Montréal, 20 janvier 2008 • No 249

 

OPINION

 

 Serge Rouleau est éditeur du Magazine nagg.

 
 

LA REDISTRIBUTION FORCÉE CONTREVIENT AU DROIT DE PROPRIÉTÉ PRIVÉE

 

par Serge Rouleau

 

          L’État-providence promet une redistribution de la richesse plus équitable que ce qui adviendrait naturellement sur une base volontaire. C’est au moyen du régime fiscal que les gouvernements prennent aux uns pour subventionner les autres. Plusieurs arguments servent à justifier l’imposition d’un régime de redistribution. L’argument le plus en vogue est: les riches ont la responsabilité morale d’aider les pauvres. Donc, le gouvernement doit taxer les premiers pour aider les seconds.

 

L’affirmation

« Les riches ont la responsabilité morale d’aider les pauvres. »

          Cet argument est faux: l’énoncé est une demi-vérité et la conclusion qu’on en tire ne tient pas la route. Un individu qui en a les moyens n’a pas nécessairement une obligation morale d’aider ceux qui en ont besoin. Mais même si c’était le cas, cela ne concerne pas le gouvernement. La responsabilité morale découle des valeurs individuelles de chacun et non pas d’un droit quelconque inhérent à l’individu dans le besoin. Le rôle du gouvernement est de protéger les droits de chacun, en particulier le droit de propriété, ni plus ni moins. Donc, dans la mesure où les biens d’autrui ne sont pas menacés, chaque individu est libre d’utiliser ses biens comme bon lui semble.
 

Le corollaire

« Le gouvernement doit taxer les premiers pour aider les seconds. »

          Que peut-on déduire de la notion qu’un gouvernement peut confisquer les biens des uns pour les donner aux autres?

          Cette notion implique que certains individus peuvent exiger le partage de biens appartenant à d’autres. Cet argument est d’ailleurs implicite dans les expressions « droit à la santé », « droit à l’éducation », « droit au logement », etc. En d’autres mots, cette notion implique que le droit à la vie inclut le « droit » aux nécessités de la vie. Mais si A est le propriétaire d’un bien, alors B ne peut pas avoir de droit sur ce bien. Par définition, la propriété privée est le droit qui s'exerce sur l'ensemble des biens que possède un particulier ou une entreprise.

          De plus, cette notion implique que la majorité détenant le pouvoir peut avoir recours à la force pour prendre les biens de A et les redistribuer à B. Ce faisant, l’État retire aux individus le droit de disposer de leurs biens comme bon leur semble et s’arroge le droit d’imposer aux minorités les valeurs, parfois capricieuses, de la majorité.

          Ainsi, la notion que le gouvernement peut taxer les uns pour aider les autres va à l’encontre des principes fondamentaux sous-jacents à la notion de propriété privée.
 

La confusion

          La redistribution forcée de la richesse bafoue un principe sacré à la base de toute démocratie: la propriété privée. Mais la plupart des gens croient qu’ils ont la responsabilité d’aider ceux qui ont eu la malchance de tirer un mauvais numéro à la loterie de la vie. Ils concluent alors que la redistribution de la richesse par les gouvernements est justifiée.

          Pourquoi cette confusion? Elle découle de l’interprétation donnée au terme « responsabilité ».

          Le terme « responsabilité » en se référant à la propriété d’autrui signifie « obligation ». Par exemple, il est obligatoire de rembourser ses dettes, nous en sommes responsables. Bien sûr, les individus ont l’obligation contractuelle de rembourser leurs dettes. Mais, et cela est encore plus important, le terme « responsabilité » utilisé dans ce contexte réfère au droit fondamental des individus de disposer de leurs biens comme bon leur semble. En ne remboursant pas une dette, l’emprunteur brime le droit de propriété du prêteur.

          Par contre, l’usage du terme « responsabilité » en se référant à ses propres biens signifie « préférable » ou « souhaitable ». Tel que mentionné ci-haut, le concept de propriété privée implique qu’un individu peut disposer de ses biens comme bon lui semble. Par exemple, un individu peut contribuer à un organisme caritatif alors qu’un autre passera ses vacances dans une destination soleil. Bien sûr, l’entraide est une valeur communautaire souhaitable, mais elle ne peut pas être imposée sans brimer le droit à la propriété privée.
 

« Chaque individu doit prendre ses décisions en fonction de ses valeurs personnelles, de son sens de la justice, de ses goûts, etc. Personne ne peut choisir pour lui. Il est responsable de disposer de ses biens en accord avec ses valeurs. »


          La « propriété privée » est le facteur qui permet de différencier la « responsabilité obligée » de la « responsabilité souhaitable ». Lorsque l’action d’un individu implique la propriété de quelqu’un d’autre alors, il fait face à une « responsabilité obligée ». Par contre, lorsque son action implique uniquement ses propres biens alors, il fait face à une « responsabilité souhaitable ».
 

L’affirmation revisitée

          Donc, à la lumière de la clarification de la définition du terme « responsabilité », l’affirmation: « Les riches ont la responsabilité morale d’aider les pauvres » implique clairement une « responsabilité souhaitable ». Cela soulève d’autres questions: Souhaitable pour qui? Selon quelle référence?

          Les réponses à ces questions nous ramènent inévitablement au concept de « responsabilité individuelle ». Chaque individu doit prendre ses décisions en fonction de ses valeurs personnelles, de son sens de la justice, de ses goûts, etc. Lorsque la situation implique les biens d’autrui la prise de décision est grandement simplifiée: le respect des biens d’autrui n’est pas optionnel ou conditionnel aux valeurs ou aux croyances d’un individu. C’est une « responsabilité obligatoire ». Par contre, lorsque la décision implique ses propres biens, l’individu doit soupeser les différentes possibilités qui s’offrent à lui. Doit-il consacrer une part de ses biens à aider tel ou tel groupe? Serait-il préférable d’investir dans une entreprise créatrice d’emplois? Doit-il en premier lieu assurer son bien-être et celui de sa famille? Etc. Il doit faire un choix, car il lui est impossible de satisfaire tous les besoins. Personne ne peut choisir pour lui. Il est responsable de disposer de ses biens en accord avec ses valeurs.
 

Les valeurs personnelles

          Les valeurs d’un individu ne sont pas arbitraires. Elles découlent de la nature humaine, du monde dans lequel il vit et de la situation particulière de chacun. Ces valeurs ne sont pas le résultat de caprices. Elles émanent des nombreux efforts de découverte et de compréhension qui débutent à la naissance. Ce processus est l’essence même de l’éducation. Bien sûr, les valeurs propres à chaque individu seront parfois occultées par la peur, l’envie, etc. Mais cela ne les rend pas moins réelles. Cela démontre seulement qu’il est difficile de bien assimiler ses valeurs et d’agir en conséquence, en d’autres mots de se responsabiliser.

          Alors, est-ce que les riches ont l’obligation d’aider les pauvres? Cela dépend des valeurs de chacun. Si, dans une situation donnée, un individu croit qu’il devrait aider son prochain, alors, il a l’obligation morale de le faire. Mais cette obligation découle de ses propres valeurs. En aucun cas découle-t-elle des diktats du gouvernement, de la société ou de quelqu’un d’autre. Si, par contre, il croit que son temps et son argent devraient être utilisés autrement, alors, il a l’obligation morale d’agir autrement.

          L’obligation d’aider quelqu’un dans le besoin est secondaire. Cette obligation existe seulement dans la mesure où l’individu considère cette action plus importante que toutes les autres auxquelles il pourrait dévouer son temps et son argent.
 

Conclusion

          L’affirmation servant à justifier la redistribution forcée est donc une demi-vérité et une généralisation facile. L’obligation d’aider son prochain varie d’un individu à l’autre et d’une situation à l’autre. De plus, dans l’hypothèse où l’affirmation serait valide, le corollaire politique ne tient pas la route. Ce n’est pas parce qu’un individu a l’obligation d’aider son prochain, que la redistribution forcée de ses biens est justifiée.

          Seules les obligations découlant du respect du droit de propriété peuvent être imposées. L’obligation d’agir en fonction de ses valeurs est une question de conscience individuelle et non celle des politiciens et bureaucrates de l’État. L’utilisation de la force pour imposer aux uns les demandes des autres est justifiée seulement pour protéger les droits de propriété de chacun. Le gouvernement n’a pas le mandat de se substituer à la bonne conscience ni au bon jugement des gens.

          Le rôle du gouvernement consiste à protéger les droits fondamentaux des individus, en l’occurrence le droit de propriété. Mais, il ne peut pas obliger les gens à se restreindre à une diète balancée, à entretenir leur véhicule, à être polis ou à aider leur voisin.

          Un gouvernement qui tente d’imposer les « responsabilités souhaitables » aux individus s’aventure dans une avenue qui mène inévitablement à la confiscation de la propriété privée et à terme, à l’élimination des libertés individuelles.