Montréal, 16 décembre 2007 • No 246

 

OPINION

 

Jean-Luc Migué est Senior Fellow à l'Institut Fraser.

 
 

LA COURSE AUX FAVEURS:
UN JEU À SOMME NÉGATIVE *

 

par Jean-Luc Migué

 

          Nos élites politiques, intellectuelles et médiatiques souffrent d’une véritable addiction à l’État qui tient du messianisme. Tous ces visionnaires jouissent sur les décisions publiques d’un pouvoir d’influence de loin supérieur à celui du simple citoyen. La plus récente suite d’interventions sollicitées par la multitude concerne l’appel aux gouvernements pour qu’ils atténuent, par leurs subventions ou la manipulation des taux d’intérêt, les prétendus dommages causés par la hausse du dollar canadien. Et pas seulement dans l’industrie manufacturière, mais dans toutes les industries « traditionnelles », le tourisme, l’aérospatial, l’industrie forestière, la technologie.

 

          L’État serait donc le seul mécanisme capable d’exprimer les préférences populaires. Les décisions politiques d’un gouvernement démocratique réaliseraient automatiquement le bien commun. Pourtant, on sait depuis l’énoncé du théorème de l’impossibilité (Arrow, 1951) qu’il n’existe pas d’ordre social majoritaire unique de bien-être, que le choix collectif « démocratique » ne peut satisfaire aux critères d’efficacité. Et, de toute façon, pour réaliser le bien commun, le gouvernement devrait connaître les préférences particulières et subjectives de tous et chacun des consommateurs. Tâche impossible, selon la célèbre thèse de Hayek (1945), puisqu’on n’achète pas les services pris en charge par l’État et qu’on ne dispose plus du prix pour en signaler la valeur.

          L’État serait aussi l’instrument unique de solidarité et de justice « sociale ». La vision conventionnelle postule que la gratuité au consommateur et le transfert du fardeau à la fiscalité sont le symbole de la justice sociale, l’expression du sens de la compassion qui anime l’âme canadienne, en opposition par exemple à l’individualisme cruel des Américains. Sorte de transposition primaire de l’instinct filial. L’ambition d’instaurer un « capitalisme à face humaine » est une illusion. Le fétiche du trade-off optimal entre équité et efficacité est vouée à l’échec. Le redistributionnisme étatique fausse les signaux des prix qui déterminent ce qui se produira, quand, où et comment. Il constitue toujours une infraction aux droits des uns en faveur des autres et enfreint ainsi les droits de propriété.

          Le succès du marché libre reposerait, selon l’acte d’accusation formulé par la tradition socialiste, sur le jeu d’interrelations entre individus mus exclusivement par l’égoïsme et le matérialisme (Crook, 2006). Les Églises organisées et Hollywood brandissent aussi à l’occasion cet épouvantail. Marx et Galbraith ont été et demeurent les deux économistes les plus populaires de l’histoire, en dépit du fait qu’ils aient conçu et propagé les plus grossières idées de la tradition analytique et surtout en dépit du fait qu’ils se soient trompés copieusement dans toutes leurs prédictions. Leur secret: dépeindre une vision diabolique du capitalisme et lui opposer la vision salvatrice de l’État socialiste. On invitera donc les gens d’affaires qui ont réussi à rendre à la communauté ce qu’ils ont reçu, comme s’ils n’avaient pas gagné leur argent. Le capitalisme serait immoral. En fait, le capitalisme est un régime éthiquement neutre.

          Plutôt que par la redistribution, le libéralisme prône l’accès aux biens matériels par la création de richesse. Selon le dernier rapport de Statistique Canada sur l’évolution de la pauvreté (relative) au pays, l’amélioration du sort des personnes à plus bas revenus n’a presque rien à voir avec les dépenses sociales. C’est la prospérité générale qui a suscité ce progrès, combinée à l’implantation de protocoles provinciaux qui ont amené les bénéficiaires de programmes sociaux à s'intégrer dans la main-d’oeuvre. La prétention que les gens seront plus généreux par l’État que par le marché tient de l’utopie. Aucune organisation sociale ne s’est jamais construite sur le postulat de la compassion universelle, de l’amour ou de l’altruisme. L’affection apparente de la population pour les services socialisés comme la santé repose donc, non pas sur le noble idéal de la compassion, mais sur le souci calculateur du grand nombre d’accéder aux services illimités aux frais des autres et sur l’activisme des groupes de producteurs.

          Autre dogme de la doctrine collectiviste, l’État serait le gardien des droits de l’homme, alors qu’à travers l’histoire, comme aujourd’hui, il s’est avéré coupable des pires abus. Ainsi la priorité accordée aux droits collectifs a remplacé la suprématie du droit tout court comme principe d’organisation sociale. Le droit collectif est la négation du droit: il désigne son contraire. Il implique le recours systématique à la coercition d’État pour offrir aux uns des termes d’échange inacceptables aux autres. La justice « sociale », entendue dans son sens populaire, repose donc sur la violation des droits de propriété. L’égalitarisme est non seulement immoral, mais antiéconomique; il suscite l’adoption de comportements antisociaux et incompatibles avec l’accès juste et universel aux services.

          L’État se fait aussi l’arbitre des conflits (Salin, 2004). Il ne reconnaît pas le droit, il le fait. Dans une société libre, donc où l’État occuperait sa place, la question des accommodements raisonnables (qui sont un mécanisme de redistribution) ne se poserait pas. En régime de concurrence, les préjugés n’ont aucune importance, parce que ce sont ceux qui les nourrissent qui en portent le fardeau. Plutôt que sur la base d'une vision élitiste et coercitive de la société idéale, les compromis raisonnables se réaliseraient par les choix décentralisés des consommateurs et des producteurs. De même, parce que l’État tranche dans les conflits, et selon la thèse du lauréat Nobel d’économie Edmond Phelds (2006), l’affrontement des générations a remplacé la guerre des classes. Les jeunes assumeront la part du lion du fardeau de la santé et de la retraite des baby boomers qui vieillissent.

          L’endoctrinement à toutes ces vertus exclusives imputées à l’État fait que nous tolérons que l’État nous verse des pensions qui rapportent une fraction du rendement privé. Nous supportons qu’il impose aux agriculteurs de vendre leur blé, leurs produits laitiers et leurs volailles au monopole public, pour leur propre bien et celui des consommateurs victimes. Nous tolérons qu’il nous dicte ce qu’on peut regarder à la télé ou écouter à la radio. Nous plaçons notre foi en l’État pour financer une science « objective » et produire des solutions technocratiques à nos problèmes économiques, sociaux et environnementaux. À tous ces titres, la politique devient le remède à tous les maux sociaux, depuis la pauvreté, la corruption, l’inégalité, la pollution, et jusqu’à la rareté.

          Même les économistes que Buchanan qualifie de conventionnels ont réinséré l'État au coeur de la recherche du bien-être social. Leur rationalisation: les déficiences omniprésentes d'un marché décrété imparfait (économies d’échelle et externes) face à un État omniscient, bénévolant et donc libre d’imperfections. La perspective n’est pas éloignée de la doctrine du droit divin des rois. Or une fraction minime des budgets publics est affectée à la production de biens publics. Mentionnons seulement la santé, l’éducation, les pensions, les voies publiques. Les économies externes découlent souvent du refus de définir des droits de propriété sur les ressources comme l’environnement. Le fondamentalisme démocratique constitue la grande illusion de la pensée sociale du XXe siècle.
 

Étatisme

          Comme en attestent les préjugés courants examinés il y a un instant, la perspective de l’économiste sur les choix publics est, à toutes fins pratiques, absente du débat public chez nous. L’économiste des choix publics pose que l’État n’est pas composé d’hommes plus vertueux que le reste de la société. Il place les votants, les politiciens, les bureaucrates et les groupes d’intérêt dans un marché politique où les sanctions et récompenses favorisent la course aux rentes. Les intérêts du politicien et l’intérêt général sont des finalités qui ne convergent pas.

          Dans la méthodologie de l’économiste des choix publics, le dirigisme d’État ne suscite ni les incitations, ni la diffusion de l’information qui favoriseraient l’allocation efficace des ressources. La logique majoritariste vécue mène d’abord au redistributionnisme en faveur de la classe moyenne majoritaire, non pas en faveur des pauvres (contrairement à la pensée conventionnelle), ni des riches (contrairement à la vision marxiste). La majorité des votants fait un revenu inférieur à la moyenne. C’est donc en recourant au financement public plutôt qu’au marché qu’on gagne les élections. Contentons-nous à cet égard de mentionner l’étude de Jean-Thomas Bernard et Michel Roland (1997) sur Hydro-Québec, qui démontre que, au profit des revenus moyens inférieurs, une majorité d’électeurs préfèrent un bas tarif d’électricité combiné à un haut taux de taxation, plutôt que l’inverse. Le majoritarisme comporte ainsi un biais systématique en faveur de politiques centre gauche.
 

Domination des groupes d’intérêt

          Mais, en raison de l’ignorance rationnelle des votants (de l’ignorance tout court suivant le dernier ouvrage de Bryan Caplan), les gens votent mal, même en regard de leurs intérêts, et restent politiquement apathiques. Non seulement le votant doit être conscient que son vote individuel ne compte pour rien dans l’issue du scrutin, mais, en votant, il cherche à acquérir, non pas un service spécifique affecté d’un prix spécifique comme dans le marché, mais une multiplicité de politiques complexes offerte par le politicien.
 

« Non seulement le votant doit être conscient que son vote individuel ne compte pour rien dans l’issue du scrutin, mais, en votant, il cherche à acquérir, non pas un service spécifique affecté d’un prix spécifique comme dans le marché, mais une multiplicité de politiques complexes offerte par le politicien. »


          L’aboutissement de cette logique est que l’action politique est d’abord, sinon exclusivement, l’affaire des groupes organisés. Bien sûr, les regroupements d’intérêt se forment surtout autour des producteurs, des associations d’affaires, des professionnels, des monopoles syndicaux. Les bruyants environnementalistes, les groupes religieux, les organisations locales, ne sont pas non plus étrangers à l’action politique. Ces organisations sont en mesure d’abaisser les coûts d’information et de lobbying pour leurs membres et deviennent ainsi les principaux acteurs du marché politique (Becker, 1983 et 2003). La concurrence qu’ils se font entre eux peut à certains égards atténuer l’inefficacité des choix politiques.

          Deux dimensions de l’action des groupes d’intérêt rendent cependant leur influence tragique. D’abord tous les consommateurs et tous les contribuables n’obtiennent pas une représentation égale par l’intermédiaire de ces groupes. En d’autres termes, tous les intéressés à la chose publique ne siègent pas à la table de négociation. Et surtout, le seul souci de tous ces groupes est d’obtenir des faveurs de l’État, sous forme de protectionnisme, de subventions, de fiscalité ou de régulation préférentielles. En ce sens, l’action des groupes suscitent la croissance excessive du secteur public et la course aux rentes, c'est-à-dire l’investissement de ressources gigantesques aux seules fins d’obtenir des transferts. Comme elle n’ajoute rien à la production de richesses, la course aux faveurs devient une activité tout à fait improductive, et même contreproductive. (Le paradoxe est que, nonobstant l’adulation que ces groupes nourrissent à l’endroit de la démocratie, nombre d’entre eux, syndicats et étudiants, n’hésiteront pas à faire illégalement grève et à saccager des installations physiques en dehors des règles démocratiquement établies, mais au nom de la démocratie.)
 

Régulation au détriment des consommateurs

          Le secret du succès électoral dans ce contexte est de diluer le coût des politiques à travers la masse des consommateurs et des contribuables, pour en concentrer les bénéfices dans des groupes spécifiques et circonscrits. Le premier instrument de l’arsenal politique pour conférer des privilèges à ces groupes fera ses victimes chez les consommateurs. Il s’agit en effet de la réglementation sectorielle ou sociale et du protectionnisme. La réglementation limite le nombre et la programmation des chaînes de radio et télévision; elle impose la spécialisation forcée des institutions financières et le contingentement dans les corporations professionnelles et corps de métier; elle rigidifie le marché du travail et le zonage dans les villes; elle impose le contingentement de la production agricole et du taxi; elle prévoit des coûts d’entrée artificiels pour l’exercice de certaines professions et métiers, tel le salaire minimum.

          Dans les trois industries concurrentielles les plus étudiées (le transport aérien, le chemin de fer et le camionnage), l’action des régies est toujours allée dans les sens de la protection des producteurs (Jordan, 1972). La suppression des titres de propriété sur l’eau a valu au complexe industrialo-syndical l’accès gratuit aux ressources et donc leur gaspillage. Les normes environnementales uniformes coûtent jusqu’à dix fois plus cher aux petites et moyennes entreprises qu’aux grandes.

          Au total, l’Institut Fraser calcule que le fardeau de la régulation sur la famille moyenne s’élève à 13 700 $ par année. Un travail semblable appliqué à l’économie américaine par le Competitive Enterprise Institute fixe à mille cent milliards le coût annuel de la réglementation dans la patrie du capitalisme. Et ceci, en dépit d’une variété d’études qui démontrent que la déréglementation pratiquée dans 7 industries, dans 21 pays industriels, de 1975 à 1996, a suscité des accroissements énormes d’investissement.

          J’ai mentionné un deuxième recours emprunté par l’État pour brimer les consommateurs au profit des groupes, le protectionnisme. Après plus de deux siècles d’analyse, les barrières tarifaires ont baissé depuis la Deuxième Guerre mondiale, mais les autres formes de protectionnisme mieux déguisées ont connu une recrudescence. On les désigne de façon trompeuse comme des « sauvegardes », des protections sanitaires, du contingentement, des droits antidumping ou même des « restrictions volontaires à l’exportation ». La part des importations touchée par ces variétés de barrières au commerce a gagné sept pour cent de 1981 à 2003 (Kono 2006).
 

Cartellisation au détriment des contribuables

          Un autre instrument aux mains des politiciens consiste à octroyer ses faveurs aux groupes, mais cette fois-ci aux dépens des contribuables plutôt que des consommateurs. Il s’agit de la monopolisation publique et de l’octroi de subventions aux entreprises (politiques industrielles et régionales). Il n’y a pas que les sociétés d’État qui soient organisées en monopoles, mais tous les ministères. Comme le veut la théorie du monopole, on doit prédire des prix plus élevés, une moindre qualité et une efficacité réduite. D’autant qu’un ministère ou une société publique ne peut jamais faire faillite.

          Les pratiques monopolistiques et le corporate welfare s’observent donc dans l’éducation, dans l’industrie de la santé, dans les industries culturelles et la recherche avancée, dans les industries extractives et le transport urbain (rues gratuites et transport en commun), dans les politiques de développement régional et de péréquation, dans l’électricité et l’énergie nucléaire, dans le service postal, dans l’assurance-chômage, la collecte et le traitement des déchets solides, dans les aéroports, l’assurance, le jeu, la vente d’alcools et les loteries.

          L’Institut Fraser fixe à 19 milliards de dollars l’aide consentie par les gouvernements aux entreprises en 2004 (144 milliards en 10 ans), l’équivalent de 1295$ par contribuable chaque année. Aux seules politiques industrielles et aux subventions aux entreprises, le Québec consacre plus de ressources publiques que toutes les autres provinces. La récente subvention à Alcan vaudra 336 000 $ par année par employé pendant 30 ans (Bernard et Bélanger, 2007). Dans sa dimension choix publics, la Révolution tranquille, version québécoise de la social-démocratie, s’est faite au prix d’une explosion des coûts des services publics et à un coût fatal pour l’essor économique du Québec.

          Dans toutes ces initiatives, l’État s’avère un mauvais entrepreneur. Par sa logique même, il est incapable de s’engager dans un processus de « destruction créatrice », essentiel à la croissance et à l’innovation. Ces formes de cartellisation favorisent en même temps la monopolisation syndicale et la sur utilisation du travail au détriment du capital, comme dans les hôpitaux où le travail constitue 75% du coût chez nous, contre 55% aux États-Unis (McArthur, 2000). Toutes ces pratiques survivent malgré les résultats de 38 études de privatisations (Megginson et Netter, 2001) qui ont valu 600 milliards de dollars aux trésors publics, l’amélioration de la qualité des services, l’augmentation des profits et une meilleure position financière.
 

Corollaires généraux

          Ce rapide survol de l’économie des choix publics démontre que la course aux faveurs doit être perçue comme un trait permanent du processus politique. Ce travers, combiné au coût économique direct de l’endettement et de la fiscalité, devient un jeu à somme négative. Contrairement au marché, l’État redistribue le revenu une fois qu’il est gagné. Le processus politique implique la séparation des coûts et des bénéfices. En d’autres termes, les individus, les familles et les entreprises qui encaissent les bénéfices ne sont généralement pas les mêmes qui assument le coût fiscal ou le prix accru. La discrimination fiscale qui s’ensuit entraîne la standardisation et l’uniformisation de services médiocres.

          La croissance excessive du secteur public résulte aussi de cette loi d’airain de la logique politique. Grâce au pouvoir de monopole plus grand du gouvernement central, la centralisation devient politiquement incontournable. Il en va de même de l’endettement, qui contrairement au précepte, ne sert pas à financer les investissements. Les déficits reportent le fardeau fiscal sur les futurs contribuables et suscitent l’illusion fiscale en abaissant le prix perçu par la génération présente. L’abandon de la règle d’équilibre budgétaire, inspiré du keynésianisme, mène au gonflement de l’État. Au total, à cause des effets dépressifs des budgets publics sur la croissance, le revenu national serait au Canada de 64% (de 246% en France) supérieur à ce qu’il était en 2005, si la part des budgets publics s’était stabilisée à son niveau de la fin des années 1950 (Smith, 2006).
 

Préceptes institutionnels

          Le choix se pose donc, non pas entre démocratie et despotisme, mais entre démocratie et marché d’une part, entre les formes de démocratie d’autre part. Le concept de démocratie ne fait que désigner la façon retenue dans nos régimes pour assurer la succession à la tête de l’État. La démocratie ne garantit la paix, la liberté, l’égalité, la prospérité, et la justice que si les règles constitutionnelles spécifiques et effectives qui la régissent favorisent cet aboutissement. C’est le message que je dégage de l’enseignement des trois lauréats d’économique 2007 (Hurwicz, Maskin et Myerson; mechanism design theory), dans le prolongement du schéma hayékien. Ces trois auteurs enseignent que, même lorsque le marché ne s’avère pas parfaitement efficace, le recours substitut n’est pas nécessairement l’État, mais d’autres mécanismes d’allocation comme par exemple la décentralisation.

          Une courte énumération de consignes institutionnelles souhaitables suffira. Comme les règles du jeu en vigueur mènent à l’hypertrophie de l’État, j’ai retenu les préceptes institutionnels les plus susceptibles de contrecarrer cette tendance.

          Notre démocratie aurait besoin d’une vraie charte des droits individuels et du rejet des prétendus droits collectifs. La charte canadienne exclut le droit le plus fondamental qu’est le droit de propriété et contient deux échappatoires, la clause « nonobstant » et la « justification démontrable ». Une vraie charte interdirait à l’État de créer des cartels et des monopoles. Elle nous mettrait à l’abri du protectionnisme et interdirait l’expropriation arbitraire et l’expropriation sans indemnisation qu’implique souvent la régulation.

          Une constitution optimale conditionnerait les décisions publiques les plus graves au ralliement de super majorités, de façon à garantir de large consensus. Dans un État minimal, des contraintes rigoureuses circonscriraient le pouvoir de taxer, de dépenser et de verser dans la tentation du déficit, à l’exemple de la Suisse et de vingt-sept États américains.

          L’État minimal n’adopterait que des lois non discriminatoires, générales et neutres, qui, à l’exemple du régime juridique, traiteraient toutes les personnes et tous les groupes de la même façon. La taxe à taux uniforme (flat tax) en serait l’illustration.

          L’État réduit restituerait les surplus budgétaires aux contribuables. Dans nos régimes, ce sont les politiciens plutôt que la population qui décident de l’allègement fiscal ou de la réduction de la dette.

          La constitution d’une société libre opterait pour la privatisation généralisée et la tarification des services.

          Nonobstant l’hostilité des politiciens, l’État se soumettrait régulièrement aux référendums et aux initiatives populaires, pour se mettre à l’abri du maquignonnage des groupes organisés.

          La rémunération des élus se ferait selon la performance, c'est-à-dire selon une mesure quelconque de croissance, d’inflation et de chômage.

          Les monopoles publics géographiques étant souvent non nécessaires (par exemple dans l’éducation), les gouvernements décentralisés (provinces et municipalités) deviendraient des gouvernements parallèles. Ils jouiraient de pouvoirs égaux mais non exclusifs sur tous les territoires de la fédération. Le mécanisme servirait d’exutoire aux citoyens, par où échapper aux monopoles d’État.

          Enfin, pour servir de frein immédiat et réaliste à l’étatisme national, le commerce international vraiment libre implanterait les conditions d’un authentique fédéralisme mondial.

          La théorie et l’histoire enseignent que la croissance engendre la démocratie, mais la démocratie s’avère plutôt défavorable à la croissance. La richesse et donc le capitalisme précèdent la démocratie, non pas l’inverse (Barro, 1997, entre autres). Les libertés économiques s’avèrent antérieures aux libertés civiles. En un mot, l’État, même démocratique, est un mal nécessaire, plutôt que l’instrument idéalisé de promotion sociale.

 

* Réflexion présentée le 14 décembre dernier à HEC Montréal. Ce texte s'inspire d'un ouvrage récent de l'auteur, On n'a pas les gouvernements qu'on mérite, Regard d'économiste sur les choix publics, Éditions Carte Blanche, Montréal, 2007.

Références bibliographiques

• Arrow, K., Social Choice and Individual Values, Wiley, New York, 1951.
• Barro, Robert, The Determinants of Economic Growth, The MIT Press, Cambridge, 1997.
• Becker, Gary S., « A Theory of Competition among Pressure Groups for Political Influence », Quarterly Journal of Economics, 1983, pp. 371-400.
• Becker, Gary et Casey B. Mulligan, « Deadweight Costs and the Size of Government », Journal of Law and Economics, octobre 2003, pp293-340.
• Bernard, Jean-Thomas et Michel Roland, « Rent Dissipation through Electricity Prices of Publicly Owned Utilities », Revue canadienne d'économique, vol. XXX, novembre 1997, pp. 1204-1219.
• Bernard, Jean-Thomas et Gérard Bélanger, Aluminium: des subventions annuelles de 336 000$ par emploi pour 30 ans, Université Laval, janvier 2007.
• Caplan, Bryan, The Myth of the Rational Voter, Why Democracies Choose Bad Policies, Princeton University Press, Princeton, 2007.
• Crook, Clive, « Memo to Hollywood: The Free Market Works », The Atlantic Monthly, repris dans le National Post, 9 mai, 2006, p. A14.
• Hayek, F. A., « The Use of Knowledge in Society », American Economic Review, 1945.
• Jordan, W. A., « Producer Protection, Prior Market Structure and the Effects of Government Regulation », Jounal of Law and Economics, avril 1972, pp. 151-76.
• Kono, Daniel, « Optimal Obfuscation: Democracy and Trade Policy Transparency », American Political Science Review, août 2006.
• McArthur, W., The Wall Street Journal, 28 janvier 2000, p. A19.
• Megginson, William, et Jeffry Netter, « From State to Market: A Survey of Empirical Studies on Privatization », Journal of Economic Literature, vol. 39, juin 2001.
• Phelds, Edmund S., « Dynamic Capitalism », The Wall Street Journal, 10 octobre 2006.
• Salin, Pascal , « L’illusion de l’État-arbitre », Liberté économique et progrès social, janvier-février 2004, pp. 12-16.
• D. B. Smith, Living with Leviathan, Hobart Paper 158, Institute of Economic Affairs, Londres, 2006.

 

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