Montréal, 15 avril 2008 • No 255

 

OPINION

 

Mathieu Bréard habite à Montréal.

 
 

LE NÉOLIBERTARIANISME
(OU QUAND LES NÉOCONSERVATEURS SORTENT DU PLACARD)

 

par Mathieu Bréard

 

          La réaction face aux attentats terroristes du 11 septembre 2001 à New York demeure source de discorde dans les rangs du mouvement libertarien américain. Pour certains, la réplique devait être immédiate afin de protéger les libertés et les valeurs profondes de l’Amérique. Ils répètent qu’au nom de la légitime défense, il était tout à fait légitime d’appuyer l’opération militaire en Afghanistan afin de traquer le réseau Al-Qaeda. Était-ce réellement la bonne chose à faire? Le débat est loin d’être clos.

 

          Le problème est que depuis, ces soi-disant amants de la liberté se sont mis à soutenir la lourdeur de la bureaucratie et les pires violations des droits individuels perpétrés par le gouvernement fédéral dans leur propre cour. Confus, quant aux principes fondamentaux à défendre et aux prises avec un grave dilemme moral, beaucoup se sont réfugiés derrière le « néolibertarianisme » de Jonathan Henke, un terme popularisé au lendemain de la récente campagne militaire américaine en Irak.

          Les tenants de cette idéologie prônent des interventions militaires un peu partout sur la planète pour imposer, selon leurs propres conditions, ce qu’ils appellent une paix durable. Ils ont abandonné le concept de non-agression pour faire la promotion de la violence étatique. Un phénomène qu’avait très bien décrit l’historien Charles Beard: « c’est le début de la guerre perpétuelle pour la paix perpétuelle » – ce qui revient à dire être constamment dans une logique de guerre pour garantir une paix hypothétique.
 

L’incohérence

          Ne jouons pas trop sur les mots, le néolibertarianisme n’existe pas. Il s’agit d’un néoconservatisme timide n’ayant pas le cran nécessaire pour dévoiler son vrai visage, ou plutôt sa nouvelle conversion. Même les libertariens minarchistes ne sont pas tombés dans un piège aussi béant préférant conserver leur rigueur. S’il est vrai que ces derniers estiment que l’État doit se contenter d’exercer les fonctions régaliennes (armée, justice, police), ils considèrent quand même qu’il s’agit d’un mal nécessaire sur lequel il faut absolument garder un oeil vigilant. Ils ne signent pas un chèque en blanc aux représentants du gouvernement dans tous ces domaines.

          Les libertariens véritables gardent en tête que le collectivisme ne fonctionne pas. Que ce soit à petite ou grande échelle, à gauche comme à droite de l’échiquier politique. En monopolisant les moyens de production, l'État est incapable de faire des calculs économiques rationnels. Sans le respect de la propriété privée, il n'y a pas de prix, et sans les prix, il est impossible de bien gérer une ressource puis d’en assurer l'allocation.

          Les interventions répétées de l’État provoquent de graves distorsions qui sont ensuite traitées par d'autres interventions qui engendrent davantage de désordres. La fiscalité demeure une extorsion de la richesse à la pointe du fusil qui ne devrait jamais être prise à la légère, peu importe sa nature.

          Si le néolibertarien prétend être critique envers l'État sur le plan domestique, il perd soudainement tout jugement et fait preuve d’une complaisance grotesque lorsqu'il est question de politique interventionniste à l'étranger. Et pourtant, il est confronté au même système, d’où le paradoxe. À ses yeux, les fonctionnaires du ministère de la Défense sont de fins gestionnaires couverts d'une aura d'immunité, le complexe militaro-industriel doit être subventionné, l’impôt devient moral, la Constitution peut être déchirée, la propagande manichéenne est justifiée et quiconque ose protester un peu trop fort n'est pas un bon patriote.

          Si pour lui réglementer l'économie nationale est un délire qu’il attribue à la gauche, il considère en revanche que s'immiscer dans une économie étrangère, comme celle de l’Irak, sera bénéfique Il ira même jusqu'à défendre de vastes et coûteux programmes dignes des plans quinquennaux soviétiques. Mais alors là, il faudrait le croire sur parole. Tous les impôts et taxes prélevés dans nos poches, toutes ces ressources humaines et matérielles détournées pour financer ces programmes seront bien utilisées(1).

          Plutôt ironique puisque l'histoire enseigne que les gouvernements ne sont pas plus compétents pour trouver des solutions efficaces aux problèmes internes qu’ils ne le sont pour protéger la liberté et la paix dans le monde. D'ailleurs, cette idée de sécurité collective dont on entend abondamment parler dans les forums internationaux reflète bien les ratés de la planification centrale, c’est-à-dire du socialiste. Citons en exemple la défunte Société des Nations (SDN), ce machin que sont les Nations Unies (ONU), l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN), ou encore ce réseau de bases militaires entretenues par Washington.
 

Absence de pragmatisme face à la guerre

          Les néolibertariens, comme les néoconservateurs, nous balancent régulièrement des formules toutes faites sur la nécessité d'envahir et d'occuper militairement les pays du tiers-monde alors qu'ils ne s'interrogent jamais sur les conséquences mêmes de la guerre ni ce qui l’alimente à la racine. Ce raisonnement n’existe pas dans leur discours. Et pourtant, le New Deal de Franklin Delano Roosevelt et le projet de grande société de Lyndon Johnson n'ont pas été plus dommageables pour l'avenir des libertés en Amérique que la guerre elle-même.
 

« Les néolibertariens, comme les néoconservateurs, nous balancent régulièrement des formules toutes faites sur la nécessité d'envahir et d'occuper militairement les pays du tiers-monde alors qu'ils ne s'interrogent jamais sur les conséquences mêmes de la guerre ni ce qui l’alimente à la racine. »


          L’économiste Robert Higgs démontre dans son Resurgence of the Warfare State: The Crisis Since 9/11 que la guerre est le programme étatique ayant connu la plus forte expansion au cours du 20e siècle. Ses ramifications sont telles qu’il se retrouve sous forme de coûts cachés dans les budgets d’une multitude de ministères. La guerre, que se soit pour lutter contre la drogue ou le terrorisme, engendre incontestablement une croissance de l'État qui va de pair avec une réduction des libertés et un déséquilibre constitutionnel. De toute évidence, les leçons de l’histoire n’ont toujours pas été assimilées.

          Au milieu du 19e siècle, le président Abraham Lincoln, déterminé à imposer sa vision d'un fédéralisme centralisé, a plongé le pays dans une guerre civile en prétextant vouloir émanciper les esclaves. Alors que dans les faits, ils n'ont été que de vulgaires pions pour servir les ambitions mal placées du Parti républicain. Se présentant lui-même comme un anticonstitutionnel convaincu, Lincoln a suspendu l’Habeas Corpus et déclaré la loi martiale le 24 avril 1863. Se sont ensuite multipliés les abus de toutes sortes, allant de l’expropriation à grande échelle à l’emprisonnement de civils sans aucune inculpation ni procès. Des journaux furent fermés et des parlementaires, bâillonnés(2).

          Dans une violente rupture avec la tradition américaine, la Première Guerre mondiale a inauguré un affaiblissement continu et durable du Bill of Rights. Sous la présidence du démocrate Woodrow Wilson, on a élargi la taille et le pouvoir du gouvernement fédéral. Des milliers de nouveaux comités et organismes de réglementations ont fait leur apparition. Ce fut l’ère de la propagande et de la censure avec la création du Commitee on Public Information (CPI). La Réserve fédérale, créée en 1913, est devenue un puissant moteur à inflation pour satisfaire l’appétit toujours plus vorace du gouvernement pour l’argent et le crédit – un appétit également rassasié par la création de l'impôt sur le revenu la même année.

          Pendant la Deuxième Guerre mondiale, on a vu naître une plus grande collusion entre le grand capital et l’État. Beaucoup d’entreprises, principalement dans le secteur de la défense, ont réussi à s’octroyer des privilèges en contournant les mécanismes du marché tout en faisant financer leurs activités par l’argent des contribuables américains. Lors de la Guerre froide, Washington a soutenu militairement nombre de dictatures sanguinaires en Amérique du Sud et au Proche-Orient sous prétexte d’une opposition au communisme. Parmi elles, de futurs ennemis dont le dictateur Saddam Hussein en Irak et les Muhajadeen en Afghanistan.

          Avec la guerre contre le terrorisme, le président, les services de renseignements et le Pentagone ont le pouvoir d’arrêter et de torturer un étranger, ou un Américain, sans procédure légale ni comparution devant un jury indépendant. La taille du gouvernement fédéral s'est accrue avec la création, entre autres, du ministère de la Sécurité intérieure (Homeland Security) et ce tout nouveau service de renseignements, le National Clandestine Service (NSC) patronné par le CIA.

          Au-delà de toutes ces violations des droits civiques et des libertés économiques, la guerre affaiblit l’esprit critique et représente un asservissement envers cette culture de la terreur. On en vient à confondre bien naïvement le terrorisme et les agissements d’un gouvernement avec ceux de toute une population civile. Ainsi, les gens tolèrent la torture et l’utilisation de la violence armée contre des pays situés à des milliers de kilomètres qui n'ont jamais attaqué le territoire des États-Unis et qui ne disposent même pas des effectifs ni de la technologie nécessaire pour y arriver.

Le problème

          Par définition, le libertarien croit aux vertus de l'action volontaire et au libre marché. Chaque citoyen a le droit de vivre sa vie en suivant sa propre conscience à condition qu’il n’utilise pas la violence contre les autres. Cette éthique s’applique également à l’État qui pille et vole la propriété des citoyens depuis des siècles afin de financer toutes sortes de programmes. La défense ne fait pas exception à cette règle. La guerre est un instrument collectif comportant exactement les mêmes failles et malversations que tout autre programme de l’État. Et si généralement les défenseurs de la liberté ne font pas confiance aux politiciens, force est de reconnaître que les néolibertariens jouent un double jeu en matière de politique étrangère.

          On reproche souvent au mouvement libertarien de ne pas avoir une tradition homogène et de se diviser en différentes factions. La bonne nouvelle est qu’il n’est jamais trop tard pour faire le ménage dans tout ce jargon. S'il y a un mot que vous pouvez rayer dès maintenant de votre vocabulaire, c’est bien celui de « néolibertarianisme ». Et la prochaine fois que vous en croiserez un dans la rue, demandez-lui simplement quand compte-t-il faire son coming out.

 

1. Chaque contribuable américain qui s'oppose à la guerre est contraint de financer quelque chose qui va à l’encontre de sa conscience et de son jugement.
2. Voir la conférence du juge Andrew Napolitano sur Abraham Lincoln et le livre Lincoln Unmasked de Thomas J. DiLorenzo.
 

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