Montréal, 15 avril 2008 • No 255

 

LIBRE EXPRESSION

 

Gilles Guénette est diplômé en communications et éditeur du Québécois Libre.

 
 

LE PLACEMENT DE PRODUITS:
LE DADA DES BIEN-PENSANTS

 

par Gilles Guénette

 

          Si vous avez une envie irrésistible d’aller magasiner chez Familiprix durant la soirée ou que vous vous surprenez à vouloir changer votre mobilier de chambre à coucher en déposant votre tête sur l’oreiller, c’est sans doute que vous avez regardé trop de télé. « Hein?!, que vous vous dites. Je ne regarde même pas les publicités! » Aucune importance. Vous avez été victime du placement de produits. Tum-tum-tum-tum… « La forme la plus insidieuse de publicité ». Vite, téléphonez à votre député!

 

De marques et de logos

          Marc Cassivi, chroniqueur culturel à La Presse, est le parfait représentant du bien-pensant qui fréquente les cafés branchés du Plateau et qui secrètement croit que la culture devrait être entièrement financée par le secteur public afin qu’elle soit réellement libre et profonde. Mais comme ses confrères et lui auraient l’air un peu déconnectés de dire tout haut ce qu’ils pensent tout bas, ils concèdent qu’il est nécessaire que le secteur privé finance la culture – en partie, on s’entend –, mais qu’il ne faut surtout pas que cela paraisse à l’écran.

          Dans cette optique, les bien-pensants s’offusquent à toutes les fois qu’ils voient une marque de produit ou un logo d’entreprise à l’écran. Ils souhaiteraient qu’une anomalie temporelle nous ramène au temps où les personnages des petit et grand écrans buvaient de la bière de marque… « Bière » et que leurs épouses faisaient la lessive avec du savon de marque… « Savon ». À l’époque où l’on prenait bien soin de placer les produits de consommation de façon à ce qu’on ne voit pas leurs étiquettes à l’écran.

          Les histoires étaient-elles meilleures dans ce temps? Non. Mais les bien-pensants, c’est connu, n’affectionnent pas particulièrement le marché, les entreprises, ou les hommes d’affaires. Si encore les producteurs ne plaçaient que des tasses à l’effigie de Greenpeace ou des boîtes de café équitable sur les tables de cuisine, ou s’ils se contentaient de tourner des scènes devant le théâtre du Nouveau-Monde ou à l’intérieur de petits restaurants de l’Avenue Mont-Royal, ils n’y aurait pas de problème. Mais ils ont la fâcheuse habitude de se tourner vers des entreprises plus susceptibles d’avoir les moyens de les aider à financer leurs productions. Allez savoir.
 

Quelques réserves

          Ainsi, dans l’édition du 25 mars de La Presse, M. Cassivi nous fait part de ses réserves face au phénomène du placement (quelques jours à peine après avoir traité du même sujet à la télé d’État; convergence, quand tu nous tiens…). « Un travelling latéral tout ce qu'il y a de plus banal. Pendant que la caméra se déplace lentement de droite à gauche, on voit l'allée d'une pharmacie. Puis, plein écran, le logo de Familiprix. Enfin, l'acteur Réal Béland, qui s'amuse à échantillonner des produits de beauté. On pense spontanément que c'est une publicité. Oui et non. C'est une publicité... déguisée en scène des Boys, la télésérie la moins subtile de l'histoire de Radio-Canada. »

          Ooooh. « Cachez ce sein que je ne saurais voir! » La vue de marques et de logos déconcentre sans doute le téléspectateur dans sa quête de divertissement… Le problème pour M. Cassivi et tous ceux qui dénoncent cette « forme insidieuse de publicité », c’est qu’on voit une allée de pharmacie puis un logo de Familiprix dans le cadre d’une émission de fiction alors qu’on ne devrait les voir que dans des blocs de messages publicitaires – du moins, si on ne zappait pas ou si on ne profitait pas des pauses publicitaires pour visiter le petit coin… Ces images ne sont pas présentées au téléspectateur comme des publicités. Il y a confusion des genres.

          Vous vous dites que le téléspectateur n’est pas dupe et qu’il fait la différence! Eh bien non. Les gens seraient trop niais pour faire la différence entre une pub et un placement. À preuve, les résultats de cette étude: « Selon une étude Ipsos-Descaries menée en 2005 auprès de 1000 Québécois, seulement 22% d'entre eux étaient conscients d'avoir été en contact avec un placement de produits à la télé. »

          Un de ses collègues, quelques jours plus tard, faisait état d’une autre étude Ipsos-Descaries, celle-ci menée en décembre dernier, qui révélait que 40% des personnes sondées se sont dites favorables à ce que des marques connues se glissent dans les émissions de télé, alors que 22% d’entre elles ont affirmé être favorables à l'ajout de pubs à l'intérieur même des téléromans – l’histoire ne dit pas si ces répondants croyaient que l’expression « à l'intérieur même » voulait signifier que des publicités entières seraient incorporées dans les émissions.
 

Les temps ont changé

          Mais revenons à M. Cassivi qui offre un autre exemple. « En voyant pour la énième fois une autopromo de Radio-Canada pour [la série] Casino récemment, j'ai eu un autre sursaut d'indignation. On y voyait distinctement en arrière-plan, pendant plusieurs secondes, un camion du vendeur de meubles JC Perreault. » « Eh pis après?, que vous vous dites. Il a l’indignation facile le monsieur. » Eh bien sachez que « dans l'épisode suivant, on a appris pendant les pauses publicitaires que JC Perreault était associé à Casino pour un concours (dont le prix était un décor de l'émission provenant de chez ce détaillant) ».
 

« En quoi est-ce que des entreprises comme Familiprix ou JC Perreault nous manipulent-elles lorsqu’elles signent une entente avec un producteur pour que certains de leurs produits ou leurs logos se retrouvent dans une scène de fiction? »


          Depuis qu’il est conscient de la pratique, le chroniqueur dit se sentir souvent manipulé. Mais en quoi est-ce que des entreprises comme Familiprix ou JC Perreault nous manipulent-elles lorsqu’elles signent une entente avec un producteur pour que certains de leurs produits ou leurs logos se retrouvent dans une scène de fiction? Lorsqu’on se promène dans la rue et qu’on voit des camions de JC Perreault ou qu’on passe devant un Familiprix, est-ce qu’on se sent manipulé? Est-ce qu’on s’insurge?

          Comme le mentionne le chroniqueur (dans un instant de rationalisme), « Les téléspectateurs zappent de plus en plus, utilisent des enregistreurs numériques, regardent les séries en DVD, se tournent vers l'internet ou d'autres chaînes spécialisées. » Et si plus personne ne regarde les pubs – qui rappelons-le, payent une grande partie des émissions qu’on peut voir à la télé –, comment devrait-on financer les émissions? Il ne suffit pas de passer une loi ou d’augmenter la réglementation pour que le phénomène s’estompe.

          Quoique, c’est un peu ce que propose M. Cassivi au passage. À preuve, ce bout de texte: « On ne s'étonne pas que le placement de produits s'insinue de plus en plus au petit écran. En décembre 2006, le CRTC a complètement déréglementé le placement et l'intégration de produits à la télévision. » S’il se donne la peine de mentionner cela dans une petite chronique de 800 mots, c’est sans doute parce que, selon lui, le manque de réglementation est en grande partie responsable du fléau.
 

Contre le profit

          Si on arrêtait l’action ou l’intrigue d’une histoire pour me dire comment la bière Labatt est douce ou pour me donner les spéciaux de la semaine chez Familiprix, je pourrais comprendre. Je serais le premier à voir là une intrusion et à changer de poste pour ne plus me faire harceler de cette façon – comme sans doute la majorité des téléspectateurs, ce qui règlerait le problème. Mais il ne s’agit pas de cela. Il s’agit de voir un produit (une canette de bière) ou un logo (Just Do It) passer à l’écran. Pas de quoi fouetter un chat.

          Alors pourquoi les intellos en ont-ils tant contre le placement de produits? Une petite recherche me porte à croire qu’ils en ont tout simplement contre le profit. Ils en ont contre le profit que des entreprises font « sur le dos » d’oeuvres de fiction. C’est comme si dans le domaine de la culture, il ne fallait surtout pas qu’un profit soit fait. Le profit salirait l’oeuvre.

          Dans un article qui remonte à quelques années, un journaliste dénonce Steven Spielberg pour avoir eu recours au placement dans son film Minority Report. En montrant des marques à l’écran (Gap, Guinness, Lexus, Pepsi ou encore American Express), Spielberg aurait servi « sans détour, et sans le dire ouvertement, la cause mercantile de ses "mécènes" ». Le journaliste conclut en demandant: « Le cinéma, qui avait pour vocation de libérer l'esprit, serait-il en train de se métamorphoser en instrument de propagande? »

          C’est que le placement peut générer d’importants profits. Par exemple, dans les mois qui ont suivi la sortie d’un autre film de Spielberg, E.T., les ventes de Reese’s Pieces auraient augmenté de 66% – l’extraterrestre en mangeait dans le film. Quelques semaines après la sortie du film Sideways, les ventes de Pinot Noir ont fait un bon de 15% – cette sorte de vin profitait d’une visibilité importante dans la production cinématographique.
 

Tempête dans un verre d’eau (Pellegrino)

          À regarder comment évoluent les choses dans le milieu de l’audiovisuel, on peut penser sans se tromper que le placement de produits est là pour rester. Le coût des productions et les cachets offerts aux stars qui y jouent sont en constante croissance alors que les publicités sont de moins en moins regardées. Et comme l’argent ne pousse pas dans les arbres…

          À ceux dont le placement de produits fait faire de l’insomnie, ou pour qui il s’agit d’une véritable tare, voici quelques conseils:
 

1) Comme disent les Anglais, « Get a life! »
2) Ayez confiance en l’intelligence de vos concitoyens. Et dites-vous que ce qui vous irrite n’irrite pas nécessairement la majorité. Certaines personnes peuvent très bien s’accommoder du placement de produits.
3) Boycottez les émissions qui ont recours au placement de produits. Il ne faut pas oublier que personne ne vous force à regarder telle émission ou à louer tel film. Et qu’il est possible de se réaliser en tant qu’être humain sans regarder tout ce qui est diffusé/projeté.
4) Faites des pressions pour que les maisons de productions mettent deux versions de coffrets DVD sur le marché: l’une avec placement de produits, l’autre, sans.
5) Mettez sur pied votre propre fondation et financez les productions télévisuelles et cinématographiques de sorte qu’elles n’aient plus à avoir recours à cette pratique.

 

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