Montréal, 27 janvier 2008 • No 250

 

COMMENT ÊTRE FRANÇAIS?

 

Patrick Bonney est polémiste et éditeur en Belgique.

 
 

SARKOZY ET LA TENTATION TOTALITAIRE *

 

par Patrick Bonney

 

          Il ne fallait pas être grand clerc pour prévoir, comme nous l’avions fait avant même le deuxième tour des élections présidentielles française (voir « Travailler plus et manger moins: pourquoi Sarkozy ne réformera pas la France »), que non seulement Nicolas Sarkozy n’aurait ni le courage ni l’envie de réformer la société française mais qu’en outre, il tomberait rapidement dans de fâcheux travers.

 

          L’élire revenait à confondre, pour reprendre une formule de Paul Veynes, « le lapin qui sort du chapeau avec le poussin qui sort de l’oeuf ». Et si Sarkozy est en effet un brillant prestidigitateur, sa politique n’en est que davantage une illusion. Qu’on se le dise: les montagnes accouchent parfois d’une souris mais les souris n’accouchent jamais d’une montagne.

          Pour peu qu’on sache le décrypter, il arrive, malgré le célèbre mot de Tocqueville, que le passé éclaire encore l’avenir. Et les précédents de Sarkozy, tant au ministère de l’Intérieur qu’à celui des Finances, ne plaidaient pas en sa faveur. Ils laissaient au contraire augurer du pire en matière doctrinale et les électeurs libéraux qui ont voté pour lui en croyant porter l’un des leurs au pouvoir auraient dû comprendre qu’ils se fourvoyaient.

          Car les dérives monarchiques et étatiques qui lui sont opposées aujourd’hui ne sont que la confirmation de celles d’hier. Et si l’on peut supposer que les institutions de la France, sa tradition démocratique, son environnement international, son appartenance à l’Europe la mettent à l’abri d’un putsch idéologique d’un autre âge, force est de constater que la tentation totalitaire de Sarkozy n’en transparaît pas moins de ses multiples saillies. Mot qu’il faut évidemment entendre au propre comme au figuré quand on se souvient que le dernier apprenti dictateur que la France ait connu avant Pétain, Napoléon III en l’occurrence, souffrait lui aussi de ce priapisme qui semble toucher notre président.
 

Un Maurrassien pur jus

          Plus sérieusement, la volonté de Sarkozy d’annihiler toute opposition en s’attachant les figures symboliques de la gauche (c.f. Kouchner et consorts), la mise au pas des éléments les plus remuants (les libéraux) de son propre parti, ses tentatives de contrôle et d’étouffement des médias, ses intimidations et ses menaces permanentes en disent plus long sur les arrière-pensées du personnage que toutes les dénégations officielles.

          Ajoutez à cela ses références nombreuses et fréquentes à Dieu et au divin, la survalorisation de l’Occident chrétien et l’affirmation de sa prééminence absolue, le traitement musclé réservé aux étrangers et le néo-paternalisme africain, la glorification d’une police plus idéologue que républicaine, le culte de la personne (le corps du roi montré à qui veut le voir sans oublier toutefois d’en gommer les bourrelets) et du chef (infaillibilité d’une part et virilité supposée d’autre part avec la mise en scène de sa vie amoureuse), et le tableau sera complet.
 

« Si l’on peut supposer que les institutions de la France, sa tradition démocratique, son environnement international, son appartenance à l’Europe la mettent à l’abri d’un putsch idéologique d’un autre âge, force est de constater que la tentation totalitaire de Sarkozy n’en transparaît pas moins de ses multiples saillies. »


          Monarchie, catholicisme, autoritarisme, paternalisme, abolition (au moins virtuelle) des partis, racisme larvé, culte du chef, État policier: autant d’ingrédients d’un cocktail bien connu, celui qui, de tout temps, a fait les dictatures, de la Grèce des colonels à l’Espagne de Franco, du Portugal de Salazar à l’Italie de Mussolini jusqu’à... la Russie de Poutine (que Sarkozy a été le seul à féliciter pour sa réélection).

          Ce qu’en d’autres temps, et avec moins de pudeur, on appelait le fascisme. Et si, encore une fois, il faut se garder d’un vocabulaire excessif, Sarkozy serait pour le moins un Maurrassien pur jus.

La « République impériale »

          Il ne nous reste plus qu’à espérer qu’aucun événement grave ne survienne durant son quinquennat car il y aurait fort à parier qu’alors, poussant ses pions plus avant, il révélerait son vrai visage et s’affranchirait – totalement cette fois! – des principes démocratiques.

          Heureusement, nous n’en sommes pas là. Car non content d’exercer le pouvoir de manière autocratique, Sarkozy présente des caractéristiques physiques et mentales que le plus féroce des caricaturistes n’aurait jamais osé espérer. Chaplin lui-même, avec son célèbre dictateur, n’a pas fait plus grotesque.

          Doté d’une complexion nerveuse instable (le journaliste Jean-François Kahn a même été jusqu’à évoquer la « folie ») dont son corps, secoué par une agitation permanente, des tics récurrents et de violentes poussées migraineuses, renvoie l’image cruelle, Sarkozy ajoute à cette fragilité psychologique une immaturité compulsive, une irritabilité chronique, un tempérament capricieux, une agressivité sans détour, des pulsions génésiques irrépressibles, une soif puérile de conquête, de fréquentes colères et une paranoïa latente qui, confrontés à ses lacunes culturelles flagrantes, feraient de lui l’interprète idéal du film de Chaplin. En attendant mieux bien sûr...

          Et si la peur qu’il inspire à ses collaborateurs, à ses conseillers, aux journalistes, aux syndicalistes et aux hommes politiques est avant tout le reflet d’une lâcheté ambiante et de la propension des élites françaises à la soumission, il ne faudrait pas lui donner les moyens d’en étendre la portée à l’ensemble de la population.

          Robert Badinter avait évoqué la « République impériale »; il semble plus juste de dire que nous avons l’empire républicain, sorte de tyrannie molle adaptée à l’air du temps et dont il ne sortira évidemment rien de bon en matière de réformes et de changement.

          Tout cela, on le voit, n’a pas grand-chose à voir avec ce libéralisme que d’aucuns prêtaient à Sarkozy. Lequel n’aime le capitalisme qu’oligarchique ou d’héritage et prend des fonctionnaires ayant fait fortune sans courir le moindre risque (c.f. son conseiller Raymond Soubie) pour des entrepreneurs.

          Pourtant, si ce début de règne semble déjà en marquer la fin, il est à craindre qu’il s’agisse, une fois encore, d’une illusion. Car si un récent film sur la magie s’intitulait Le prestige, Sarkozy semble vouloir en faire disparaître toute trace dans l’exercice de la fonction présidentielle...

 

* Pour un complément de lecture, se procurer « La france a perdu l'un des plus grands de ses fils » sur le site Reedition.net.

 

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