Montréal, 15 avril 2008 • No 255

 

COURRIER DES LECTEURS / READERS' CORNER

 

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LES LIBERTARIENS ET LE PARTI LIBÉRAL DU QUÉBEC

 

          Mathieu Hubert, un militant du Parti libéral du Québec dans Trois-Rivières, nous a proposé ce texte pour tenter de convaincre les lecteurs du QL que son parti défend un véritable libéralisme. M. Hubert est étudiant en production de pâtes et papiers à l'Université du Québec à Trois-Rivières et a occupé certains postes au sein de la Commission-Jeunesse du PLQ, dont celui de représentant régional de la Mauricie. Voir ma réponse plus bas et les commentaires des lecteurs du Blogue du QL.
 

M. M.
 


          Lorsque vous lisez des lois, des projets de lois et des trucs du genre, vous pouvez reconnaître assez facilement les valeurs et les principes des législateurs qui expliquent leurs différents textes. De cette façon, il est possible de placer les législateurs sur un échiquier politique en fonction de leurs valeurs et principes. Par exemple, nous disons que les législateurs sont de droite lorsque leurs textes tendent vers un capitalisme pur, et de gauche lorsque leurs textes tendent vers la planification de l'économie. Au Québec, les uns accusent le gouvernement Charest d'être trop de droite, les autres accusent le gouvernement Charest d'être trop de gauche. Pourtant, le Parti libéral du Québec (PLQ), dont je suis membre, a la prétention d'être le gouvernement de tous les Québécois. Qu'en est-il vraiment?

 

          En supposant, un peu comme le ferait un libéral largement influencé par l'École autrichienne d'économie, que les valeurs subjectives des individus et leurs interactions sont le point de départ de toute explication des phénomènes humains, il faudrait connaître les valeurs libérales et la vie politique québécoise pour expliquer le libéralisme au Québec. Du moins, ce serait plus facile de l'expliquer. Les valeurs libérales et le Québec moderne, ce livre de Claude Ryan, s'avère une référence en la matière.

          Au Parti libéral du Québec, les idées doivent passer le test du marché. Lorsqu'un besoin en matière de politique est exprimé par un membre, il offre une proposition pour satisfaire ce besoin. Vous êtes libres d'appuyer la proposition ou non, vous êtes libres de reconnaître le besoin ou de vous abstenir. Vous êtes un libre penseur! C'est la meilleure garantie que vous puissiez offrir à un membre d'être conséquent, il n'a qu'à l'être avec lui-même. Et il n'existe pas de clubs politiques aussi indiscrets que le SPQ libre à l'intérieur du Parti libéral du Québec, rassurez-vous. Mais cela ne fait pas automatiquement du gouvernement libéral le gouvernement de tous les Québécois, non? C'est que le PLQ, au fil des ans, a réalisé que tous ses membres ont au moins un point en commun. Lequel? Ils ont tous la volonté de s'enrichir et de mettre sur pied un gouvernement qui offre aux Québécois une croissance économique optimale. C'est entre autres là-dessus que nous misons pour être représentatifs de tous les Québécois, ainsi que pour être convaincants.

          Au Parti libéral du Québec nous reconnaissons que l'accumulation de déficits des administrations publiques depuis 1970 a engendré de nombreux problèmes dans l'économie. Les intérêts à payer sur la dette étaient devenus tellement élevés que les gouvernements n'avaient plus de marge de manoeuvre pour intervenir dans l'économie et s'attaquer aux principaux problèmes. La période de croissance économique sans précédent des années 1990 conjuguée aux hausses d'impôts et aux diminutions des dépenses publiques a permis aux gouvernements d'atteindre l'équilibre budgétaire. Bien qu'il puisse être précaire, nous pouvons maintenant, de façon prudente et responsable, diminuer les impôts et nous attaquer à la dette par exemple.

          Par contre, les libéraux savent qu'il faut éviter à tout prix une augmentation incontrôlée des dépenses, à la fois pour des raisons politiques et économiques. En effet, la conception du rôle de l'État a beaucoup changé parmi les libéraux et le public, comme en témoigne la déclaration de Stéphanie Doyon, qui était jusqu'à récemment présidente de la Commission-Jeunesse du Parti libéral du Québec, lorsqu'elle dit: « Nous avons eu un gouvernement qui a pris des décisions de façon responsable, dans le but d'assurer le développement du Québec et le meilleur soutien possible aux générations futures qui auront à porter le fardeau de l'État. Par exemple, le Fonds des générations, qui a été instauré pour rembourser la dette, est une initiative réfléchie. »

          Il est important de remarquer que l'État-providence, celui que les libéraux contestent et que les péquistes semblent encore défendre, est en grande partie la résultante de la Grande Dépression des années 1930 et de la publication de la Théorie générale de l'emploi, de l'intérêt et de la monnaie de John Maynard Keynes. Ce dernier remettait en question le libéralisme d'Adam Smith, au profit de l'interventionnisme étatique et de l'État-providence.

          L'économiste August von Hayek attaque cette vision interventionniste du rôle de l'État en publiant en 1944 The Road to Serfdom (La route de la servitude). D'autres économistes, dont Milton Friedman, poursuivent son oeuvre à l'Université de Chicago et créent un courant de pensée proprement « libertarien ». Comme vous le savez fort probablement, cette thèse défend l'idée d'un capitalisme pur où l'État n'intervient que pour assurer la concurrence la plus parfaite possible.

          D'ailleurs, les offreurs et les demandeurs d'un produit interagissent sur le marché d'un produit. Le modèle de marché suppose que ces interactions se situent dans un marché de concurrence parfaite. Mais est-ce que tous les participants possèdent toute l'information voulue? Est-ce qu'il y a des frais de transport qui pénalisent les participants qui demeurent en région éloignée par exemple? Est-ce que les demandeurs et les offreurs, pris séparément, sont tellement nombreux qu'aucun d'eux ne peut avoir de l'influence sur le prix par ses seuls agissements? Le produit est-il homogène, c'est-à-dire qu'il présente les mêmes caractéristiques? Les libéraux considèrent que lorsque la réponse à l'une des questions que je viens d'énumérer est non, l'État doit intervenir.

          Mais encore faut-il une volonté et un profit politique pour les politiciens afin qu'ils interviennent. Est-ce que le Parti libéral du Québec a démontré une volonté politique d'intervenir précisément pour assurer la concurrence la plus parfaite possible dans l'économie du Québec? Oui! Prenez par exemple la proposition de la Commission-Jeunesse du PLQ de privatiser la Société des Alcools du Québec (SAQ), un monopole étatique où cette dernière peut aisément décider d'un prix pour ses produits. Est-ce qu'il y a un profit politique pour les politiciens dans une éventuelle privatisation de la SAQ? Permettez-moi d'en douter. Sans vouloir être méprisant, la population du Québec n'est pas suffisamment formée d'économistes libéraux! Il me semble que beaucoup trop de Québécois ne veulent que contrôler la consommation d'alcool et s'assurer un revenu collectif dans le cas de la SAQ.

          Par ailleurs, il existe au PLQ, et c'est perceptible sur le terrain, une volonté de réduire la taille de l'État québécois. Nous percevons davantage l'État comme un fardeau, comme un mal nécessaire si vous voulez, et ce principalement pour les particuliers et les entreprises. Nous soutenons aussi que le capital doit circuler le plus librement possible et que les entreprises créent et génèrent de la richesse mieux que le fait l'État. Sans prétendre que nous souhaitons mettre en pratique les politiques de Margaret Thatcher, nous visons nous aussi l'allocation plus efficace des ressources physiques, naturelles, humaines et financières. Encore selon Stéphanie Doyon, « la réingénierie de l'État a imposé à la structure gouvernementale de se serrer la ceinture pour réinvestir l'argent aux bons endroits: en santé et en éducation. Il ne faut pas réduire les services aux citoyens, mais plutôt la machine qui est derrière tout ça ».

          Enfin, la liberté à la fois financière et politique que beaucoup d'entre nous souhaitons, celle qui naît lorsque nous sommes libres de dépenser nos dollars comme bon nous semble, dans la mesure où nous en avons et malgré l'existence de l'État, eh bien cette liberté est maintenant plus réelle qu'elle ne l'était sous le gouvernement péquiste. Le gouvernement Charest a réduit les impôts au Québec, même s'il en a payé le prix politique. Quant à moi, je souhaite que mon revenu disponible, ou mon revenu après impôts, augmente le plus possible, tout en étant le plus près possible de mon revenu brut, toutes choses étant égales par ailleurs.

          J'ai essayé de vous faire part de ma confiance en l'avenir en ce qui concerne le PLQ. Même si quelques députés libéraux ont parfois des réflexes keynésiens en matière d'économie, l'avenir est très prometteur. Je vous invite à militer au sein du PLQ et à faire avancer vos idées dans un parti politique de qualité, qui est très redoutable en chambre et qui formera encore beaucoup de gouvernements dans le futur, à condition que les gens informés comme ceux du Québécois Libre s'impliquent en politique avec nous, le Parti libéral du Québec.

Cordialement,
Mathieu Hubert
 

 
   
   

Réponse de Martin Masse

          M. Hubert a sans doute des sympathies pour le libre marché et je ne doute pas de sa sincérité, mais ce n'est malheureusement pas avec ces arguments qu'il convaincra plusieurs libertariens de joindre le PLQ. Chaque paragraphe sème la confusion en mélangeant libéralisme et interventionnisme étatique, dans un pot-pourri typiquement… libéral québécois. Une confusion qui vient peut-être de ce qu'il s'est trop inspiré du livre de feu Claude Ryan, un penseur qui, comme bien d'autres, a cherché dans les années 1950 et 60 à redéfinir le libéralisme classique pour le faire correspondre à sa vision sociale-démocrate. (Anecdote personnelle: il m'avait apostrophé il y a dix ans au sortir de l'enregistrement d'un débat à l'émission Droit de parole, pour me dire « Vous n'irez nulle part avec des positions comme celles-là, Monsieur Masse! »)

          Ainsi, après avoir noté qu'un gouvernement peut osciller entre gauche et droite, entre capitalisme et planification de l'économie, M. Hubert déclare que « le Parti libéral du Québec a la prétention d'être le gouvernement de tous les Québécois ». Qu'est-ce à dire? On ne l'apprend pas vraiment. Logiquement, cela signifie que ce gouvernement cherche à plaire autant à ceux qui veulent plus de liberté qu'à ceux qui veulent plus de socialisme. Et c'est justement ce qui se passe!

          Il est carrément étrange de référer au subjectivisme autrichien pour expliquer qu'« au Parti libéral du Québec, les idées doivent passer le test du marché. Lorsqu'un besoin en matière de politique est exprimé par un membre, il offre une proposition pour satisfaire ce besoin. Vous êtes libres d'appuyer la proposition ou non, vous êtes libres de reconnaître le besoin ou de vous abstenir. Vous êtes un libre penseur! » Ce qui est décrit ici est simplement un processus de prise de décision démocratique à l'intérieur du parti et n'a rien à voir avec la vision autrichienne qui part de la réalité individuelle pour expliquer tout phénomène social et économique. Pas plus qu'un parti communiste qui fonctionne de la même façon ne s'inspire de Mises.

          M. Hubert explique que les libéraux perçoivent l'État comme un fardeau et un mal nécessaire. Pourtant, il ne cite aucun exemple de réforme libérale ayant permis de diminuer le rôle de l'État, à part la baisse d'impôt (réalisée, soit dit en passant, grâce aux transferts fédéraux) de l'an dernier. Il serait en effet difficile d'en trouver puisque depuis les années 1960, les gouvernements libéraux ont contribué à grossir l'État-providence québécois tout autant que les péquistes. L'appui des jeunes libéraux à la privatisation de la SAQ – que le gouvernement libéral a choisi d'ignorer, alors que l'abolition d'un monopole étatique sur la vente d'alcool devrait être la chose la plus facile à faire pour un gouvernement véritablement libéral – n'est certainement pas une preuve de la volonté du PLQ de réduire le rôle de l'État. Ni l'atteinte de l'« équilibre budgétaire », qui est de toute façon l'oeuvre d'un gouvernement péquiste. Je mets l'expression entre guillemets, puisque contrairement à d'autres provinces qui ont un véritable équilibre budgétaire, les dépenses d'immobilisation au Québec sont comptabilisées hors budget et la dette continue d'augmenter de quelques milliards de dollars par année sous la gouverne du PLQ.

          Je voudrais enfin relever la confusion entretenue par M. Hubert sur la définition du libertarianisme, qui défendrait selon lui « l'idée d'un capitalisme pur où l'État n'intervient que pour assurer la concurrence la plus parfaite possible ». C'est évidemment faux. Cette notion de concurrence parfaite qui continue d'être utilisée par les économistes conventionnels néoclassiques est totalement absurde et n'a rien à voir avec la réalité économique (voir par exemple cet article de Jean-Louis Caccomo: « Réflexion autour du concept de droit de la concurrence »).

          Les Autrichiens l'ont toujours rejetée, et même les économistes libertariens qui s'insèrent dans la tradition néoclassique ne l'utilisent qu'avec circonspection. Elle permet en effet de justifier pratiquement n'importe quelle intervention de l'État, sous prétexte que le marché n'est pas parfait selon un modèle qui n'a jamais existé et n'existera jamais. M. Hubert en donne quelques exemples:

          Le modèle de marché suppose que ces interactions se situent dans un marché de concurrence parfaite. Mais est-ce que tous les participants possèdent toute l'information voulue? Est-ce qu'il y a des frais de transport qui pénalisent les participants qui demeurent en région éloignée par exemple? Est-ce que les demandeurs et les offreurs, pris séparément, sont tellement nombreux qu'aucun d'eux ne peut avoir de l'influence sur le prix par ses seuls agissements? Le produit est-il homogène, c'est-à-dire qu'il présente les mêmes caractéristiques? Les libéraux considèrent que lorsque la réponse à l'une des questions que je viens d'énumérer est non, l'État doit intervenir.

          En fait, ce ne sont pas les libéraux ou les libertariens qui considèrent que l'État dans intervenir dans ces cas, mais bien les interventionnistes!

          On comprend mieux pourquoi M. Hubert considère que son parti est vraiment libéral si c'est ainsi qu'il définit le libéralisme. Je ne relèverai pas tous les autres points qui posent problème dans ce texte. Je ne peux que conclure que nous avons beaucoup d'éducation économique et philosophique à faire pour bien faire comprendre les fondements du libéralisme, y compris chez ceux qui croient le défendre au Parti libéral du Québec…
 

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