Montréal, 17 juin 2007 • No 230

 

COMMENT ÊTRE FRANÇAIS?

 

Patrick Bonney est polémiste et éditeur en Belgique.

 
 

LES COCUS AU BALCON!
ODE AUX PREMIERS DÉÇUS DU SARKOZYSME

 

par Patrick Bonney

 

          Il n’y a pas un mois que Nicolas Sarkozy a été élu président de la République et déjà les premiers déçus du nouveau régime se font entendre. Il ne fallait pourtant pas être grand clerc pour deviner qu’il n’avait jamais été dans les intentions du nouveau président de mener une politique libérale.

 

          Et si d’aucuns ont pu me reprocher ma mauvaise foi flagrante, il faut qu’ils sachent – privilège de l’âge! – qu’elle s’appuie sur la litanie sans fin des promesses non tenues et des retournements de veste dont les gouvernants français ont toujours été coutumiers.

          De Pompidou, as du mécano étato-industriel, à Chirac, socialiste masqué, en passant par Giscard, plus libertin que libéral, les représentants de la droite française ont toujours été plus étatistes et dirigistes que libéraux. Même si parfois leurs programmes, leurs propos et leurs engagements laissaient entendre le contraire.

          En France, les mots ont le sens qu’on veut bien leur donner et les promesses, comme le rappelait cyniquement Charles Pasqua, n’engagent que ceux qui ont la faiblesse ou la bêtise de les prendre pour de l'argent comptant.

          Pourquoi devrait-il en être autrement? A fortiori quand on sait que celui qui priva le même Pasqua de la mairie de Neuilly et lui succéda au conseil général des Hauts de Seine est un certain... Nicolas Sarkozy. Bon sang ne saurait mentir!

          J’avais, dès avant l’élection, fait part de mon inquiétude quant à l’interventionnisme malsain du ministre de l’Économie qu’il fut durant quelques mois. La façon désinvolte avec laquelle il avait traité le dossier EDF, faisant ami-ami avec les représentants de la CGT, ne laissait rien augurer de positif pour qui se fait une certaine idée de l’économie. Être cul et chemise avec le syndicat le plus rétrograde de la planète n’était pas la meilleure garantie d’en finir avec les prébendes et les abus notoires qui ont fini par rendre ingouvernables nombre d’entreprises publiques.

          Et d’ailleurs, dès son accession au pouvoir, des signaux peu rassurants pour ses électeurs ont été adressés à ceux dont on aurait pu penser qu’ils étaient désormais les ennemis de classe du nouveau régime. D’autant que le premier ministre lui-même avait rappelé dans un élan d’enthousiasme, vite douché au demeurant, que le message des Français était clair à cet égard et que par conséquent, on leur ferait rendre gorge. Mais voilà, la diatribe est une chose et la réalité en est une autre.

          On se souvient qu’Alain Madelin, libéral proclamé et a priori sincère, avait été, en 1995, limogé de son poste éphémère de ministre des Finances pour avoir affirmé que le gouvernement auquel il appartenait n’avait pas été nommé pour faire plaisir aux fonctionnaires. Celui qui avait mis fin brutalement à ses fonctions, premier ministre de l’époque, se nommait... Alain Juppé.

          Le même que l'on a retrouvé à un poste clé du gouvernement Sarkozy – avant que les électeurs bordelais ne le renvoient à ses chères études – et qui, avec Michèle Alliot-Marie, Jean-Louis Borloo ou Xavier Bertrand, sont au libéralisme ce que Jean-Paul II était au préservatif. Et encore, le propos est-il sans doute injurieux pour un pape qui a su faire montre de courage face aux dictatures des pays de l’Europe de l’est, ce qui n’a jamais été le cas de nos représentants fantoches.

          François Hollande lui-même, socialiste archaïque s’il en est, et dont on sait aujourd’hui grâce à un livre à succès (c.f. La Femme Fatale) qu’il eût assez de lucidité pour tromper Ségolène Royal, n’avait pas hésité – en fin connaisseur! – à dire de Juppé, qu’il « incarnait physiquement l’impôt ». Moralement aussi, serait-on tenté d’ajouter!

          Comme si ces nominations ne suffisaient pas à afficher la couleur, on apprit dans la foulée que l’inénarrable Raymond Soubie, ancien conseiller de Raymond Barre (dont les propos antisémites ont récemment défrayé la chronique), avait rejoint l’écurie présidentielle. Salué par la presse traditionnelle pour son onctuosité de prélat et son savoir-faire doucereux, autrement dit pour son immobilisme consensuel, Soubie a, nous dit-on, le profil qui rassure les syndicats. Syndicats avec lesquels il entretient depuis fort longtemps des relations harmonieuses pour ne pas dire incestueuses.
 

« Hormis quelques grincheux et cocus, la France est euphorique. Quatre cent députés de droite vont mener une politique de gauche! Que peut-on souhaiter de mieux? Et si l’on parle d’ouverture, c’est sans doute à propos des caisses de l’État. »


          Archétype de ce que Pascal Salin, dans son excellent ouvrage Libéralisme (Odile Jacob) qualifie « d’entrepreneur nomenklaturiste » (« celui qui tire ses revenus des relations privilégiées qu’il entretient avec le pouvoir politique et le pouvoir administratif »), Soubie s’est constitué un joli patrimoine en revendant sa société de conseil à une multinationale du travail temporaire.

          Honni par ses concurrents de jadis qui ne voyaient en lui qu’un « serpent venimeux » à la fourberie aussi implacable que légendaire, il est au contraire encensé par les syndicats qui apprécient son sens de la diplomatie et de la retenue. Dis-moi à qui tu plais et je te dirai qui tu es!

          On lui doit d’avoir convaincu le nouveau président de renoncer à imposer le service minimum dans les transports. Les syndicats jubilent, qui n’en attendaient pas tant et qui savent dès lors qu’il suffit d’attendre, tapis dans l’ombre comme des bêtes sournoises, pour que sonne l’hallali. Car l’on sait en France, que pour eux, gagner du temps, c’est gagner tout court.

          Songez que Ruth Richardson, ministre des Finances de Nouvelle-Zélande, n’a pas mis six semaines en 1991 pour supprimer le code du travail et avec lui... les syndicats! Cela fait rêver quand on sait en outre que cette seule mesure a permis de diviser par deux le taux de chômage dans les cinq années qui ont suivi.

          Mais l’on vous dira que ce qui vaut pour un petit pays ne vaut pas pour la France. Et l’on vous dira d’ailleurs la même chose d’un grand pays comme les États-Unis ou d’un pays moyen comme l’Allemagne. En fait, la France est une exception économique qui ignore et surtout méprise les réussites et le courage des autres nations.

          La palinodie a pris une tournure définitive avec les enseignants qui, reçus par le nouveau président, ont eu la confirmation que les quelques malheureuses heures de travail supplémentaires qui leur avaient été imposées pour venir en aide aux élèves en difficulté, seraient soit supprimées soit payées en sus d’un salaire déjà confortable pour le peu d’heures de présence qu’il requiert. De même, il n’auront plus l’obligation d’enseigner une seconde matière, mesure qui avait pour but d’alléger l’effectif des classes et de renforcer les options proposées aux élèves.

          Cédant à un corporatisme égoïste, hypocrite et fallacieux, Sarkozy aura par ce seul geste ruiné le fondement même de sa campagne et l’ensemble des arguments qui la soutenaient.

          Et en lieu et place de s’attaquer à la dépense publique et à la gabegie qui en découle, on préfère envisager la création d’une TVA sociale qui, contrairement à l’Allemagne, ne sera pas affectée à la réduction drastique du coût du travail mais à l’achat de la paix sociale.

          On est donc en train de faire l’exacte contraire d’une politique libérale dont, seul, le choc salutaire aurait permis d’entrer dans un cycle vertueux et de réduire la dette, hydre multicéphale qui voit ses têtes se multiplier sans qu’on en coupe aucune.

          Mais hormis quelques grincheux et cocus, la France est euphorique. Quatre cent députés de droite vont mener une politique de gauche! Que peut-on souhaiter de mieux? Et si l’on parle d’ouverture, c’est sans doute à propos des caisses de l’État.

          Mais les vacances approchent, mieux, elles sont déjà là. Il n’y a donc pas lieu de s’affoler ou d’évoquer les sujets qui fâchent. On verra tout ça à la rentrée, à Pâques ou à la Trinité!

          Et tant pis pour ceux qui n’avaient pas voté pour cela. Ils n’avaient qu’à savoir qu’en France, le cocu n’est plus seulement le personnage principal des comédies de boulevard mais aussi celui des bureaux de vote. Le principal étant, malgré tout, de continuer d’en rire!
 

 

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