Montréal, 11 novembre 2007 • No 241

 

OPINION

 

 Serge Rouleau est éditeur du Magazine nagg.

 
 

ÉTHANOL: CE QU'ON VOIT
ET CE QU'ON NE VOIT PAS

 

par Serge Rouleau

 

          Dans son pamphlet « Ce qu'on voit et ce qu'on ne voit pas », Frédéric Bastiat (1801-1850) a écrit: « Dans la sphère économique, un acte, une habitude, une institution, une loi n'engendre pas seulement un effet, mais une série d'effets. De ces effets, le premier seul est immédiat; il se manifeste simultanément avec sa cause, on le voit. Les autres ne se déroulent que successivement, on ne les voit pas; heureux si on les prévoit. »

          Bastiat avait compris ce que la plupart des politiciens modernes ignorent ou choisissent d’ignorer.

 

Ce qu’on voit

          Le réchauffement de la planète est devenu le phénomène qui explique toutes les catastrophes naturelles. Les grands prêtres de l’écologie prédisent la fin du monde à plus ou moins brève échéance. Certains vont jusqu’à préconiser le retour à l’âge de pierre, quand ce n’est pas l’élimination de l’être humain, pour sauver la planète.

          Le scepticisme est de mise. N’en profitent-ils pas pour donner des conférences à grands frais et pour vendre leurs livres? Dans les années soixante-dix, d’autres grands prêtres prédisaient le refroidissement de la planète!

          Je ne remets pas en question les conclusions de la communauté scientifique. C’est leur rôle de nous informer et de nous mettre en garde. Je veux plutôt dénoncer la récupération de ce phénomène à des fins politiques à court terme et les conséquences dramatiques qui en découlent.

          Depuis toujours, les politiciens ont la mauvaise habitude d’intervenir pour corriger, disent-ils, les lacunes du libre marché. Ils croient que sans leurs interventions, l’évolution de la société serait vouée à l’échec. Malheureusement, leurs interventions visent plutôt à satisfaire les demandes des groupes d’intérêt au détriment des consommateurs. Ils créent invariablement des problèmes qu’ils promettent de résoudre lors d’un prochain mandat.

          Ainsi, les programmes électoralistes, savamment justifiés par l’urgence de réduire les gaz à effet de serre, pullulent. Tous les jours ou presque un communiqué de presse nous informe que le gouvernement a subventionné un projet pour retarder le plus longtemps possible le dernier jour de l’humanité.

          L'un des programmes les plus populaires est sans contredit celui qui prône l’ajout d’éthanol à l’essence.

          L’éthanol est le produit de la fermentation de plantes riches en glucide ou en hydrate de carbone, telles que la canne à sucre, les résidus forestiers et agricoles, la betterave à sucre et le maïs. Pour une même quantité d’énergie, l’éthanol produit moins de CO2 que le pétrole. Les politiciens, encouragés par les groupes d’intérêt et les adeptes de l'écologie, ont jugé qu’il serait politiquement rentable d’imposer l’ajout d’éthanol à l’essence. Malheureusement, ils n’ont vu que le premier effet de cette politique. Ils ignorent ou choisissent d’ignorer les effets subséquents.

          Cette intervention mal avisées risquent d’avoir des conséquences beaucoup plus néfastes pour l’humanité que les problèmes qu’elle est censée résoudre. Bastiat serait certainement déçu de réaliser que cent cinquante ans plus tard nous en sommes toujours au même point.
 

Ce qu’on ne voit pas

          Le marché est composé d’un ensemble de secteurs interdépendants. Les participants de chacun des secteurs de l’économie ont une influence sur les variables capital, temps, main-d’oeuvre, talent et opportunités. Les décisions quotidiennes de millions d’individus établissent le système de prix qui prévaut dans une économie de libre marché. Ainsi, sans interférences politiques, les besoins de millions d’individus déterminent qu’elle sera l’utilisation optimale des ressources disponibles.
 

« Les politiciens, encouragés par les groupes d’intérêt et les adeptes de l’écologie, ont jugé qu’il serait politiquement rentable d’imposer l’ajout d’éthanol à l’essence. Malheureusement, ils n’ont vu que le premier effet de cette politique. Ils ignorent ou choisissent d’ignorer les effets subséquents. »


          En imposant l’utilisation d’éthanol de maïs comme carburant, les politiciens se substituent à l’ensemble des intervenants économiques. Ils décident que la production d’éthanol est la meilleure utilisation que le marché puisse faire de la ressource « maïs ». Sont-ils mieux informés que les millions d’intervenants qui composent le marché? C’est peu probable.

          L’ajout d’éthanol à l’essence crée une demande accrue pour le maïs. Un rapport de la CIBC nous informe qu’aux États-Unis, 95% de l'éthanol produit résulte de la distillation du maïs. Le gouvernement américain entend faire passer la production annuelle de moins de 4 milliards de litres en 2000 à plus de 130 milliards de litres d'ici 2017. L’accroissement soudain de la demande se traduit par une augmentation aussi soudaine du prix. L’effet est dévastateur pour l’ensemble des consommateurs et en particulier pour les plus pauvres d'entre eux.

          En cinq ans, le prix du maïs est passé de 103,6 dollars la tonne à 140,4 dollars la tonne en 2006/2007, et devrait se hisser à 158,9 dollars cette année.

          Malheureusement, l’effet néfaste de cette politique gouvernementale n’est pas limité à l’augmentation du prix du maïs. Le prix élevé du maïs encourage les fermiers à consacrer de plus en plus de terres fertiles à cette production. Ainsi, l’interférence politique a pour conséquence d’allouer plus de ressources à la production de maïs au détriment d’autres denrées alimentaires.

          La disponibilité réduite de ces autres denrées pousse à la hausse les prix de tous les aliments de base, y compris le lait et la viande, les céréales étant utilisés pour nourrir le bétail.

          Au Mexique, le prix des tortillas a augmenté de 60% au cours des deux dernières années.

          Aux États-Unis, le prix de gros du poulet sera cette année en moyenne de 10% plus élevé qu'en 2006, selon le ministère de l'Agriculture. Une douzaine d'oeufs y coûtera 21% de plus et le lait sera 14% plus cher.

          Les prix du beurre, du fromage et de la viande vont aussi croître d'au moins 15% en 2008, souligne l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture, la FAO.

          Le rapport de la CIBC prévoit que le taux d’inflation du prix des aliments dépassera les 5% d’ici la fin de 2008, et les 7% d’ici 2009, soit son niveau le plus élevé des 25 dernières années.

          L’alimentation, bien que représentant moins de 15% de l'indice des prix à la consommation, représente 40% du budget mensuel des consommateurs à faible revenu.
 

Plus pour moins...

          L’éthanol de maïs est loin d’être le carburant idéal que décrivent les écologistes et les politiciens. Les études les plus optimistes concluent que l’éthanol produit un gain énergétique de seulement 20%. Donc, il faut 0,8 unité d’énergie fossile pour produire 1 unité d’énergie éthanol. Edmund Contoski, dans son livre Makers and Takers, prétend même que la production d’éthanol de maïs requiert plus d’énergie qu’il n’en fournit. De plus, la culture du maïs est extrêmement polluante (voir Michael Heberling, « Government-Reformulated Gas: Bad in More Ways than One »).

          L’ajout d’éthanol de maïs à l’essence est une cause directe de l’augmentation du coût des denrées alimentaires. Ces augmentations de coûts sont nécessairement refilées aux consommateurs. Plus l’alimentation coûte chère, moins il reste d’argent pour les soins de santé, l’éducation et le logement. De plus, sans subvention, l’éthanol de maïs ne peut concurrencer les sources conventionnelles d’énergie. Aux États-Unis, les subventions aux producteurs de maïs et aux usines d’éthanol représentent 75% du prix de détail de l’éthanol.

          Malheureusement, les impératifs de la comptabilité politique conditionnent le comportement des politiciens. Les groupes d’intérêt (agriculteurs, industriels et écologistes), grands bénéficiaires des largesses de l’État, appuient les politiciens qui défendent le mieux leurs intérêts.

          En politique, « ce qu’on ne voit pas » est généralement ignoré aux profits d’objectifs électoralistes à court terme.


P.S. En mai 2005, le ministre québécois de l’Agriculture annonçait en grande pompe la construction de la première usine d’éthanol de maïs au Québec. Moins de trois ans plus tard, deux ministres du même gouvernement dénoncent la production d’éthanol de maïs. Que s’est-il passé depuis mai 2005? « Ce qu’on ne voit pas » est devenu visible. À ce sujet, voir l’excellent reportage d’Alain Gravel à Radio-Canada, Éthanol: La fièvre verte, et le texte de François Cardinal sur Cyberpresse, « Québec largue l’éthanol ».
 

 

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