon caractère, ma plume restera donc sombre et ombrageuse. Elle gardera cette amertume chère aux malades du foie. La vigilance et la critique sont à ce prix. D’ailleurs, je ne sais faire que cela: critiquer! Ma mère me le répétait sans arrêt. Et si d’aucuns prétendent qu’elle est aisée quand l’art serait difficile, je les invite derechef à prendre la plume. Nous en manquons.
 

« Sarkozy, les Français le connaissent! Cinq ans qu’ils en bouffent matin et soir à la télévision! Cinq ans qu’ils le voient s’agiter et courir dans tous les sens comme un poulet (sans jeu de mot) auquel on aurait coupé la tête. L’insécurité a-t-elle baissé en cinq ans? Vit-on mieux dans les banlieues? »


          Je n’irai donc pas tremper mes lèvres dans la soupe honteuse que l’on va nous servir pendant cinq ans. Canossa, non merci! Solitude et isolement seront ma pénitence.

          Car je dois dire mon effarement, sinon mon écoeurement, à la vue de ceux qui se rangent derrière Sarkozy comme des petits soldats au cerveau de plomb. C’était donc ça qu’ils voulaient les Baverez, les Gallo, les Giesbert... Un Sarkozy! Toutes ces circonlocutions, ces anathèmes, ces palinodies pour en arriver là. Merde alors!

          Mais que peuvent-ils bien attendre de ce sabreur hongrois à la pointe émoussée?

          Ma première chronique pour le QL avait donné le résultat du premier tour des élections présidentielles près de six mois à l’avance. Je vous donne aujourd’hui celui du second. Mon mérite n’est pas bien grand. Quand la course est truquée et que la plupart des chevaux sont des tocards, le pronostic tient plus des mathématiques que de quelque divination.

          J’avais déjà choqué certains lecteurs – jusqu’en Suisse! – qui avaient trouvé injuste ma charge contre Nicolas Sarkozy. J’avais évoqué à son propos Mishima et La confession d’un masque. Eh bien le masque est tombé. Avec Sarkozy, l’avenir est à l’uniforme! Et qu’il soit bleu ne m’empêchera pas de voir le monde en brun.

          Le hasard a voulu que je me trouve au Pavillon d’or, titre d’un autre roman de Mishima et perle de Kyoto, quand les résultats du premier tour sont tombés. Eh bien à l’instar du reflet de ce célèbre édifice sur le plan d’eau qui le borde, le vote Sarkozy n’est qu’une illusion d’optique. Sa sociologie n’est pas celle d’un vote libéral, mais celle d’un vote sécuritaire. Pour preuve ce sondage sorti des urnes à l’analyse duquel il ressort que 83% des électeurs de Sarkozy réclament une société avec plus d’ordre et de sécurité contre 16% qui souhaitent vivre dans une société avec plus de libertés individuelles. La violence des chiffres parle d’elle-même.

          Sarkozy s’est, en vilain coucou, approprié le nid de Le Pen. Car, c’est bien le vote de la peur, si souvent dénoncé dans ces colonnes, qui s’est imposé: le vote vieux (44% des électeurs de plus de 65 ans ont voté Sarkozy), le vote Pétainiste, le vote chiasse.

          Sarkozy, les Français le connaissent! Cinq ans qu’ils en bouffent matin et soir à la télévision! Cinq ans qu’ils le voient s’agiter et courir dans tous les sens comme un poulet (sans jeu de mot) auquel on aurait coupé la tête. L’insécurité a-t-elle baissé en cinq ans? Vit-on mieux dans les banlieues? A-t-on vu l’once ou le prémisse d’un progrès ou d’un changement qui vaille? Sarkozy dit aux Français qu’il faut se lever de bonne heure parce qu’il ne peut même pas concevoir que d’autres préfèrent se coucher tard. On entre dans le règne du symbole schématique, de la caricature insidieuse et de la rhétorique populiste. Les images de Sarkozy frappent comme les matraques de ses policiers, elles font mal mais ne servent à rien.

          Sarkozy dit aux Français qu’il faut travailler plus pour gagner plus. Mais supprime-t-il les 35 heures? Met-il fin aux scandaleuses RTT? S’attaque-t-il à la dépense publique? Réduit-il le train de vie de l’État? De la retraite aux syndicats, de la pantomime du mois de mai aux enseignants, la litanie serait sans fin des privilèges et des privilégiés auxquels Sarkozy ne s’attaquera pas.

          Sarkozy est et restera un étatiste. Il n’existe d’ailleurs que par l’État et les oligopoles qui le soutiennent. Et si Margaret Thatcher fut une dame de fer, Sarkozy sera un tigre de papier.

          Digne héritier de Chirac, il promet n’importe quoi à n’importe qui. Après moi le déluge. Tel un enfant capricieux qui trépigne pour avoir un jouet avec lequel il ne jouera pas, Sarkozy voulait être président de la république. Il est l’illustration de ce mot terrible de Chateaubriand: « L’ambition dont on n’a pas le talent est un crime ».

          Mes enfants le comparent à Joe Pecci dans Les Affranchis de Martin Scorcese: irascible, teigneux, susceptible et à ce point imprévisible que la Mafia finira par le faire abattre comme un chien enragé.

          En attendant, c’est encore une fois le libéralisme qui trinque. Avec Sarkozy et ses sbires aux manettes, les fonctionnaires peuvent dormir sur leurs deux oreilles. Personne ne les réveillera pendant cinq ans et peut-être... dix. On ne change pas une équipe qui ne gagne pas.

          Je suis désolé pour mes jeunes épistoliers de n’avoir à leur proposer que mes sempiternelles récriminations qui resteront lettres mortes. Seule consolation, les cerisiers sont encore en fleurs et même s’il pleut sur Tokyo, il y fait toujours plus beau qu’à Paris...
 

 

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