Montréal, 20 janvier 2008 • No 249

 

LECTURE

 

Patrick Bonney est polémiste et éditeur en Belgique.

 
 

POURQUOI IL FAUT LIRE
ET RELIRE BASTIAT *

 

par Patrick Bonney

 

          Dès lors qu’il s’agit d’honorer ses grands hommes, la France marche cul par-dessus tête. Tel imposteur, tyran, charlatan, prévaricateur ou tortionnaire verra les rues portant son nom se multiplier à l’envi tandis que celui de Frédéric Bastiat demeure inconnu du grand public. Et non seulement du grand public, mais de la plupart des étudiants en économie ou en management qui, à l’instar de leurs professeurs, auraient pourtant tout à gagner à sa fréquentation.

 

Trop clair

          Si Bastiat n’est pas reconnu à sa juste valeur, c’est d’abord parce qu’il affiche des opinions libérales en contradiction avec la vulgate étato-marxiste qui fait la singularité et surtout la honte de l’université française. Mais c’est aussi parce qu’il s’exprime dans une langue que tout un chacun – pour peu qu’il sache à peu près lire! – est capable de comprendre. En bref, il parle trop clair. Et en économie comme en philosophie, non seulement c’est louche, mais cela ne pardonne pas!

          On ne saurait dire des choses sérieuses qui seraient à la portée du vulgum pecus. Et ce sont les mêmes qui vous donneront ensuite des leçons de démocratie...

          À lire Bastiat, plus d’un siècle et demi après sa mort, on reste confondu. À l’image de la bêtise et de l’ignorance dont ils sont les corollaires, les sophismes économiques ont la peau dure. Il n’est pas une semaine en effet que l’on n’entende ou ne lise, ici ou là, des inepties que Bastiat dénonçait déjà en son temps. La plus répandue consistant à faire croire qu’un prélèvement crée de l’emploi alors qu’un enfant de cinq ans bien éduqué serait à même de comprendre qu’il ne fait tout au mieux que déplacer des ressources. Et que ce faisant, il ne crée le plus souvent que déséquilibre économique et injustice sociale.

          Si, contrairement à la pratique actuelle, on décidait de favoriser le travail utile et productif au détriment de celui qui l’est moins ou pas du tout, on s’apercevrait que non seulement le nombre d’emplois ainsi créés ne serait pas inférieur à ce qu’il aurait été par ailleurs mais qu’en outre, ces emplois répondraient beaucoup mieux aux attentes réelles de la population.

          En France, on préfère avoir des inspecteurs des impôts, des douaniers et des policiers plutôt que des garçons de café, des couvreurs ou des plombiers. Choix de société que nul n’a d’ailleurs entériné de façon formelle et au sujet duquel nos concitoyens seraient en droit de se poser des questions. Mais encore faudrait-il pour cela que non seulement l’occasion leur en soit donnée, mais qu’en outre ils possèdent le minimum de connaissances qui leur permettrait d’en juger.
 

Maintenus dans l’ignorance

          Pour de mauvaises raisons qu’il n’est pas de mon ressort d’expliciter ici, les élus, édiles et autres élites ont fait le choix de maintenir le peuple français dans l’ignorance économique.

          Jamais en effet vous ne les entendrez expliquer qu’à nombre égal, la pauvreté des uns est la conséquence de l’opulence (quelque relative qu’elle soit!) des autres. Car, si chacun devrait comprendre que ce n’est pas en siphonnant les fortunes (quelque excessives et imméritées qu’elles soient!) de quelques milliers de riches que l’on résoudra les difficultés de millions de pauvres, il n’en va pas de même du revenu des fonctionnaires et assimilés dont le nombre pléthorique et la voracité croissante ont fini par engendrer de profonds déséquilibres sociaux doublés d’une injustice notoire. D’autant qu’en termes de services rendus, le compte n'y est plus. Le privilège, la rente et le corporatisme ayant depuis longtemps pris le pas sur la notion de bien commun, quand bien même on voudrait camoufler tout cela sous un fatras lexical usé jusqu’à la corde et un vocable aussi indigent que galvaudé. Comme ce sacro-saint « service public », antienne rabâchée devenue slogan, qui ne saurait mieux symboliser les dérives d’une caste égoïste et gloutonne.
 

« Comprendra-t-on jamais que ce sont forcément les plus démunis qui payent la semaine de 32 heures des agents de l’EDF, les semaines de RTT des mutuelles et les logements de fonction des receveurs des postes? »


          Et comme ceux qui dirigent l’État n’ont pas vocation à scier la branche sur laquelle ils sont assis, on ne sera guère étonné de les voir désigner à la vindicte populacière des boucs émissaires dont ils ont toutes les raisons de penser qu’ils seront plus dociles. D’où cette chasse à l’étranger, coupable tout désigné, que l’on présente aux esprits faibles comme la cause de tous les maux de la terre. La fausse invasion des uns masquant la vraie pléthore des autres. Mais tant qu’il y aura des cons...

Facteur de justice sociale

          Car ce serait une véritable révolution si les pauvres et les exclus prenaient conscience de cette réalité et comprenaient tout à coup que toute dépense publique injustifiée s’exerce en premier lieu à leur détriment et que, loin d’être l’épouvantail annoncé, le libéralisme (je parle ici du vrai libéralisme et pas du succédané qu’on nous jette occasionnellement en pâture) était facteur de justice sociale.

          On fait mine de confondre la solidarité nécessaire à toute cohésion sociale avec le service de la rente que l’on verse aux agents de l’État. Sinon, comment expliquer qu’un pays comme la France, prélevant près de la moitié de la richesse nationale produite (le plus fort taux européen), ne soit pas capable d’éradiquer la pauvreté? Comment justifier, avec de tels chiffres, la multiplication des sans-abri et des sans domicile fixe? Comment accepter l’idée qu’une frange de plus en plus importante de la population qui travaille dans le secteur privé ne parvienne pas à joindre les deux bouts? Comprendra-t-on jamais que ce sont forcément les plus démunis qui payent la semaine de 32 heures des agents de l’EDF, les semaines de RTT des mutuelles et les logements de fonction des receveurs des postes?

          À l’heure où la question de la redistribution et de la manière dont elle est pratiquée se pose tant pour l’État que les entreprises ou les particuliers, il est d’autant plus nécessaire et urgent de relire Bastiat.

          Oh bien sûr, j’entends d’ici les coryphées de l’étatisme dominant pousser leurs cris d’orfraie: le libéralisme, tu parles d’une idée neuve! Et pourtant, si être neuf, c’est n’avoir jamais servi, alors oui, le libéralisme l’est bel et bien! Et particulièrement en France. Car il ne faut pas confondre les dérives d’un capitalisme oligarchique et les palinodies d’hommes politiques irresponsables et peu scrupuleux avec cette belle idée dont le fondement étymologique est le meilleur garant. Être libéral, comme l’origine du mot l’indique, c’est d’abord être libre.

          Bastiat est un auteur que l’on devrait faire lire aux enfants dès leur plus jeune âge. Et si l’État, comme il le prétend, avait pour souci, non d’asservir le citoyen mais de l’émanciper, il le ferait figurer en tête de liste des manuels scolaires obligatoires.

          Ses textes sont à la fois une leçon d’intelligence et une ode à la liberté. En combattant les sophismes qui, aujourd’hui plus que jamais, rongent la pensée économique et corrompent le bon sens du citoyen, Frédéric Bastiat nous ouvre grand les portes d’un choix qui nous a toujours été refusé. Car en nous privant d’une grosse partie de nos ressources, en nous infantilisant et en nous obligeant à payer pour des services qu’il ne nous rend pas, l’État nous asservit aussi sûrement que s’il nous réduisait en esclavage...

 

* On peut se procurer une nouvelle édition de « Ce qu'on voit et ce qu'on ne voit pas » sur le site Reedition.net.

 

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